L’imprévu iranien

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Publié le 22 juin 2009 Lecture : 6 minutes.

Le monde entier s’interroge : que s’est-il passé en Iran ? Que va-t-il s’y passer ? Si la crise est résorbée, quelles traces laissera-t-elle ?

Le 12 juin était le jour de l’élection présidentielle ; le 13, celui où le pouvoir a osé proclamer que Mahmoud Ahmadinejad, candidat des conservateurs, a écrasé ses concurrents réformateurs et a été réélu triomphalement.

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Ces deux jours marquent-ils un tournant dans l’évolution politique de ce grand pays ? Probablement.

Mais, au fait, où en était l’Iran à la veille de cet imprévu ?

Terre d’ancienne et belle civilisation, l’Iran est l’une des plus grandes nations musulmanes.

Il détient d’énormes réserves de pétrole et de gaz ; il est l’un des plus grands exportateurs de ces deux sources d’énergie nécessaires au fonctionnement de l’économie mondiale et il s’apprête à devenir une puissance nucléaire civile et peut-être militaire.

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Les États-Unis et l’Europe, la Chine et la Russie considèrent ce pays comme une puissance régionale.

Ses 70 millions d’habitants appartiennent presque tous à la minorité chiite de l’islam, dont l’Iran est le centre depuis plus de cinq siècles. Ils sont en majorité jeunes, éduqués et urbanisés.

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Près de 4 millions d’Iraniens ont quitté leur pays pour l’Europe et les États-Unis, où ils constituent l’une des diasporas les plus bruyantes et les plus actives.

Leur histoire et leur contribution à la civilisation universelle le prouvent : les Iraniens forment un des grands peuples de l’Humanité. Mais, pour leur malheur, ils n’ont connu depuis près d’un siècle que des dictatures manipulées par l’étranger – et un pillage éhonté de leurs richesses par les Anglo-Saxons.

La Révolution de 1979 les a, certes, débarrassés d’un régime détestable installé par les États-Unis : celui du Shah et de sa police politique, la tristement célèbre Savak.

Mais le pouvoir n’a pas tardé à être confisqué par une oligarchie religieuse, celle des mollahs, comme on les appelle en Europe.

Le régime de la République islamique d’Iran que cette oligarchie a mis en place s’est mué peu à peu en semi-dictature.

C’est son aile conservatrice, personnifiée depuis vingt ans par le Guide suprême, Ali Khamenei, et, depuis 2004, par son bras exécutif, Mahmoud Ahmadinejad, président de la République, qui tient les rênes du pouvoir.

C’est elle qui a fait échouer l’expérience réformatrice de Mohammad Khatami au tournant du XXe siècle et c’est toujours elle qui vient de dresser un barrage devant Mir Hossein Moussavi, l’empêchant d’accéder à la présidence.

On en est là et nul ne sait comment les choses vont évoluer. Les meilleurs connaisseurs savent que l’Iran est une véritable « boîte à surprises » et mettent en garde contre tout pronostic hâtif.

L’un d’eux rappelle la mésaventure de cet officier supérieur des services de renseignements militaires israéliens, spécialisé dans les affaires iraniennes : le 22 août 1988, il témoignait devant la commission de la Défense et des Affaires étrangères de la Knesset, le Parlement de l’État hébreu. À l’époque, la guerre Irak-Iran, la plus longue de l’histoire moderne du Moyen-Orient, durait depuis huit ans. « Selon nos meilleures sources, déclara-t-il, nous estimons et prévoyons que cette guerre va se prolonger encore pendant de longues années. »

À peine revenu dans son bureau, il apprit par la radio que le Guide suprême de l’Iran, qui était alors l’ayatollah Khomeiny, venait de signer un cessez-le-feu avec l’Irak et que la guerre s’était donc achevée.

Au risque de me voir démenti par la suite des événements, je vous livre mon analyse et mon pronostic :

1. Tout l’indique : Ali Khamenei a voulu conserver Mahmoud Ahmadinejad à la présidence et l’a fait « réélire » contre vents et marées. Mais il n’a pas pensé un instant que des Iraniens par centaines de milliers et dans toutes les grandes villes se soulèveraient, jour après jour, pour protester contre le « déni démocratique » qu’il a cru pouvoir leur faire accepter.

Pas plus qu’il n’a imaginé que la hiérarchie des réformateurs se laisserait entraîner jusqu’à la limite de la rébellion.

2. Cela dit, le scrutin et la proclamation de son résultat datent maintenant de plus d’une semaine. Depuis le 14 juin, le « vainqueur » se meut sur la scène inter­nationale et à l’intérieur du pays comme si sa réélection ne souffrait aucune contestation.

Celui et ceux qui l’ont adoubé ne peuvent plus, à mon avis, faire marche arrière : ce serait un « suicide politique ».

Et d’ailleurs, on le sait bien : sous toutes les latitudes, les dictatures ont le plus grand mal à se réformer et à s’ouvrir, encore plus de mal à se dédire.

Celle des mollahs joue la montre, attend que la vague de protestations s’apaise, que les Iraniens – et le monde – acceptent le fait accompli.

3. Le régime d’Ali Khamenei – le chef, c’est lui, et le problème, c’est encore lui – a été ébranlé et a beaucoup perdu de son autorité et de sa légitimité. Mais il est là et bien là, toujours en place avec, en mains, les rênes du pouvoir : les Iraniens et les partenaires de l’Iran seront bien obligés de « faire avec ».

Gênés ou non, avec ou sans états d’âme, l’un après l’autre, les membres de la communauté internationale ont renoué, renouent ou renoueront avec ceux qui tiennent le pouvoir à Téhéran.

4. Cet imprévu iranien est néanmoins un pavé dans la mare dont les effets se feront sentir très longtemps ; il se peut même qu’à l’instar d’un séisme il soit suivi, dans les prochains jours ou semaines, de « répliques ».

On ne sait pas encore cependant s’il complique la situation dans la région ou s’il la simplifie.

5. Ce que je vois, pour ma part, c’est que l’Iran et Israël, les deux puissances qui se disputent le leadership du Moyen-Orient à coups d’invectives et de propos bellicistes, sont gouvernés désormais tous les deux et pour une durée indéterminée par des conservateurs à inclination raciste et des va-t-en-guerre.

Netanyahou et Lieberman, du côté israélien, ont, certes, été élus démocratiquement. Mais, soyez-en sûrs, le tandem qu’ils forment se réjouit d’avoir en face de lui, du côté iranien, un tandem Khamenei-Ahmadinejad, de pouvoir échanger avec lui des menaces guerrières et de profiter de la tension ainsi créée pour ne pas faire la paix avec ses voisins arabes…

Plus encore qu’auparavant, l’Iran et Israël sont dans une « logique de guerre » : chacun d’eux se nourrira des outrances et de l’intransigeance de l’autre.

6. Le lendemain même où il a appris le renouvellement du mandat de Mahmoud Ahmadinejad, le Premier ministre israélien a prononcé son discours du 14 juin qui se voulait une réponse à celui délivré au Caire par Barack Obama le 4 juin.

À l’adresse du nouveau président des États-Unis, il a déclaré en substance :

Je dis « oui » en principe à cet État palestinien auquel vous semblez tenir, car je sais que la majorité des Israéliens et des Juifs de la diaspora s’y est, hélas, résignée.

Mais je dis « non » à sa réalisation ! Vous verrez que j’ai les moyens de la saboter et que, ça, je sais faire.

L’Iran ? Je n’en parle même pas. Je laisse à son président mal réélu le soin de vous montrer, par ses paroles et ses actes, que dialoguer avec lui n’est qu’une perte de temps…

J’ai traduit, ci-dessus, à ma manière ce qu’a voulu dire Benyamin Netanyahou à Barack Obama.

Et je plains, une fois de plus, ce dernier d’avoir en face de lui de tels « partenaires »…

Il ne fait pas de doute en tout cas que l’imprévu iranien des 12 et 13 juin complique énormément sa tâche.

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