Exposition : l’art de la guerre
Du 23 juin au 22 novembre, l’Institut du monde arabe, à Paris, présente le travail de dix-neuf artistes palestiniens contemporains. Des œuvres qui témoignent du poids de l’occupation israélienne sans être exemptes d’humour, d’optimisme et d’espoir.
Un astronaute qui plante un drapeau palestinien sur la Lune. Une tente de réfugiés sur laquelle ont été brodés les noms de 418 villages détruits et occupés par Israël en 1948. Une maquette d’avion sur laquelle on peut lire « United States of Palestine Airlines ». Des miradors photographiés en noir et blanc qui dressent leur silhouette menaçante au-dessus d’un territoire disputé…
Du 23 juin au 22 novembre 2009, l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, consacre une grande exposition aux artistes palestiniens contemporains. Le titre retenu annonce la couleur : « Palestine, la création dans tous ses états ». Paradoxal, à l’heure où le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, malgré les pressions de l’administration Obama en faveur de la solution « de deux États », a encore bien du mal à envisager l’existence d’une Palestine vivant en paix au côté d’Israël…
Mais s’il est une chose que l’histoire de l’art enseigne, c’est que ni l’oppression, ni la guerre, ni l’occupation n’ont jamais empêché les artistes de s’exprimer. Bien au contraire. Le bombardement de Guernica en avril 1937 par les aviateurs de la légion Condor a donné naissance à l’un des plus remarquables tableaux du peintre espagnol Pablo Picasso. Le soulèvement des « Trois Glorieuses » en juillet 1830 contre le roi Charles X, en France, a inspiré le peintre français Eugène Delacroix pour son célèbre tableau La Liberté guidant le peuple.
Mona Khazindar, commissaire de l’exposition présentée à l’IMA, explique ainsi la vivacité de la création palestinienne : « La situation de violence quotidienne vécue par les Palestiniens est à l’origine d’un art très riche, très divers, qui utilise tous les médias disponibles. L’adversité est toujours mère de vertu… » Douze ans après avoir ouvert ses portes aux « Artistes palestiniens contemporains », en 1997, le bâtiment conçu par Jean Nouvel en hommage à la culture arabe accueille de nouveau dix-neuf artistes nés en Palestine. L’idée ? « Tenter d’identifier, à travers le prisme d’une situation historique complexe et d’un terrible destin, les éléments épars d’une esthétique palestinienne. » Ainsi Mona Khazindar a délibérément choisi des créateurs appartenant à des générations différentes – et une majorité de femmes.
Aléas de l’actualité
« La plus jeune est née en 1977, le plus âgé en 1936, dit-elle. J’ai voulu montrer, à travers plusieurs générations, l’évolution et la diversité de ces artistes en prise avec les aléas de l’actualité. Je me suis aussi intéressée à la manière dont les femmes vivent et expriment cette situation – cette violence politique qui les fait parfois suffoquer dans leur propre corps. » Le travail de Raeda Saadeh, Prix du jeune artiste de la fondation Al Qattan à Ramallah en 2000, exprime ainsi avec causticité l’omniprésence (notamment médiatique) du conflit dans son quotidien. Who Will Make Me Real est une performance où l’artiste pose devant la caméra dans un pyjama composé d’une multitude de coupures de presse qui l’empêchent de se mouvoir…
Un premier regard sur les œuvres exposées impose un constat : le rapport à la terre et à l’occupation est indissociable du travail des artistes palestiniens. Tous les jours, qu’ils vivent sur place ou appartiennent à la diaspora, le poids du politique influe sur leur travail. Taysir Batniji, l’auteur des vingt-six photographies de miradors israéliens en Cisjordanie (un clin d’œil au travail des photographes allemands Bernd et Hilla Becher, à partir de la fin des années 1950, sur les ensembles industriels à l’abandon en Europe) exprime ainsi son ressenti : « Nous ne sommes jamais certains de pouvoir entrer ou sortir. Nous avons beaucoup de mal à nous projeter dans le futur. Ces difficultés à se situer dans le temps et dans l’espace imposent un mode particulier de réflexion. » Internet et le téléphone permettent néanmoins de maintenir le contact. Travaillant depuis Paris puisqu’il ne peut rentrer dans son pays depuis 2006, Batniji a mandaté un photographe auquel il a donné des instructions très précises pour réaliser ses clichés de miradors…
« Langage universel »
Impossible de faire abstraction des check points, de l’emprisonnement, de l’exil, des humiliations quotidiennes… Pour autant, le désespoir ne règne pas en maître absolu dans les œuvres présentées à l’IMA. Batniji confie essayer de « traduire la situation à travers une œuvre sans que cela devienne de l’information ou de la dénonciation ».
L’humour représente parfois une solution pour éviter de sombrer dans le pamphlet. Sherif Waked, qui vit et travaille à Nazareth, présente ainsi une vidéo qui marie distance et gravité. Chic Point, Fashion for Israeli Checkpoints emprunte les codes d’un défilé de mode pour présenter une série de vêtements révélant l’abdomen de ceux qui les portent. Ces habits sont conçus pour franchir les check points de manière « élégante » tout en étant « pratiques », puisque les soldats israéliens demandent systématiquement aux hommes de montrer leur ventre afin de s’assurer qu’ils ne portent pas une ceinture d’explosifs…
L’abstraction peut être une autre solution. Avec Palestine from the Jordan to the Mediterranean, Samia Halaby présente une sorte de test de Rorschach polychrome évoquant une « cartographie imaginaire » ou une « projection mentale » d’un éventuel État palestinien. Beau, symphonique et irréel.
« Oui, les artistes palestiniens vivent les affres d’un conflit qui dure depuis soixante ans, analyse Mona Khazindar. Nombre d’entre eux sont expatriés et ceux qui restent en Palestine ont du mal à se déplacer, à exposer, à montrer leur travail, à échanger avec leurs contemporains. Mais leurs œuvres ne sont pas seulement des œuvres de revendication – il y a de l’optimisme et de l’espoir. » S’il présente avec Standby 60 une série de sept tableaux plutôt sombres – il utilise le goudron comme « symbole de l’état de latence du peuple palestinien » –, Hani Zurob exprime sa volonté d’être considéré d’abord comme un artiste, ensuite comme un humain et enfin comme un Palestinien. « Standby 60 est une forme d’engagement, bien sûr. Mais j’essaie de m’exprimer dans un langage universel qui me permet de raconter une histoire collective. » La position n’est pas évidente à tenir. « Qu’on le veuille ou non, nous sommes vus à travers le prisme du conflit israélo-arabe », explique Batniji.
C’est d’ailleurs hors de Palestine que ces artistes, souvent réunis dans des expositions collectives, ont davantage l’opportunité de s’exprimer. Les galeries qui présentent le travail de Zurob se trouvent à Paris, Marrakech et Atlanta. Batniji participera bientôt à une exposition à Berlin et l’on peut voir actuellement ses œuvres à Venise, parmi celles de six de ses compatriotes sélectionnés pour Palestine c/o Venice, une manifestation organisée à l’occasion de la 53e biennale d’art contemporain (voir J.A. n° 2526).
Sur place, les structures manquent, mais il reste possible de présenter ses œuvres au public qu’elles sont susceptibles de toucher. « Il n’y a guère de galeries et de lieu pour exposer, analyse Batniji. En particulier à Gaza. Mais j’ai pu y présenter des œuvres à Gaza ainsi qu’en Cisjordanie, sans y aller moi-même. Dans des centres culturels, des associations, des lieux alternatifs, au YMCA… Et puis j’expose partout dans le monde, en Europe, aux États-Unis, en Afrique… » Les artistes palestiniens n’ont plus de maison ; ils s’imposent dans les musées. Bien longtemps après la guerre civile espagnole et la révolution de 1830 en France, Guernica et La Liberté guidant le peuple continuent de nous parler…
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