Requiem à Libreville
Avec les obsèques du président Omar Bongo Ondimba, le pays a tourné une page de son histoire. Désormais, c’est sa succession qui focalise toutes les énergies.
Dans la foule massée aux abords du boulevard de l’Indépendance, on ne parle que de l’ancien président français, Jacques Chirac. Il a beau essayer de passer inaperçu, tous les regards convergent vers lui. On dévore des yeux sa silhouette à peine plus voûtée qu’au temps où, tout sourires, il prenait des bains de foule à Libreville en compagnie de son ami Bongo. Aujourd’hui, l’heure est au recueillement, et l’armée s’apprête à honorer la mémoire du défunt par un défilé militaire, avant le départ de la dépouille vers sa terre natale, dans le Haut-Ogooué. Les conversations évoquent, avec une pointe de nostalgie, le panache de l’ancien locataire de l’Élysée quand il s’agissait de flatter le chatouilleux orgueil national gabonais. Aujourd’hui, on l’aperçoit se frayant un chemin au milieu d’une foule d’anonymes qui montent les marches de la tribune officielle, dont les sièges du premier rang sont réservés aux douze chefs d’État présents.
Face à l’océan
Parmi eux, l’Afrique centrale est représentée en masse : le Tchadien Idriss Déby Itno, le Camerounais Paul Biya, le Congolais Denis Sassou Nguesso, l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema et le Centrafricain François Bozizé pour la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), mais aussi Joseph Kabila (RD Congo), Fradique de Menezes (São Tomé) et Pierre Nkurunziza (Burundi). Pour l’Afrique de l’Ouest, le Béninois Boni Yayi, le Burkinabè Blaise Compaoré, le Sénégalais Abdoulaye Wade et le Malien Amadou Toumani Touré ont fait le déplacement. « Mais où est donc passé Nicolas Sarkozy ? » s’interrogent les curieux. Le chef de l’État français est déjà loin. Il a repris son avion sitôt achevé l’office œcuménique célébré au palais présidentiel.
Ceux qui ont conspué « Sarko » restent silencieux. L’heure est aux adieux. Installée sur un catafalque à quelques mètres des vagues de l’océan Atlantique, la dépouille d’Omar Bongo Ondimba entame sa dernière étape librevilloise, avant de quitter définitivement une capitale où tous les panneaux publicitaires affichent des messages d’affection, de reconnaissance et de regrets éternels. Pendant trois jours et trois nuits, des dizaines de milliers de personnes ont fait patiemment la queue pour rendre hommage à « Papa Bongo ».
Pour ceux qui ont veillé le corps du président, impossible d’éviter les chants et les danses funèbres du groupe des femmes du PDG (le Parti démocratique gabonais, au pouvoir), Kounabeli, fondé par l’ex-première dame, Patience Kama Dabany. Ni les pleurs « trop ostentatoires pour être sincères » de certains dignitaires du régime. En direct pendant trois jours, les caméras des chaînes de télévision publiques RTG1 et RTG2, des stations privées TV+ et Télé Africa n’ont pas arrêté de cadrer les visages en gros plan. « Papa, on t’a vu pleurer à la télé », dit le fils d’un ancien ministre à son père. Rassuré, l’intéressé peut rentrer se coucher avec le sentiment du devoir accompli.
« Aux Gabonais de choisir »
D’autres chefs de famille ont fait pression sur les membres de leur entourage qui ne se pressaient pas pour aller afficher leur chagrin au palais, aboyant des « Nous devons tout à Bongo ». On n’est jamais trop prudent. Avec la disparition du « patriarche », nul ne sait de quoi les lendemains seront faits. Ainsi, certains se sont bousculés autour de la chapelle ardente pour sentir la direction du vent et tenter d’obtenir des réponses aux nombreuses questions qui se posent en cette période d’incertitudes. Au bout de quatre décennies de régime Bongo, dont ils ont profité sans frein, ces Gabonais « d’en haut » avaient fini par croire que ça ne s’arrêterait jamais. Pourtant, l’impossible a fini par arriver. Il ne leur reste plus qu’à s’accrocher à une bouée de sauvetage pour ne pas couler. À la question existentielle de savoir à quel prétendant il faut s’en remettre pour ne pas se retrouver éjecté du système, la réponse est complexe. En tout état de cause, il est inutile de chercher du côté de la France. C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre Nicolas Sarkozy, qui a brièvement parlé à quelques journalistes avant de quitter Libreville. « C’est aux Gabonais de choisir », a tranché le président français. Peu importe qu’il ait reçu Pascaline « cinq ou six fois », qu’Ali ait eu droit à trois entretiens et que Jean Ping ait été aperçu à Paris début juin, où son ami Bruno Joubert, le Monsieur Afrique de l’Élysée, pourrait jouer les porteurs de messages. « La France n’a pas de candidat », a martelé Sarkozy.
Pour ces quelques centaines d’anxieux du gotha en quête d’une « équipe qui gagne », c’est le flou total. « Une chose est sûre, un écrémage de la classe politique est inéluctable. Seuls les plus brillants s’en sortiront », prédit un patron de presse. Il est loin le temps des parrainages et du clientélisme. Place au jeu de massacre politique. Décidément, les temps ont changé.
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