Boucar Diouf

Fils de cultivateurs sénégalais devenu docteur en océanographie puis humoriste, il est le premier Africain porte-parole de la Fête nationale du Québec.

Publié le 24 juin 2009 Lecture : 5 minutes.

À peine a-t-il franchi les portes du marché couvert Jean-Talon, à Montréal (Canada), que quelques sourires apparaissent sur le visage des gens qu’il croise. Boucar Diouf ne passe pas inaperçu. On le salue, on le tutoie comme un ami. À cause de sa silhouette élancée et de sa démarche nonchalante, sans doute, mais surtout parce que tout le monde le reconnaît. Petites tresses pointant vers le ciel, large sourire et regard pétillant, il se sent comme un poisson dans l’eau dans ce marché, le plus populaire de la ville.

Son écharpe aux couleurs vives ne détonne pas au milieu des empilements de fruits et légumes frais. Sonorités chantantes dans la voix, c’est avec un fort accent sénégalais que le Néo-Québécois raconte son attachement à cette grande halle. D’abord, parce qu’elle manifeste une extrême diversité culturelle : les boucheries halal y côtoient les épiceries italiennes et d’innombrables étals de toutes origines. Ensuite, parce que c’est le décor de Des Kiwis et des hommes, l’émission culinaire estivale qu’il présente depuis trois ans sur la chaîne nationale Radio Canada. Quatre-vingt-dix minutes durant, les téléspectateurs y découvrent en direct l’art et la manière de bien manger et de bien cuisiner. De grands chefs y livrent leurs secrets, tandis que le Dr Boucar analyse des données scientifiques, composition moléculaire des carottes ou processus de brunissement des bananes…

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Il y a encore quatre ans, Diouf n’était qu’un chroniqueur parmi d’autres dont les interventions étaient cantonnées à la chimie des aliments. En 2006, l’un des deux animateurs s’étant retiré, Boucar est pressenti pour le remplacer. « Je les ai prévenus que j’étais avant tout un scientifique, que je ne connaissais rien à la télévision, et que, s’ils m’engageaient, ce serait avec tous mes défauts. Et avec mon accent ! » raconte-t-il.

Ce n’est pourtant pas seulement grâce à la télévision que les Québécois ont découvert ce natif du Sine-Saloum. Mais aussi grâce à la scène. Dès le début, ils ont adoré ce drôle d’oiseau vêtu de boubous colorés débitant à la manière d’un conteur des anecdotes africaines. En 2005, ce spectacle valut même à Boucar Diouf le Prix de la révélation dans un festival local, le Grand Rire de Québec.

Il se souvient avec émotion de la manière dont il a été conduit à tenter sa chance sur les planches. Après un doctorat en océanographie à l’Université du Québec, à Rimouski, il est chargé d’un cours de physiologie animale et de biochimie dans ce même établissement. Il le conservera huit ans. Pour aider ses étudiants à assimiler le nom des molécules biochimiques et des atomes, il utilise l’arme de… l’humour. Ses talents comiques font à ce point l’unanimité que ses élèves le convainquent de s’inscrire à un concours de jeunes talents. Juste pour rire.

En mars 1999, il remporte la finale régionale avec un sketch décrivant avec ironie la société québécoise. Peu à peu, il se prend au jeu et accumule les textes. En mariant contes, sketches et tam-tam, il narre tel un griot les aventures de son grand-père et son arrivée au Canada. Son objectif : faire rire et réfléchir. Son créneau : le choc culturel. Dans les galas auxquels il participe, il surprend, rafraîchit et, très vite, se distingue des nombreux humoristes de la province. Son premier spectacle, D’hiver cité, est un succès à Montréal comme dans les régions. Sa réussite, il la doit à sa manière de faire voyager le spectateur et à sa proximité avec le public. Après ses spectacles, il prend le temps de répondre aux questions et n’hésite pas à raconter son histoire personnelle.

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Sixième enfant d’une famille qui en compte neuf, Boucar, dont les parents sont sévères, travaille très tôt dans les plantations d’arachides, quand il ne garde pas les troupeaux de zébus. « Un travail tellement pénible que j’ai vite compris le rôle salvateur de l’école », dit-il. À 15 ans, il réussit à intégrer la faculté de sciences de l’université Cheikh-Anta-Diop, à Dakar. Il y obtient une maîtrise, puis une attestation d’études approfondies en océanographie, indispensable pour s’inscrire en thèse. Il décroche ensuite une bourse de la Francophonie pour terminer son troisième cycle au Canada. L’Université du Québec est en effet en pointe pour tout ce qui concerne les sciences de la mer. À la fin de 1991, l’étudiant fraîchement débarqué vit une deuxième naissance. « Il a fallu tout réapprendre. Je ne savais même pas fermer une porte, je venais du pays des cases… »

Les premières semaines sont difficiles. Il hésite sur le sujet de sa thèse et se décide pour « La résistance au froid chez les éperlans ». Pas très loin, au fond, de sa propre réalité quotidienne ! Il se souvient du choc thermique ressenti en arrivant dans le Grand Nord. Boucar Diouf a fini par s’approprier son nouveau pays, ce qui ne l’empêche pas de conserver des liens très forts avec le Sénégal. Il y retourne souvent et envoie de l’argent à la famille. « Parfois, dit-il, on garde une image figée de son pays et, quand on y retourne, on s’aperçoit que les choses ont changé. La nostalgie se transforme alors en déception. » Mais ce sentiment ne dure pas : Boucar sait bien que, jusqu’ici, la vie lui a plutôt souri.

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Sa vision de l’intégration est désarmante de simplicité : « Si tu veux t’intégrer, tu dois aller vers les autres, embrasser leur culture. Ensuite, tu peux l’africaniser. » Son modèle en la matière ? L’écrivain franco-libanais Amin Maalouf. « Il affirme que l’identité est un tout. Ce n’est pas parce qu’on s’avance vers autrui qu’on la perd. J’ai participé à tous les événements de Rimouski. Quand les gens ont commencé à me considérer comme l’un des leurs, ils se sont ouverts à ma culture. »

En quittant la presqu’île de Gaspésie pour la ville de Québec, où il demeure désormais avec Caroline, son épouse, il n’a pas renoncé à ses diverses activités dans la société civile. « Il n’y a pas une région où je ne sois allé », dit-il. Les écoles l’invitent pour qu’il lise ses contes, les congrès corporatifs pour qu’il parle d’intégration. Pour lui, la régionalisation de l’immigration est une nécessité : « Ne serait-ce que pour trouver du travail, les migrants doivent être plus nombreux à s’installer dans les régions plutôt qu’à Montréal. »

Selon lui, le Québec est encore une terre vierge, accueillante. Tout le contraire de la France, d’où nombre de ses amis universitaires sont revenus désabusés. « Là-bas, les chances de réussite sont réduites pour un “négro”. Ici, je me sens comme un pionnier. »

Inspiré par son fils Anthony, 16 mois, son prochain spectacle aura pour thème l’hybridation culturelle. « Mes fruits poussent maintenant au Québec. L’identité, ce n’est pas seulement les racines. Je suis un baobab de la savane replanté sur la banquise. » Une « banquise » qui lui a demandé d’être le porte-parole de la Fête nationale, le 24 juin. Une nomination hautement symbolique.

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