Contre vents et marées

Après une hausse de 64 % l’an dernier, les investissements directs étrangers se sont encore accélérés au cours du premier trimestre 2009. Le nouveau plan stratégique permettra-t-il de pérenniser cette tendance ?

Publié le 16 juin 2009 Lecture : 7 minutes.

Les investisseurs ne connaissent pas le marasme économique mondial quand il s’agit d’aller en Tunisie. Le 19 mai, le groupe allemand Dräxlmaier, spécialisé dans le câblage automobile, inaugurait une nouvelle unité dans le Nord-Ouest, à Siliana, avec à la clé un investissement estimé à 70 millions de DT (37,5 millions d’euros) et la création de plus d’un millier d’emplois. À l’automne dernier, son compatriote et rival Kromberg & Schubert était en train de construire son usine à Béja, dans la même région, lorsqu’il a été surpris par la crise. Il a cependant persisté et son unité est opérationnelle depuis le début de l’année, rejoignant celle du sud-coréen Sewon Yura, entrée en production quelques mois plus tôt à Kairouan, ou celle du germano-japonais Sumitomo Electric, qui a profité de la crise pour accélérer son implantation à Jendouba, initialement prévue pour 2010 (voir p. 78).

Engrenage compétitif en mécanique et électronique

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Cette ruée de plusieurs acteurs européens et asiatiques dans les industries mécaniques, électriques et électroniques (IMEE) confirme que, dans les redéploiements imposés par la crise mondiale, la Tunisie émerge comme l’un des sites préférés des fabricants de câbles et composants pour l’automobile et l’aéronautique. Toutefois, quelques grands groupes implantés de longue date en Tunisie, comme l’allemand Leoni, sont contraints de réduire la voilure. Le secteur des IMEE, qui compte 380 entreprises, figure désormais en tête des exportations tunisiennes, avec un chiffre d’affaires de plus de 6 milliards de DT (3,2 milliards d’euros) en 2008, alors qu’il n’atteignait pas 1 milliard de DT il y a dix ans.

L’autre fait marquant de 2009 est que l’industrie tunisienne, premier exportateur de la rive sud de la Méditerranée vers l’Union européenne, s’enrichit d’un parc aéronautique, en cours de construction autour d’une unité de production d’Aerolia (voir pp. 75-76). Cette filiale du constructeur européen Airbus – qui, en contrepartie, reçoit l’engagement de la compagnie nationale Tunis Air de se fournir désormais exclusivement en appareils Airbus – a signé avec le gouvernement, en janvier, un accord portant sur les conditions de l’implantation d’une unité spécialisée dans l’assemblage de sous-ensembles aéronautiques, avec un investissement de 30 millions d’euros.

Dans ce parc offshore situé dans la banlieue sud de Tunis, où la production devrait monter en cadence à partir du premier trimestre de 2010, Aerolia fédérera un réseau de partenaires et de six sous-traitants français d’Airbus, lui permettant de réduire les flux logistiques et de réaliser une meilleure performance économique de l’ensemble industriel. « Nous avons déjà une cinquantaine d’entreprises qui travaillent pour le secteur aéronautique, explique Mongia Khemiri, directrice générale de l’Agence pour la promotion des investissements étrangers (Fipa), et la création d’un parc aéronautique est pour nous importante dans la mesure où elle marque une nette montée dans la chaîne des valeurs et nous donne un label dans ce créneau. »

Ce phénomène de redéploiement des grands groupes vers la Tunisie ne s’observe pas que dans le secteur des IMEE. La crise mondiale se traduit, certes, par 1,5 à 2 points de moins dans le taux de croissance du PIB (4,1 % prévus en 2009, au lieu de 5,5 %) et par une baisse des exportations de l’ordre de 15 % en moyenne pour les entreprises sous régime offshore, du fait de la contraction de la demande mondiale.

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Cependant, la conjoncture n’a pas empêché plusieurs grands groupes européens du textile et de l’habillement de poursuivre leur expansion en Tunisie, permettant aux investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur de bondir de 274 % au cours du premier trimestre 2009, comparativement à la même période en 2008.

Record d’IDE dans le textile

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Ainsi, en avril, le groupe français Damart a inauguré sa propre usine dans la zone industrielle de Zriba-Zaghouan, non loin de Tunis, ce qui lui permet d’être plus proche de ses sous-traitants traditionnels tunisiens. Le groupe italien Niggeler & Kupfer (NK), leader du coton en Europe, a ouvert une usine de teinture et de finissage dans la zone de Bir el-Kassaa, au sud de Tunis, consolidant ainsi sa présence dans le pays, où il compte déjà une usine de finissage à Kassar Saïd et deux unités de filature à Boumerdès, dans la région de Mahdia. Le groupe italien Benetton a quant à lui poursuivi son programme d’extensions en ouvrant une plate-forme dans la région de Gafsa (après celles de la région de Sousse et de Kasserine, voir p. 80), pour y jouer le rôle d’incubateur du développement local.

Certes, tous ces projets ont été initiés avant la crise. Mais leur concrétisation, au plus fort de la tempête mondiale, est une performance notable. Qui ne fait que confirmer la montée en puissance du site Tunisie, illustrée par le bond réalisé en 2008, avec un total d’IDE de 3,399 milliards de DT (1,8 milliard d’euros) contre 2,071 milliards en 2007, soit une hausse de 64 %.

Le nombre d’entreprises à participations étrangères est passé à 2 966 au premier trimestre 2009 (contre 2 840 en 2008), dont 2 324 dans les industries manufacturières, 347 dans les services, 158 dans le tourisme, 79 dans l’agriculture et 58 dans l’énergie. Avec une mention spéciale pour les IDE dans les industries manufacturières qui, en 2008, ont atteint des records en termes de création d’emplois (15 650 emplois créés) et réalisé 642 millions de DT (342 millions d’euros) d’investissement, soit 44 % du total des IDE, contre 486 millions de DT en 2007.

Une plate-forme industrielle au cœur de « l’EUROMED Valley »

Ces performances illustrent l’importante capacité du pays à attirer des IDE, d’autant que, selon les résultats d’un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), certains pays de l’Est récemment intégrés à l’UE, comme la Pologne, enregistrent une nette baisse d’IDE. Cette tendance est recoupée par une étude du cabinet de conseil en stratégie A.T. Kearney, qui estime que les avantages offerts par ces pays se sont amenuisés au fur à mesure que l’écart entre leurs coûts et ceux des pays développés s’est réduit, ce qui explique leur perte de compétitivité et d’attractivité.

C’est sur cette vague que le gouvernement tunisien surfe pour attirer davantage d’investisseurs étrangers et promouvoir des créneaux à haute valeur ajoutée (voir p. 72). Il mène, depuis mai, une opération pilote qui va se poursuivre pendant six mois à destination des investisseurs européens avec comme slogan en anglais : « Looking for growth ? Think Tunisia, the Euromed Valley for industry and technology ». Autrement dit : le partenariat avec la Tunisie est « un remède anticrise », ainsi que le traduisent, en toute liberté, les initiateurs de cette opération soutenue par l’Union européenne.

Il y a quelques années, la Tunisie aimait se comparer aux dragons d’Asie que sont Singapour ou Taiwan, mais désormais c’est la Silicon Valley, centre californien des technologies de l’information et de la ccommunication (TIC), qui lui sert de modèle, à une échelle élargie à l’industrie tout entière. La crise économique mondiale devenant un élément clé dans sa stratégie, qui consiste à se présenter comme une planche de salut pour des industriels soucieux de gagner en compétitivité et d’assurer la survie de leurs entreprises en Europe.

Les décideurs politiques et économiques tunisiens aiment d’ailleurs à rappeler que, contrairement à certaines idées reçues sur les délocalisations, les quelque 2 000 entreprises européennes implantées au pays du Jasmin, dont plus de la moitié sont françaises, tirent une partie de leur potentiel de croissance de leur site tunisien.

Les projets nationaux

Si le flux des IDE s’est maintenu malgré la crise, qu’en est-il de l’évolution de l’investissement local ? Globalement, les projets financés par le secteur bancaire en 2008 ont atteint 3 milliards de DT (1,6 milliard d’euros), en augmentation de 40 % par rapport à 2007 et, selon la Banque centrale, les concours du secteur bancaire à l’économie ont augmenté de 3 % durant les quatre premiers mois de 2009 par rapport à la même période de 2008.

De son côté, l’État a annoncé une augmentation de l’ordre de 20 % des investissements publics pour 2009 par rapport à 2008. Il a maintenu la réalisation de tous les projets d’infrastructures prévus, dont l’extension vers la Libye de l’autoroute Nord-Sud, sur le tronçon Sfax-Gabès (155 km) et fera connaître dans les prochaines semaines les noms des sociétés auxquelles seront attribuées la concession du port en eau profonde d’Enfidha, ainsi que la licence de téléphone fixe-mobile 3G. Néanmoins, de nombreux chefs d’entreprise estiment que, sous l’effet de la crise, les investissements dans le secteur privé se ralentissent. De grands groupes, solidement établis et bénéficiant d’une bonne assise financière, ont cependant poursuivi leurs investissements ; certains les ont même accentués.

C’est notamment le cas de Poulina Holding, présidé par Abdelwahab Ben Ayed. Fort de 72 entreprises, le conglomérat, après avoir investi 126 millions de DT l’an dernier – en Tunisie, dans les pays du Maghreb et jusqu’en Chine –, poursuit en 2009 ses extensions et créations de nouvelles unités dans la plupart des régions du pays, dans des secteurs aussi divers que les matériaux de construction, la céramique, l’emballage, l’agriculture et l’agroalimentaire. 

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