El Himma : la victoire, et après ?

Mission accomplie pour « l’ami du roi », dont la formation, le PAM, a remporté les communales du 12 juin, notamment dans les campagnes, et qui a réussi son pari de mettre un terme à l’atomisation de l’échiquier politique.

Publié le 23 juin 2009 Lecture : 6 minutes.

Ce n’est pas un tracteur, c’est un bulldozer. Le Parti authenticité et modernité (PAM) n’aurait pas dû se donner comme emblème un modeste véhicule agricole mais un puissant engin de terrassement. Avec 6 015 sièges (21,7 % des voix), la nouvelle formation politique fondée par Fouad Ali El Himma, ancien ministre délégué à l’Intérieur, est arrivée en tête des élections locales du 12 juin. Elle est suivie par l’Istiqlal du Premier ministre Abbas El Fassi, qui en obtient 5 292 (19,1 %). L’Union socialiste des forces populaires (USFP) n’arrive qu’en quatrième position et le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) en sixième. Alors que le royaume compte une nuée de partis (une trentaine), huit d’entre eux seulement contrôlent 90 % des sièges et 84 % des voix. 

Arrivée massive des femmes

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La victoire du PAM, le parti de « l’ami du roi » qui a vu le jour il y a moins d’un an, a surpris. Et relancé la comparaison infamante avec les « partis Cocotte-Minute » concoctés depuis l’indépendance au ministère de l’Intérieur la veille des élections… qu’ils gagnaient miraculeusement. Le lointain successeur de feu Driss Basri, Chakib Benmoussa, dont personne ne met en doute l’intégrité et l’impartialité, a rappelé que le PAM a aligné le plus grand nombre de candidats et n’est pas si nouveau puisqu’il regroupe cinq partis implantés de longue date. Ceux-ci avaient participé aux consultations de 2003 et avaient obtenu 9 % des sièges et 10 % des voix.

Le taux de participation (52,4 %) est appréciable. Légèrement inférieur à 2003 (54 %), on est loin des 37 % des législatives de 2007. Plus de 60 % des élus vont siéger aux assemblées locales pour la première fois ; 18 % d’entre eux ont moins de 35 ans. Plus de 50 % ont un niveau d’instruction secondaire ou supérieur. Chez les femmes élues, cette proportion passe même à 71 %. L’événement majeur du scrutin du 12 juin est peut-être cette arrivée massive des femmes dans la gestion des municipalités. Alors qu’elles n’étaient que 127 en 2003, elles sont aujourd’hui… 3 406, soit vingt-six fois plus ! On doit cette augmentation spectaculaire à l’introduction d’un quota de 12 %. Conjuguée à la réforme du code de la famille (Moudawana), l’émergence des femmes dans les instances de responsabilité ne manquera pas de modifier sensiblement le paysage politique. 

Le PJD, premier parti urbain

En attendant, c’est la victoire du PAM qui retient l’attention et nourrit discussions et spéculations. Maintenant que « l’ami du roi » s’est octroyé par les urnes le premier parti du royaume, que va-t-il faire, en particulier dans la gestion des grandes villes et par rapport au gouvernement d’Abbas El Fassi ? À y regarder de près, cette victoire incontestable et méritoire doit être relativisée, pondérée, nuancée. Les élections du 12 juin sont régies par deux modes de scrutin : uninominal dans les petites localités et de liste dans les municipalités de plus de 35 000 habitants. Or si le PAM l’a emporté en sièges et en suffrages, il n’arrive, lorsqu’on examine les résultats des villes, qu’en troisième position, derrière l’Istiqlal et le PJD. Le premier parti urbain est bien le parti islamiste. Et sur les quelque 6 000 élus que compte le PAM, 5 500 proviennent des campagnes. 

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Redistribution des cartes

Toutes ces cohortes de notables et de barons qui avaient pris d’assaut le congrès constitutif du « parti du roi » en février dernier (voir J.A. n° 2512) se sont retrouvés le plus naturellement du monde dans les assemblées issues des urnes. Le caractère résolument rural du « parti du tracteur », ainsi que le PAM se dénomme lui-même, ne va sans doute pas arranger ses affaires dans la constitution des conseils municipaux et l’élection des maires des grandes villes. Les opérations de vote ne doivent s’achever que le 27 juin, mais on peut déjà se faire une idée des alliances et de la redistribution des cartes provoquées par l’irruption du PAM.

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À Fès, le maire, Hamid Chabat, l’homme fort de l’Istiqlal, demeure apparemment indéboulonnable. Stabilité probable également à Casablanca avec Mohamed Sajid, un proche de Driss Jettou, l’ancien Premier ministre, qui se présente pour la forme sous le label de l’Union constitutionnelle (UC). Il bénéficie des voix du PJD, mais n’est pas certain d’avoir celles du PAM. À Agadir, un autre maire, socialiste celui-là, Tarik Kabbaj, n’a pas démérité et a toutes les chances de rempiler. Il aura besoin pour être élu de deux voix que le PJD lui offrira volontiers. Renvoi d’ascenseur à Tétouan, dans le Nord : un professeur islamiste, Id Omar, devrait être maire grâce à l’appoint de l’USFP. Mais c’est dans la capitale que se déroule la pièce la plus palpitante. Le maire sortant, Omar Bahraoui, qui occupe le terrain depuis dix ans, est un homme très puissant qui, dit-on, a beaucoup de moyens et de nombreux amis. Au soir du 12 juin, aucun parti n’avait vraiment gagné de manière à contrôler le futur conseil municipal. Premiers ex aequo, le PJD, le PAM et le Mouvement populaire (MP), dont se réclame le maire, ont tous 19 sièges. Tous les autres – USFP, Istiqlal, Rassemblement national des indépendants (RNI) – ont chacun moins de 10 sièges. Mais dès le lendemain du vote, choqués par les méthodes de Bahraoui, ses différents adversaires étaient décidés à lui barrer le chemin de la mairie. Un « Front anticorruption » s’est constitué, regroupant l’Istiqlal, l’USFP (qui sont alliés au sein de la Koutla, au pouvoir), mais aussi le RNI et le PJD. Ce n’est pas tout : le PAM, qui avait inconsidérément soutenu le maire, devient victime de la « transhumance » et perd six élus qui rejoignent le Front. 

La bataille de Rabat

Dans ces conditions, si Bahraoui a peu de chances de retrouver son fauteuil, son successeur reste incertain. Lahcen Daoudi, islamiste, originaire de Fès, est sur les rangs. Arithmétiquement, il est le mieux placé. Politiquement, c’est autre chose. Tout le monde parle plutôt du socialiste Fathallah Oualalou. Fils de Rabat, dont il a été longtemps député, ancien ministre des Finances, respecté de tous, il serait un excellent maire de la capitale. Mais, « question de tempérament et d’éthique », on ne le voit pas entrer en lice sans un accord préalable – qui n’est pas du tout exclu – avec le PJD… Tout au long de ces élections, le parti islamiste a fait preuve d’un pragmatisme remarquable qui porte ses fruits et accélère son intégration dans la vie politique du royaume.

Ces rivalités et tractations, au demeurant inséparables d’une démocratie vivante, si elles relativisent la victoire du PAM, ne la diminuent en rien et n’annulent pas ses répercussions. Il ne faut pas se leurrer, Fouad Ali El Himma, qui domine la scène politique depuis qu’il a quitté le gouvernement, continuera sans doute à l’animer. En créant le PAM, il se donnait pour objectif de stopper l’éparpillement et l’atomisation de la classe politique, et il y est parvenu le 12 juin. C’est en grande partie à lui qu’on doit le regroupement de 90 % des suffrages sur 8 partis. Il reprochait par exemple à un parti qui ratisse large, comme le MP, de n’avoir pas de « projet ». Mais quel est au juste son projet à lui ? Quelle attitude va-t-il adopter à l’endroit du gouvernement d’Abbas El Fassi ? Faute du soutien du nouveau parti, celui-ci n’a plus, sur le papier, de majorité au Parlement, mais sa chute n’est pas pour autant imminente. Il n’est pas en sursis, il est sous surveillance. « Si Fouad » est l’épée de Damoclès qui plane sur la tête de « Sidi Abbas ».

Une autre mission impartie au PAM : désamorcer l’éventuel retrait du gouvernement de l’USFP. Les socialistes supportent mal leurs déboires électoraux et caressent l’idée de se refaire des forces dans l’opposition. Éventualité, on s’en doute, plus tentante à la base qu’au sommet. Mais elle n’est pas absolument improbable. Or, au cas où l’USFP se retirerait du gouvernement, le choc serait amorti, ne serait-ce que parce que le PAM l’a déjà précédée sur cette voie. En outre, les socialistes devraient partager les délices de l’opposition avec les amis de l’incontournable El Himma. On le voit, l’opération PAM ne manque pas d’habilité et son fondateur a du pain sur la planche. Les Marocains, abreuvés jusqu’à plus soif par leurs nombreux journaux, vont beaucoup parler de ses faits et gestes. Se réconcilieront-ils pour autant avec la politique ?

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