Le scrutin que la gauche aurait dû gagner

Jamais, sans doute, le contexte social et économique ne leur avait été aussi favorable. Comment expliquer la déroute, presque historique, des partis socialistes et sociaux-démocrates aux élections européennes ?

Publié le 16 juin 2009 Lecture : 4 minutes.

Crise financière, dérégulation des marchés et des économies, accroissement du chômage… En bonne logique politique, les partis de gauche auraient dû sortir grands vainqueurs des élections européennes. La crise n’a-t-elle pas été analysée, toutes écoles confondues, comme la conséquence d’un laisser-faire économique généralisé ?

C’est pourtant par une déroute spectaculaire – presque historique – du camp social-démocrate et socialiste que s’est soldée la consultation. Sur les vingt-sept pays de l’Union européenne, cinq seulement, la Suède, le Danemark, la Grèce, la Slovaquie et Malte, ont vu la gauche arriver en tête. Pis, dans trois des quatre pays où cette dernière est au pouvoir (Royaume-Uni, Espagne, Portugal et Slovaquie), c’est l’opposition conservatrice qui l’emporte. Les socialistes portugais perdent ainsi 18 points par rapport à 2004. Le Labour anglais arrive en troisième position, derrière les conservateurs et un parti antieuropéen, l’Ukip. Quant aux Espagnols du PSOE, ils sont devancés par la droite de 4 points. La gifle !

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Face au désordre économique du monde, les électeurs ont plébiscité les formations qui, à leurs yeux, incarnent le parti de l’ordre, fût-ce seulement dans le registre politique.

Ce désastre a incontestablement été amplifié par l’abstention (56,9 % en moyenne). Sondages et examen des cartes électorales concordent : un peu partout, les jeunes et l’électorat populaire, clientèles traditionnelles de la gauche, se sont majoritairement détournés des urnes.

Dans nombre de pays, la volonté de faire jouer aux européennes le rôle de premier tour – sans frais – d’échéances nationales ultérieures a accentué la démobilisation. Pourquoi se déplacer si les politiques eux-mêmes ont les yeux rivés sur d’autres horizons ? C’est le piège dans lequel est tombé, par exemple, le centriste français François Bayrou (MoDem), malgré son attachement à la construction européenne. 

Crise d’identité

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Mais ce contexte particulier n’explique pas tout. La gauche européenne est d’abord confrontée à une crise d’identité. Pendant des années, elle a prospéré sur un modèle, la relance par la consommation, qui lui permettait de concilier l’économie de marché et une large redistribution au profit des couches populaires conforme au credo socialiste. Ce fut, par exemple, le socle du programme de François Mitterrand en 1981.

La mondialisation rend caduc ce modèle. Une relance isolée ne profite qu’aux économies concurrentes. Il faut désormais raisonner à l’échelle du continent.

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Pour être crédible, la gauche aurait dû se présenter devant les électeurs avec un programme commun à tous les partis socialistes. Il y a bien eu une tentative en ce sens, avec l’élaboration, en mars 2009, du « Manifeste du Parti socialiste européen », mais, rendu public trop tard, ce timide catalogue de bonnes intentions est passé inaperçu. Au mieux, il est apparu comme un programme de circonstance. Et, surtout, il n’était pas porté par une figure capable d’incarner une alternative à l’actuel président de la Commission, l’ultralibéral José Manuel Barroso, soutenu par le Parti populaire européen (le bloc conservateur majoritaire à Bruxelles).

Un temps, la candidature du président du Parti socialiste européen (PSE), le Danois Poul Nyrup Rasmussen, artisan infatigable du rassemblement des gauches, a été envisagée. Mais l’homme, malgré ses efforts, reste un parfait inconnu pour l’opinion européenne. 

Bonne chance aux électeurs !

À vrai dire, cette situation arrange les chefs de gouvernement socialistes, la plupart soutenant, à Bruxelles, celui qui se trouve être le champion de leurs oppositions nationales respectives. Dès le mois de mars 2009, en effet, l’Espagnol José Luis Zapatero, le Britannique Gordon Brown et le Portugais José Socrates ont exprimé leur souhait de voir José Barroso reconduit dans ses fonctions par le Conseil européen (réunion des chefs d’État et de gouvernement), qui doit se réunir les 18 et 19 juin. Sidérant masochisme : trois chefs de gouvernement socialistes appelant de leurs vœux la victoire de leur adversaire ! Comment s’étonner que ce même trio soit le grand perdant du scrutin européen ?

Et la farce continue. Ainsi, la chancelière allemande Angela Merkel vient de recevoir le renfort du SPD, son opposition sociale-démocrate, pour soutenir la candidature Barroso. Bonne chance aux électeurs allemands pour s’y retrouver.

Au même moment, huit personnalités socialistes parmi lesquelles Lionel Jospin, Gerhard Schröder et Felipe González, anciens chefs des gouvernements français, allemand et espagnol, appelaient leur famille politique à présenter un candidat contre Barroso…

Sur le papier, une majorité alternative peut bloquer la reconduction du président de la Commission sortant. Proposée par le Conseil européen, la candidature doit être approuvée par le Parlement. Mais la forme de cette approbation est encore en débat : si l’on applique le traité de Nice, la majorité simple des présents suffit à reconduire le président. En revanche, si l’on anticipe de quelques mois l’application du traité de Lisbonne (qui sera effectif après que l’Irlande aura organisé, à l’automne, un nouveau référendum), il faut que Barroso obtienne la majorité absolue des voix. Et il n’est pas sûr d’y parvenir. Une alliance des sociaux-démocrates, de la gauche radicale et des Verts, renforcée par les souverainistes et quelques inclassables, pourrait bloquer le candidat portugais. Un risque que les chefs d’État et de gouvernement de l’UE sont en train de peser soigneusement. Car, pour eux, il est hors de question de voir leur choix désavoué par l’assemblée de Bruxelles. Une occasion, peut-être, pour la gauche européenne de retrouver ses marques.

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