Il faut sauver Hammamet
Enseignant-chercheur, Université de Lille-I, France
On assiste depuis des années dans Hammamet, un des fleurons du tourisme tunisien, à une urbanisation effrénée et d’aspect anarchique. Tout visiteur s’aperçoit rapidement qu’aucun style architectural propre n’est mis en valeur. Les routes sont étroites, les trottoirs servent de parkings et les espaces verts sont quasi inexistants. Le front de mer proche du centre-ville est en train d’être bétonné par des immeubles de plus de cinq étages coupant air et lumière.
L’entrée de l’amphithéâtre, haut lieu de rencontres et de tourisme, qui baignait il y a quelque temps dans la verdure, a été transformée en immeubles et en échoppes de restauration rapide. D’autres immeubles, collés les uns aux autres, ont étranglé un peu plus la route qui dessert cet amphithéâtre. Dans les vergers avoisinants, on construit encore dans la désorganisation et l’illégalité. La polyclinique de la ville, un cube avec quelques fenêtres et sans parking, est desservie par une route tortueuse de moins de 9 mètres de large.
C’est moins la prolifération des constructions qui gêne que la manière avec laquelle on construit. Des façades peu attrayantes essaiment le long de la route vers Nabeul, la ville des potiers, sans plan directeur. Les hauteurs de Hammamet auraient dû depuis longtemps faire l’objet d’une attention particulière à l’instar de Sidi Bou Saïd au nord de Tunis. Mais, spéculation aidant, les habitations gagnent en volume et en hauteur, sans aucune harmonie ni aucun cachet. Les approches de la ville n’ont pas été épargnées par la frénésie du bâtiment à tout-va. Les champs d’oliviers et les espaces verts ont été truffés de constructions entourées par de hideuses clôtures de briques toujours plus hautes.
Côté sud, Hammamet est une zone de contrastes. D’un côté, les visiteurs de la nouvelle station Yasmine sont agréablement surpris de découvrir un paysage de villas aménagées avec goût et minutie. Mais, de l’autre côté, rien ne va plus. L’espace, visiblement abandonné à son sort, a été occupé par des échoppes et des restaurants avec des sentiers improvisés, tant et si bien qu’une agglomération anarchique est en train de pousser sans que personne n’y trouve rien à redire…
Face à un tourisme de plus en plus populaire, les hôtels s’adaptent par le bas et la qualité du service se détériore. Ainsi le cahier des charges du ministère du Tourisme, qui stipulait pas plus de 100 lits par hectare, a vécu. Aujourd’hui, on grignote sur les jardins et on rajoute les étages. D’anciens et prestigieux hôtels de la ville ont préféré bétonner les jardins qui faisaient leur notoriété.
Quelle est la solution ? À problème exceptionnel, une solution d’envergure. On ne peut plus aujourd’hui, ici comme à Djerba ou ailleurs, abandonner le lotissement du territoire entre les mains de citoyens indisciplinés aux étroits intérêts, et faire passer après coup des routes dans le désordre. L’expérience de Yasmine Hammamet et celle du lac de Tunis nous montrent qu’aménager une vaste région d’un coup rejaillit grandement sur la qualité de l’environnement et le bien-être du citoyen. L’énorme retard dans la mise en œuvre d’un plan général d’urbanisme de la ville et de ses environs a conduit à la piètre situation actuelle. Le nouveau plan d’aménagement devrait tenir compte des points essentiels suivants :
1. Certaines zones stratégiques de la ville, comme ses verdoyants promontoires, doivent être protégées de toute urbanisation.
2. La zone entre Hammamet et Nabeul, à l’énorme potentiel foncier et touristique, devrait être aménagée d’un bloc à l’image de Yasmine. Il faut une fois pour toutes endiguer l’anarchie et le mauvais goût, tracer les boulevards et aligner les constructions.
3. Le cachet architectural de la ville doit être défini et préservé. Les pouvoirs municipaux, entourés d’urbanistes compétents, doivent fixer le cahier des charges des habitations et le faire respecter.
Nous pensons qu’un véritable « plan Marshall » s’impose pour sauver Hammamet, qui doit être pour la Tunisie ce que Bali est pour l’Indonésie, ce que Charm el-Cheikh est pour l’Égypte ou ce que Marrakech est pour le Maroc, c’est-à-dire une destination exceptionnelle qui peut mériter le déplacement.
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