Facebook fait de la politique

Les internautes africains deviennent accros des réseaux sociaux. Certains utilisent même le Web comme outil de propagande politique. Ainsi, le célèbre site est devenu un lieu privilégié pour faire campagne dans le cyberespace.

Publié le 23 juin 2009 Lecture : 6 minutes.

C’est « le livre des visages », celui où chacun peut exposer sa vie, qu’il soit inconnu ou très connu. Du bachelier de Ouaga à l’étudiante d’Ispahan, du commerçant de Katiola au chef de l’État américain, il est de bon ton d’avoir son « profil » en ligne. Aujourd’hui, plus de 200 millions de personnes ont investi ce réseau social et en ont fait le deuxième site le plus visité au monde derrière YouTube et devant Myspace.

Entièrement gratuit, Facebook repose sur un principe simple : la possibilité donnée à n’importe qui de créer un « espace personnel », le fameux « profil ». Ce dernier peut accueillir des commentaires, des photos, des vidéos, des carnets de voyages ou toute forme de documents téléchargeables sur la toile, offerts en partage à des millions d’autres internautes. Son but : rapprocher les gens, trop occupés à tapoter sur leur clavier d’ordinateur pour avoir le temps de se rencontrer dans le monde réel. L’accès est finalement assez simple : il faut d’abord maîtriser quelques mots nouveaux comme « bloguer » (écrire des textes), « chatter » (échanger en temps réel avec ses amis), « poker » (signaler sa présence). Ensuite, apprendre quelques gestes techniques pour mettre en ligne ses dernières photos ou une vidéo. Le site permet de constituer des groupes d’amis – réels ou virtuels – ou de rassembler des gens qui ont les mêmes centres d’intérêt.

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Au-delà du fait d’abolir les frontières, ce réseau s’avère être un formidable outil de mobilisation, voire de propagande politique. Les groupes de fans partagent ainsi un intérêt pour une même cause ou se mobilisent autour d’une même personnalité. Du militant politique au défenseur des animaux en passant par les inconditionnels de la pelote basque, ils sont plus de 10 millions à avoir rallié ces espaces d’expression. « Obama a su utiliser très intelligemment Internet, particulièrement Facebook, pour remporter les élections aux États-Unis », estime le Béninois Ernest Coovi Adjovi, le fondateur des Kora All Africa Music Awards, qui possède son propre espace avec 400 participants. « Cet outil a été déterminant dans la mobilisation autour de sa candidature. »

En Afrique, le Web deviendrait-il également l’accompagnateur indispensable des campagnes présidentielles ? Sans avoir le même succès que celui du nouveau président américain, lequel, avec plus de 7 millions de fans, bat tous les records d’affluence, Facebook est, en tout cas, l’endroit où il faut être si l’on veut jouer la carte de la propagande dans le cyberespace.

Baromètre de popularité

Facebook donne un aperçu des débats en vigueur dans plusieurs pays tout en révélant la popularité de certaines personnalités. Les États qui affichent encore un faible taux de connexions, comme le Niger, le Burkina ou la Guinée (le président Moussa Dadis Camara ne compte qu’une poignée de supporteurs sur la Toile), sont peu visibles sur Facebook. En revanche, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Bénin, ils sont de plus en plus nombreux, candidats déclarés ou non à un scrutin, à comprendre tout le potentiel de ce site.

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D’où la nécessité d’y être présent, de mobiliser autour de son nom et d’utiliser sa vie privée comme une carte de visite potentiellement consultable par toute la planète. « Je ne suis absolument pas gêné d’étaler ma vie privée. Je revendique ainsi mon droit à la liberté de vivre comme tout un chacun », résume Ernest Coovi Adjovi, qui ne cache pas ses ambitions politiques dans son pays, le Bénin. Le dynamisme des diasporas fait de Facebook un site très prisé des Africains, particulièrement des jeunes et des élites, même si le continent ne compte que 2 millions d’inscrits, dont une majorité en Afrique du Sud.

L’approche d’un scrutin révèle un véritable engouement. Elle provoque même un formidable déchaînement. En ordre de bataille, les militants créent des « forums de discussion » ou des « groupes de fans » pour inviter telle ou telle personnalité à descendre dans l’arène politique. L’exemple le plus emblématique est celui du président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), le Béninois Abdoulaye Bio Tchané. Près de 200 personnes ont rejoint le groupe de ses cyberpartisans, « Abdoulaye Bio Tchané pour un Bénin prospère en 2011 », créé par des jeunes intellectuels favorables à la candidature de l’ancien directeur Afrique au Fonds monétaire international (FMI) à la prochaine présidentielle au Bénin.

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« Cela fait trois ans que Yayi Boni est au pouvoir et les espoirs que le peuple a placés en lui sont loin d’être satisfaits », estiment-ils. Ce lobbying déplaît d’autant moins à l’intéressé que celui-ci n’hésite pas à attaquer ouvertement le président Yayi sur sa page Facebook.

Chacun compte ses fans

Parmi les dirigeants africains, Denis Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville, a cinq pages à son nom, Nelson Mandela en compte plusieurs dizaines, alors que Jacob Zuma est très discret sur le réseau. Au Togo, le président Faure Gnassingbé apparaît sur Facebook alors que l’opposant de toujours, Gilchrist Olympio, en est absent. Les morts ont parfois plus de succès que les vivants : ainsi l’ex-révolutionnaire Thomas Sankara (décédé en 1987) ne compte pas moins de sept « profils » à son nom, avec photo de lui en jeune capitaine, alors que le président Blaise Compaoré n’a, lui, pas encore de page. À noter cependant que n’importe qui peut ouvrir une page sous n’importe quel nom. Les utilisateurs ne sont pas toujours ceux que l’on attend. Un « jeune » de la politique comme Guillaume Soro, actuel Premier ministre ivoirien, n’a pas de page personnelle. Les candidats à la présidentielle, en revanche, ont tous leurs réseaux de soutien sur Facebook. Les multiples groupes de fans et les 740 « supporteurs » d’Alassane Dramane Ouattara (contre 600 pour le président Laurent Gbagbo et 437 pour Henri Konan Bédié) estiment que l’ancien Premier ministre d’Houphouët-Boigny est « le seul qui peut relever la Côte d’Ivoire au niveau qui est le sien ». À l’écart de la campagne, Charles Konan Banny conserve un réel capital de sympathie. Son fan-club compte 180 membres. L’un des outsiders de l’élection, l’ancien directeur des Douanes, Gnamien Konan, revendique 600 membres.

Au Sénégal, Facebook est devenu une vitrine de la culture démocratique. Le groupe « Idrissa Seck-Next President », qui soutient l’ancien Premier ministre, compte des dizaines de membres. Autre ancien locataire de la primature, Macky Sall peut, lui aussi, tester sa popularité. « L’heure est grave pour notre cher Sénégal ! Pincez tous vos koras et frappez les balafons, l’heure du combat pour un Sénégal libre et démocratique a sonné », lit-on en guise d’introduction de son groupe de fans « Macky Sall-Apr-Yaakaar â¨Travail-Solidarité-Dignité-2012 », qui compte déjà 300 signatures.

Mais ce sont les débats autour d’une possible candidature de Karim Wade qui déchaînent le plus les passions sur Facebook. Si le fils d’Abdoulaye Wade possède des dizaines de soutiens (« Karim Wade, futur président », « Karim Wade 2012 », etc.), ses opposants sur le Web sont encore plus nombreux. À eux seuls, les groupes « Non à Karim Wade président » dénombrent plus de 1 300 membres.

Vitrine du militantisme, Facebook est également celle de l’actualité africaine. Les 1 600 supporteurs d’Omar Bongo Ondimba ont suivi avec attention l’évolution de l’état de santé du président gabonais au cours du mois de mai. Sur la page « Long Live Omar Bongo ! », les autorités gabonaises sont elles-mêmes montées au créneau pour dénoncer une « campagne de démolition » du doyen des chefs d’État africains jusqu’à son décès dans une clinique de Barcelone le 8 juin dernier. « Le Gabon, havre de paix, est très convoité par les colporteurs de zizanie », affirmait début juin l’une des membres.

Si on ignore encore l’influence réelle de Facebook sur le terrain en Afrique, l’important est de vivre avec son temps et d’être au diapason de son époque. « Personnellement, je ne pourrais plus voter pour un candidat africain qui ne comprendrait pas l’importance d’Internet. Pire : qui ne saurait pas s’en servir », conclut Adjovi.

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