La guerre des cousins
Depuis que l’accord de Dakar a relancé la course à la présidence, le général Ould Abdelaziz, qui devra notamment affronter Ely Ould Mohamed Vall, n’est plus du tout assuré de l’emporter.
La présidentielle mauritanienne s’annonçait comme une mascarade, programmée pour faire gagner Mohamed Ould Abdelaziz, le général qui, le 6 août 2008, a renversé Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Ce devrait être finalement une bataille passionnée à l’issue incertaine, où comptera chaque voix grappillée dans le petit contingent des électeurs (ils étaient 1,13 million en 2007).
Depuis la signature, le 4 juin, de l’accord de Dakar, qui a entériné in extremis un report du scrutin du 6 juin et la réouverture du dépôt des candidatures, « Aziz » n’est plus le grand favori : le père de la « rectification » – ainsi a-t-il baptisé son coup d’État – voit s’aligner devant lui des concurrents, potentiels ou déclarés, de poids. Un cousin germain et ex-compagnon de route, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, qui s’est porté candidat le 6 juin ; Ahmed Ould Daddah, figure de proue de l’opposition et chef du premier parti du pays, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), qui s’est déclaré le 8 juin ; Messaoud Ould Boulkheir, le charismatique président de l’Assemblée nationale, qui n’avait pas annoncé sa candidature au moment où nous mettions sous presse, mais dont tout laisse à penser qu’il entrera dans la course. Quelle que soit la date du scrutin – les tractations engagées par les signataires de l’accord de Dakar pourraient compromettre la tenue du premier tour le 18 juillet, date prévue par le texte –, c’est entre ces personnalités que la partie se jouera.
« Jamais nous n’avons eu une élection aussi pluraliste, toutes les nuances de la Mauritanie ont leur candidat », considère Mohamed Fall Ould Oumère, rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Tribune. Une analyse impossible il y a un mois : œuvrant, sans trop y croire, pour empêcher la tenue du scrutin, une partie de la classe politique avait prévu de le boycotter ; de leur côté, les partisans d’Aziz étaient sûrs que leur champion l’emporterait haut la main. Signé deux jours avant le 6 juin sous la pression internationale, l’accord de Dakar a pris tout le monde de court. À commencer par Ould Abdelaziz. Le scénario du 6 juin devait être pour lui une sinécure. Fraîchement sorti du palais présidentiel – il a démissionné le 15 avril pour pouvoir se présenter –, il devait bénéficier de son aura de chef et de la popularité qu’il s’est construite pendant huit mois à la tête de l’État, promettant ici une route, là l’approvisionnement en eau potable. En course également, trois concurrents vaincus d’avance devaient cautionner sa victoire : Ibrahima Moctar Sarr, défenseur de la cause des Négro-Mauritaniens (une des trois composantes de la population), qui a recueilli 7,94 % des voix à la présidentielle de mars 2007 ; Kane Hamidou Baba, vice-président de l’Assemblée nationale et candidat contre l’avis de son parti, le RFD ; Sghair Ould M’Bareck, dernier Premier ministre de Maaouiya Ould Taya, encore invisible il y a deux mois.
Pour le vainqueur annoncé qu’était Mohamed Ould Abdelaziz, la campagne devait se limiter à quelques meetings, des discours contre la « gabegie » et des tournées à l’intérieur. Mais face à des candidats de poids, « ce n’est pas ainsi que l’on remporte une élection présidentielle », commente un soutien influent de Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la présidentielle de 2007. Pour rallier les suffrages de la population, les prétendants doivent d’abord conquérir les « grands électeurs », les chefs traditionnels, religieux ou tribaux, qui donnent à leur communauté des consignes de vote informelles mais suivies. « Aziz a négligé ce facteur, poursuit le même interlocuteur. Depuis l’accord de Dakar, il essaie de se rattraper. »
Quatre poids lourds
Avec un Ely Ould Mohamed Vall en lice, la tâche ne sera pas de tout repos : l’ancien directeur général de la Sûreté nationale – les renseignements militaires –, de 1985 à 2005, a une connaissance fine des notables du pays, de leurs relations, de leur influence. « Sur ce plan-là, Ely a une longueur d’avance, estime un ancien fonctionnaire. Deux jours après avoir annoncé sa candidature, il avait déjà appelé les chefs de tribu ! » Autre soutien déterminant que le général Ould Abdelaziz doit désormais disputer à ses adversaires : celui des « hommes d’affaires », les propriétaires de la dizaine de banques de la place de Nouakchott. Ils ont pour habitude de participer au financement des campagnes de chacun des candidats – en vertu de la règle selon laquelle il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier –, tout en se montrant plus généreux avec le favori. Jusqu’à l’accord de Dakar, leur préférence allait logiquement à Aziz. Sa victoire n’étant plus certaine, qui choisiront-ils finalement ? Les faiseurs de roi eux-mêmes l’ignorent. Chacune des quatre pointures peut arriver au second tour. Challengeur de Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la présidentielle de mars 2007, Ahmed Ould Daddah, 66 ans, avait obtenu 20,68 % des voix au premier tour, face à dix-huit candidats ! Principal adversaire de Maaouiya Ould Taya, arrivé au pouvoir en 1984 à la faveur d’un putsch, il bénéficie de la légitimité de l’opposant historique, quand Ould Abdelaziz fait figure de nouveau venu. Son parti, le RFD, qui dispose d’un réseau solide, est aussi populaire dans les grandes villes qu’au Trarza, sa région natale, au sud-est de Nouakchott. Ayant d’abord soutenu le coup d’État du 6 août 2008 (avançant qu’un départ de « Sidi » était inéluctable), Ould Daddah pourrait cependant payer cette fâcheuse entorse au credo démocratique du RFD.
Reste que son capital de sympathie acquis grâce à « Dakar » n’égalera pas celui engrangé par Messaoud Ould Boulkheir depuis le 6 août. S’il n’en avait pas le titre, le président de l’Alliance populaire progressiste (APP), 65 ans, s’est imposé comme le leader du front anti-Aziz, parcourant le continent et l’Europe pour porter toujours le même message : aidez-nous à évincer ce général qui ne sera jamais légitime. Un engagement qui l’a débarrassé d’une étiquette communautariste due à son combat pour la défense des Haratines – les descendants d’esclaves, autre composante de la population –, dont il fait partie. Ajoutée à sa performance à la dernière présidentielle (9,8 %), sa respectabilité de président de l’Assemblée nationale fait de « Messaoud » un concurrent redouté. Reste à savoir si, en cas de présence au second tour, les électeurs iront jusqu’à choisir un représentant des Haratines, tenus à l’écart des instances dirigeantes, à quelques « alibis » près.
Les atouts de Vall
Mais l’adversaire le plus redoutable du général Ould Abdelaziz est peut-être celui qui lui ressemble le plus : le colonel Ely Ould Mohamed Vall, son cousin germain. Les deux officiers, 54 et 56 ans respectivement, ont tant de similitudes qu’ils chassent sur les mêmes terres : même moustache qui sied aux militaires, appartenance à la même tribu, les Ouled Besbah – un groupe commerçant peu nombreux mais puissant, originaire du Sahara –, et même passé d’élève à l’Académie royale de Meknès. Aziz et Ely sont aussi les créatures du même « dieu » : Maaouiya Ould Taya, qui a fait du premier le patron de la sécurité présidentielle et du second celui des renseignements. Pendant vingt ans, ils ont travaillé en duo pour le colonel, avant de le renverser, le 3 août 2005. Mais le père « tué », c’est la brouille : chef de l’État pendant la « transition » qui doit conduire à la présidentielle de mars 2007, Ely Ould Mohamed Vall n’est pas censé intervenir dans le jeu électoral. Son cœur penche toutefois pour Ahmed Ould Daddah, quand son cousin, toujours à la sécurité présidentielle, lui préfère Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Peut-être Aziz devinait-il déjà en Sidi la faiblesse qui allait lui permettre de le renverser.
Après le 6 août 2008, Ely a toujours travaillé en coulisses contre son cousin auprès des notables nouakchottois, des chefs d’État africains, des diplomates de la cellule Afrique de l’Élysée et de son secrétaire général, Claude Guéant. Il a pour atouts de disposer d’un carnet d’adresses international bien fourni et de l’auréole de l’artisan de la démocratie en Mauritanie, pour s’être retiré, comme promis, après le scrutin de mars 2007. Mais ces derniers mois, il est resté invisible, en déplacement à l’étranger ou muré dans son imposante villa, à quelques encablures de la présidence…
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