Mémoire vivante de l’afrobeat

Génie du rythme, l’ancien batteur de Fela Kuti, Tony Allen, sort Secret Agent. Un album riche, qui flirte avec le funk, la pop et même le rock alternatif.

Publié le 18 juin 2009 Lecture : 3 minutes.

« Fela ? Ohhhh… shit man ! Parlons d’autre chose. » En nous recevant dans un studio de répétition de la banlieue parisienne, Tony Allen n’en finit pas de fuir ce qui a fait sa légende. L’ancien batteur et directeur musical de Fela Anikulapo Kuti, de 1968 à 1979, à la tête d’Afrika 70’ – de loin la meilleure formation du « Black President » –, tourne résolument le dos au passé. Et depuis longtemps. « J’ai arrêté de jouer avec lui il y a trente ans, répète-t-il à l’envi. Mais on évoque toujours cette période. Je veux aller de l’avant. »

À 69 ans, celui qui, avec son mentor, inventa l’afrobeat, cette pulsion si caractéristique alliant la finesse du jazz drumming aux rythmes africains et aux cuivres dépouillés, compte bien rappeler que son actualité est ailleurs. Dans sa formation actuelle, dont il est particulièrement fier. Dans ses rapports avec la nouvelle scène nigériane, notamment la chanteuse Joy Olasunmibo Ogunmakin alias Ayo, qui prête sa voix sur son nouvel album, Secret Agent, sorti le 4 juin chez World Circuit. Plus globalement dans sa vie trépidante, qui l’emmène aux quatre coins du monde. De la Suède au Nigeria, son pays natal, en passant par le Japon, l’Australie et la France, où il s’est installé en 1986 après deux années passées à Londres.

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Exit donc les vieux démons qui hantent encore l’Afrika Shrine, le club mythique où se produisait Fela, à Lagos, mis à sac et détruit par les autorités en 1999. « Keep your open mind ! » explique-t-il comme pour justifier son ouverture sur l’extérieur. Garder l’esprit grand ouvert. Là est la vraie nature d’Allen. Celle qui l’éloigna de son maître, tellement mué en militant politique qu’il y perdit, selon lui, un peu de son âme musicale.

À l’affût d’un monde en mouvement, Allen veut surtout s’épanouir à l’écoute des sons et des tendances actuelles. Après avoir excellé sur une trentaine d’albums comme leader ou sideman, il multiplie les expériences. Loin du highlife de ses débuts, lorsqu’il évoluait au sein des Koola Lobitos créé en 1964 avec Fela, ou d’Afrika 70’, cet autodidacte juché devant sa batterie dès l’âge de 8 ans penche actuellement vers la pop, le funk-électro et même le rock alternatif.

Une quête permanente de sons nouveaux qui l’a amené à signer ces dernières années avec des labels comme Comet (Ariya, 1999 ; Black Voices, 2000) ou Honest Jon’s (Lagos No Shaking, 2006) ou à se produire aux côtés de la star du trip-hop anglais Damon Albarn, leader de Blur et de Gorillaz. Avec ce dernier, il fonde même en 2006 le groupe The Good, the Bad and the Queen, qu’intègrent le bassiste des Clash, Paul Simenon, et le guitariste de Gorillaz, Simon Tong.

Entre Paris, Londres et Lagos

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Il faut jouer avec Allen pour se rendre compte de sa musicalité. S’il ne renie pas les influences déterminantes de sa vie – de James Brown au batteur américain Art Blakey –, il a su construire un style singulier et une pulsation reconnaissable entre toutes. Ce qui frappe chez cet explorateur, c’est une capacité d’écoute à toute épreuve. « Et en toutes circonstances », précise-t-il.

Son nouvel album, enregistré entre Paris, Londres et Lagos est de très haute tenue. Des compositions et des arrangements inédits. Des sons très afrobeat, qui n’hésitent pas non plus à flirter avec le funk ou le calypso. Des partenaires nigérians, camerounais, martiniquais monstrueux de technique à l’image du bassiste Rody Cereyon, du guitariste Claude Dibongue ou du saxophoniste Jean-Jacques Elangué.

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Musicien avant d’être militant, ce batteur dont le nom est déjà bien gravé dans le panthéon des artistes africains n’en est pas moins habité par une fibre politique qui le fait sortir de ses gonds. La situation du Nigeria ? « Toujours la même chose. Rien n’évolue. » La scène musicale africaine ? « Dynamique, mais trop d’artistes s’éloignent de leurs racines. »

« Sans Tony Allen, il n’y aurait pas d’afrobeat », affirmait Fela. Soudain vous vient comme un doute, un questionnement troublant : si le Nigeria n’existait pas, où en serait la musique africaine ?

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