Avis de séisme en Afrique de l’Ouest

Ouvrir une banque est devenu un sport dans l’Union monétaire ouest-africaine, qui en compte plus de cent. Une bonne nouvelle pour le financement de l’économie. Mais cette inflation d’établissements atteint ses limites.

Publié le 24 juin 2009 Lecture : 6 minutes.

Coris Bank International va ouvrir sa première filiale bancaire à Abidjan. Venue du Burkina, pays qui compte douze banques, elle succédera au guichet de transfert d’argent dont Coris disposait jusqu’à présent en Côte d’Ivoire. Coris sera la 21e banque ivoirienne, dans l’ordre chronologique. Et 104e ou 105e dans l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), qui réunit les huit pays francophones d’Afrique de l’Ouest. « Pendant des années, il n’y avait que trois ou quatre banques par pays, témoigne Abdoul Mbaye, ancien administrateur de la Banque sénégalo-tunisienne (BST) et fonctionnaire de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Depuis cinq ans, leur nombre ne cesse de croître ! »

Le dynamisme économique qu’a connu la région ces dernières années, avec une croissance de 3 % par an en moyenne, et la normalisation progressive de la situation politique en Côte d’Ivoire ne sont pas étrangers à ce phénomène de multiplication bancaire. En 2007, la région comptait 96 banques, note la Commission bancaire de l’UMOA dans son dernier rapport. Le prochain, consacré à l’exercice 2008, ne paraîtra qu’en août. Selon le pointage effectué pour nous par le Club des dirigeants des banques d’Afrique, il devrait valider la présence de 102 banques dans les huit pays de la région. « C’est beaucoup trop ! » s’exclame Abdoul Mbaye, qui déplore que la majorité de ces établissements soient en fait des PME. À titre de comparaison, le Nigeria compte 20 banques pour 147 millions d’habitants – la population de l’UMOA est de 92 millions d’habitants – et la troisième nigériane gère autant d’actifs que les cent francophones.

la suite après cette publicité

Tout le monde n’est pas de l’avis de notre expert de la Banque centrale : « Elles ne sont pas assez nombreuses, réagit Didier Acouetey, dont le cabinet de ressources humaines, AfricSearch, est présent dans plusieurs des pays concernés. Les nouvelles banques sont dynamiques et les entreprises peuvent obtenir de meilleures conditions en les mettant en concurrence. » De fait, les cent ont financé les économies à hauteur de 7 100 milliards de F CFA (16 milliards de dollars) en 2007, en progression de 17,7 % en un an. Les autres indicateurs bancaires affichent également une forte croissance sur l’année : 19,1 % pour le total de bilan, 23 % pour le nombre d’agences (la zone en compte un millier) et 14,4 % pour le nombre de comptes bancaires. La Commission bancaire établit le taux de bancarisation (rapport du nombre de comptes à la population active) à 6,1 % avec une pointe à 21,6 % au Togo. Là réside la principale raison de l’effervescence : « La marge de progression est encore très importante », commente Gabriel Fal, PDG de CGF Bourse, basé à Dakar. De fait, amener la Côte d’Ivoire (10,7 %) au niveau du Togo représenterait l’ouverture d’environ un demi-million de comptes dans ce seul pays.

Plusieurs banquiers l’ont bien compris et tirent leur épingle du jeu. « Nous sommes partis de zéro il y a trois ans exactement. Nos comptes de résultats ont atteint l’équilibre à la mi-2008, année sur laquelle l’activité a doublé », témoigne à Abidjan Jean-Pierre Carpentier, directeur général de Bridge Bank. Filiale à 85 % du groupe Teylium, de l’homme d’affaires sénégalais Yérim Sow, très connu en Côte d’Ivoire pour y avoir lancé le premier réseau GSM (vendu en 2005 à MTN), Bridge Bank va ouvrir deux agences en Côte d’Ivoire cette année et des filiales dans deux pays voisins d’ici à 2010. Elle ne représente que 2 % du marché, soit dix fois moins que la première ivoirienne, la SGBCI, mais elle s’est imposée sur la frange haut de gamme de la clientèle : « Pour réussir sur un marché aussi concurrentiel, il faut soit de gros moyens, comme les banques nigérianes, soit partir de zéro mais avec des idées originales », ajoute Jean-Pierre Carpentier. Bridge Bank a ouvert un département de banque d’affaires, à l’instar de consœurs plus puissantes comme Bank of Africa (BOA) ou Ecobank, deux groupes nés en Afrique de l’Ouest francophone, d’où ils ont étendu leurs activités jusqu’en Afrique de l’Est et en Afrique australe.

30 groupes, 75 % des actifs

la suite après cette publicité

Suivant ces modèles, un nouveau paysage bancaire se dessine en Afrique subsaharienne francophone, avec l’émergence de groupes locaux qui exportent progressivement leur réussite dans les pays voisins, à l’instar d’Atlantique Financial Holding (AFH), créé par l’homme d’affaires ivoirien Koné Dossongui en fusionnant deux banques ivoiriennes, la Baci et la Cobaci. AFH vient de s’implanter en Afrique centrale en reprenant, début juin, l’enseigne camerounaise Amity Bank. Ces stratégies reçoivent en outre l’appui d’investisseurs en capital comme Cauris Management, basé à Abidjan et à Ouagadougou, qui a souscrit à l’augmentation de capital d’AFH au début de l’année et en détient 15 %, comme il est entré au capital de Bridge Bank, à hauteur de 10 %.

Pour ce fonds d’investissement, la banque est un secteur rentable : « Notre participation dans BOA Côte d’Ivoire, dont nous sommes sortis en 2006, avait été multipliée par trois en huit ans », témoigne Vissého Thierry Gnassounou, directeur associé de Cauris Management. C’est sans doute en visant une telle rentabilité – quelque 20 % par an ! – que l’américain Emerging Capital Partners (ECP) a pris 90 % du capital de Financial Bank, présent dans cinq pays (Bénin, Tchad, Gabon, Guinée et Togo), pour un montant que l’on peut estimer à 10 milliards de F CFA.

la suite après cette publicité

Hélas, la médaille a son revers. À le regarder de plus près, le paysage bancaire ouest-africain se découpe en deux groupes. En tête, une trentaine de grandes banques, dont les filiales des françaises BNP Paribas et Société générale, les réseaux africains comme BOA et Ecobank, aux côtés du numéro un marocain Attijariwafa Bank, qui prend progressivement depuis le début de l’année le contrôle des filiales du Crédit agricole en Côte d’Ivoire, mais aussi au Cameroun, au Congo et au Gabon, après s’être implanté au Mali et massivement au Sénégal en rachetant successivement la Banque sénégalo-tunisienne (BST) puis la CBAO, numéro un local. Son compatriote BMCE Bank est de son côté partenaire de BOA, dont il détient 42,5 % du capital. Ces grands groupes ont en commun d’avoir pris soin, ces deux dernières années, de s’implanter en Europe, où ils peuvent accompagner leur clientèle. Ils représentent 75 % du total de bilan des 100 banques de l’UMOA, 62 % du nombre de comptes et 58 % des agences.

Près de 80 moyennes et petites banques se partagent le reste dont certaines, très offensives, sont les bases francophones des futurs géants d’origine nigériane dans la région. Access Bank, qui vise à être présente dans 22 pays dans cinq ans, et United Bank for Africa (UBA), qui prévoit d’en ajouter cinq par an à une liste qui comprend déjà la Côte d’Ivoire et le Sénégal, sont les plus offensives et disposent d’importants moyens : « En six mois, nous avons construit notre siège et ouvert trois agences », rappelle Abdul Aziz Dia, directeur général de la filiale sénégalaise d’UBA. Dans leur sillage, Diamond Bank (8e banque du Nigeria), Zenith Bank (7e) et Skye Bank (11e) prévoient d’ouvrir des succursales en Côte d’Ivoire dès cette année. « Voilà l’effet pervers de la libéralisation à outrance, regrette Abdoul Mbaye. Les banques étrangères choisissent ce marché parce qu’il est petit et dispersé. »

Restructuration en cours

« Il n’y aura jamais assez de banques pour financer l’économie, mais une sélection naturelle va s’opérer, comme cela s’est passé au Nigeria, rétorque Martin Djedjes, administrateur directeur général de la BIAO-CI, à Abidjan. Tout le monde ne pourra pas suivre et le paysage va se clarifier. » En imposant un seuil minimum de capital élevé, la Banque centrale du Nigeria avait provoqué une vague de concentrations, cent petites et moyennes banques conduisant à la création de vingt géantes. Sur le même principe, la BCEAO a décidé de porter à 5 milliards de F CFA à partir de 2010, puis à 10 milliards de F CFA dans une seconde étape, le capital minimum des banques en Afrique de l’Ouest francophone. « Dans un avenir proche, nous ne compterons plus qu’une soixantaine de banques », conclut Blaise Ahouantchédé, directeur général du Groupement inter­bancaire monétique de l’UEMOA. Reste à savoir quelles seront leurs nationalités : nigérianes, marocaines, françaises ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Les banques africaines face à la crise

À la conquête de l’Afrique de l’Ouest

Contenus partenaires