Qui prendra la place d’Omar Bongo ?

Dans la perspective de la succession, les ténors du régime prennent discrètement position. Reste à savoir quel rôle joueront l’armée et le parti au pouvoir.

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 15 juin 2009 Lecture : 7 minutes.

« Avant de s’éteindre, je suis convaincu que, prévoyant comme il l’était, le président a pris soin de mettre en place un scénario susceptible d’assurer une succession sans heurts », prophétise un vieux militant du Parti démocratique gabonais (PDG). Pourtant, bien malin celui qui pourrait dresser le portrait de l’homme, ou de la femme, qui sera investi par les instances du mouvement créé par Omar Bongo Ondimba en 1968 pour le représenter lors de l’élection présidentielle. Conformément à la Constitution, le scrutin doit se tenir dans les quarante-cinq jours qui suivent la date du début de la vacance du pouvoir, le 10 juin 2009. Longtemps taboue en dépit des ennuis de santé du président, la question de sa succession va devenir centrale à l’issue de la période de deuil. Derrière le calme apparent et le silence recueilli des principaux acteurs politiques, suspicion et rumeurs font monter la température. Pour les plus pessimistes, l’orage couve, entretenu par les solides inimitiés qui se sont développées au sein de la galaxie Bongo. En dépit de sa volonté de garder le contrôle du pouvoir et de rester le seul maître du jeu, le chef de l’État disparu n’a pas réussi à neutraliser les réseaux qui se tissaient dans l’ombre en vue de sa succession. Alors que la vie politique gabonaise est largement dominée par le PDG, le choix du candidat que ce parti investira pour le représenter à la prochaine élection sera déterminant pour l’avenir du pays. Face à une opposition qui, si elle reste pour l’instant silencieuse, n’en est pas moins en embuscade, qui sera le candidat du PDG ?

L’une des grandes batailles pour être en pole position dans la course au fauteuil présidentiel s’est jouée lors du dernier congrès du PDG, en septembre 2008. Certains observateurs pariaient sur la création d’un poste unique de vice-président du PDG, confié à Ali Bongo Ondimba, le fils du président. Dans l’esprit des Gabonais, cela aurait été interprété comme la désignation officielle du dauphin. Il n’en a rien été. « Ali », qui est aussi ministre de la Défense, a bien été nommé au poste mais avec six autres vice-présidents, diluant ainsi la portée symbolique de l’acte. 

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Parer à toute éventualité

Depuis, on le soupçonne de tout. Et lui-même ne fait rien pour rassurer ses adversaires : fin avril, des militaires armés ont érigé des barrages routiers et ont fouillé pendant deux jours les véhicules administratifs attribués aux cadres de la fonction publique, suscitant la colère des autorités locales de Libreville et de Port-Gentil. Tableau surréaliste pour un pays en paix. Pour justifier l’opération, le ministre de la Défense a déclaré que celle-ci avait été décidée sur la base de renseignements solides et qu’elle visait à empêcher des « infiltrations » d’armes sur le territoire. En revanche, pour ceux qui soupçonnent – et dénoncent – l’idée d’une succession de père en fils, cette intervention militaire ne serait que « la répétition générale d’un scénario de prise du pouvoir ». Ou, du moins, elle traduirait la volonté de recourir à cette « arme » pour frapper les esprits et peser sur l’échiquier politique.

Plus largement, ses détracteurs accusent Ali Bongo Ondimba d’avoir reconfiguré le système pour parer à toute éventualité. Ainsi, le 28 novembre 2008, tout le commandement de l’appareil sécuritaire a sauté, sans grande publicité. Le général Jean-Claude Ella Ekogha, 55 ans, ancien commandant de la Force multinationale de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) en République centrafricaine en 2004, a été promu commandant en chef des forces armées gabonaises. Quant à Samuel Mbaye, qui fut le tout-puissant secrétaire général du Conseil national de sécurité à la présidence, il a été remplacé par le colonel-major Jean-Philippe Ntumpa Lebani, désormais patron du renseignement. Au poste sensible de chef d’état-major particulier du président de la République officie dorénavant le général de brigade Augustin Bibaye Itandas. Les grands corps de la sécurité ont également connu un changement avec le départ du général Honoré Oléry, remplacé par Abel Sougou à la tête de la gendarmerie nationale, tandis que la marine est passée sous les ordres du contre-amiral Hervé Nambo Ndouany. Mais, selon d’autres sources, les hommes les plus influents de l’armée seraient toujours des proches du général Idriss Ngari, actuel ministre de la Santé, qui occupa par le passé les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur notamment. En cas de coup de force, ce sont donc les deux pôles qui auraient pu être amenés à s’affronter. Mais on en est loin. Jusqu’ici, la transition se déroule dans le respect strict et scrupuleux de la Constitution.

Ce qui laisse la porte ouverte à d’autres postulants. Cité par la presse, le gendre Paul Toungui, dont l’ambition se profile derrière la figure emblématique de Pascaline Bongo Ondimba, sa compagne, n’a jamais manifesté publiquement son intérêt pour la magistrature suprême. Son silence déconcerte jusqu’à ses proches, qui en sont à se demander si le chef de file du courant des « appellistes » au sein du PDG en a encore envie. Éloigné des dossiers économiques qui lui étaient familiers en tant que ministre de l’Économie et des Finances, Toungui ronge son frein au département des Affaires étrangères. D’autant que le président semblait lui préférer des personnes ayant travaillé au cabinet présidentiel, telles que Laure Olga Gondjout, qui entretient un précieux carnet d’adresses confectionné du temps où, régnant sur le secrétariat du chef de l’État, elle filtrait les entrées des visiteurs du bureau présidentiel. Certains, au sein du PDG, font de Jean Ping, actuel président de la Commission de l’Union africaine, une solution idéale de compromis, qui permettrait à la fois d’éviter une lutte fratricide et de ne pas écorner l’image du pays. Apprécié d’Omar Bongo Ondimba, qui l’a propulsé à Addis-Abeba, Ping a également été le compagnon de sa fille Pascaline, avec laquelle il a deux enfants. Consensuel et bénéficiant d’une réputation internationale que les autres prétendants potentiels n’ont pas, cet ancien ministre des Affaires étrangères pourrait fédérer les clans rivaux. À moins qu’une surprise ne survienne avec l’irruption de personnalités du secteur privé. Dans cette catégorie, on cite fréquemment le nom de Marcel Abeké, PDG de la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog). Conseiller spécial particulièrement apprécié du chef de l’État décédé, il apparaît comme un homme neuf aux yeux de l’opinion, et sa réputation est sans tache. Mais son expérience politique est sommaire et son ambition peu lisible.

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En revanche, d’autres personnalités « pédégistes » de premier plan semblent d’ores et déjà hors contexte, « carbonisées » pour avoir été trop longtemps aux affaires ou pour être tombées en disgrâce. C’est le cas de l’ancien Premier ministre Casimir Oyé Mba, en dépit de son retour sur le devant de la scène observé depuis deux ans. Il est actuellement à la tête du ministère stratégique du Pétrole et des Mines. C’est également le cas de Jean-François Ntoutoume Emane, lui aussi passé par la primature, qui a retrouvé un mandat en se faisant élire à la mairie de Libreville. 

L’opposition veut saisir sa chance

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Dans la même veine, l’ex-jeune premier Richard Auguste Onouviet, ancien ministre des Mines, a lui aussi disparu des écrans radars de la succession. Selon ses détracteurs, le très francophile Onouviet aurait fâché le président par son manque d’enthousiasme dans la mise en œuvre du projet d’exploitation du gisement de fer de Belinga, en partenariat avec la Chine.

Face à eux, on retrouve une opposition qui rêve de prendre sa revanche sur le système PDG. « Si on organise une élection régulière et transparente, le candidat du PDG ne gagnera pas », pronostique un chroniqueur politique. « Il n’y a qu’à voir le taux d’abstention (70 %) enregistré lors des dernières consultations électorales pour se rendre compte que les Gabonais ne veulent plus de ce système. L’opposition a une belle carte à jouer. » Mais en aura-t-elle la possibilité ? Ceux des opposants qui ont rallié la majorité présidentielle, à l’instar du vice-â¨Premier ministre Paul Mba Abessole ou du vice-président Didjob Divungi, pourraient bien être comptables d’une part de l’inventaire de quarante ans de « pédégisme ». De la même manière, Zacharie Myboto, qui est passé de la majorité présidentielle à l’opposition radicale en 2001, n’a pas fait oublier qu’il servit pendant plus de trente ans un régime dont il dénonce avec fougue les abus.

Quant à Pierre Mamboundou, si sa base électorale a légèrement diminué depuis qu’il a modéré son opposition à Omar Bongo, il demeure un adversaire redoutable pour le PDG. Toutefois, le parti au pouvoir reste une formidable machine électorale. De tous les mouvements politiques gabonais, il est le seul à disposer à la fois d’une solide implantation sur l’ensemble du territoire national, d’un très grand nombre de représentants au sein de l’administration et de moyens colossaux. Bref, le PDG semble, de loin, le mieux placé pour donner au Gabon son quatrième président de la République. Encore faut-il qu’il surmonte ses rivalités internes.

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