Notre ami Omar

De Paris à Johannesburg en passant par les capitales du Maghreb et celles de l’ex-pré carré de la France, la disparition d’Omar Bongo Ondimba suscite une réelle émotion. Un sentiment étroitement lié à la nature des relations que le Gabon entretenait avec chacun de ces pays depuis plus de quarante ans.

Christophe Boisbouvier cecile sow

Publié le 15 juin 2009 Lecture : 11 minutes.

Paris La fin d’une époque

Le 10 juin, quand la présidente du Sénat a prêté serment, les autorités françaises ont poussé un gros ouf ! de soulagement. « Vous voyez, ce n’est pas le Togo, se réjouit un décideur à Paris. Pour l’instant, le Gabon fait un sans-faute. » De fait, le scénario togolais de février 2005 ne s’est pas reproduit. Ali Bongo Ondimba n’a pas fait de coup d’État pour s’emparer du pouvoir le jour même de la mort de son père. Certes, il reste le risque très réel d’une élection truquée suivie d’une sanglante répression, comme au Togo. Mais ce décideur ne veut pas y croire : « Eyadéma a laissé un pays coupé en deux. Bongo a unifié le sien. » Vu de Paris, le scénario idéal pourrait se jouer en deux actes. Le parti au pouvoir désignerait un candidat, puis celui-ci serait élu au terme d’un scrutin transparent. Le problème, c’est le premier acte. « Il y aura une lutte au couteau pour savoir qui sera le candidat du clan », lâche un diplomate français. « Il faut que les choses se décantent entre Ali, Pascaline et le général Idriss Ngari, et ensuite que le clan soit unanime derrière la personne choisie… Pas gagné ! » Les Français ont-ils une préférence ? « Franchement, non, répond un haut responsable à Paris. Il paraît qu’Ali est moins pro-français que Pascaline, mais en 2005 beaucoup disaient que Merkel était moins francophile que Schröder. Or, aujourd’hui, le couple franco-allemand marche très bien. C’est moins une question de personnes que de structures. »

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Plusieurs prétendants vont-ils se prévaloir d’un soutien de Paris ? « Vous savez, on a l’habitude. Au Niger, l’entourage de Tandja tente de faire croire que nous sommes pour son maintien au pouvoir. C’est complètement faux. Nous ne nous laisserons pas instrumentaliser. » À en croire ce haut responsable, une seule chose compte : une succession démocratique. Il n’empêche. Paris se méfie des opposants historiques : Paul Mba Abessole, Pierre Mamboundou et Zacharie Myboto. Avec les héritiers du système Bongo, les Français sont en terrain connu.

En fait, la vraie crainte de l’Élysée, c’est une explosion de violence. Quelque dix mille ressortissants français vivent au Gabon. À Paris, on assure que l’armée française ne fera plus jamais du maintien de l’ordre. « Port-Gentil en 1990, c’est de l’histoire ancienne. Lors de la bataille de N’Djamena l’an dernier, Nicolas Sarkozy a fixé la nouvelle ligne. Il n’est plus question qu’un soldat français tire sur un Africain. » Vrai ou faux ? Pour l’instant, Paris maintient une base militaire à Libreville. Demain, si les ressortissants français sont pris à partie, les mille soldats de la base ne resteront pas l’arme au pied.

« Maintenant que Bongo n’est plus là, on n’a plus la prétention de maintenir des positions aussi hautes », soupire un diplomate français. « Oui, c’est vrai, les relations franco-gabonaises vont se normaliser, dit un autre. Mais vous savez, le Gabon n’est plus aussi stratégique qu’avant. Total extrait trois fois plus de pétrole du sous-sol angolais. » À Paris, on essaie de faire contre mauvaise fortune bon cœur. 

Rabat Au pays de Hassan II : « Polisario, connais pas ! »

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Le téléphone ne cesse de sonner chez Moulay Driss Alaoui, à Rabat. Tout le monde connaît l’amitié qui liait l’ancien ambassadeur du Maroc à Libreville et le président gabonais. Aussi l’appelle-t-on pour lui présenter ses condoléances. Pour les Marocains, El Hadj Omar Bongo Ondimba n’était pas un chef d’État étranger. Il faisait partie du paysage, nombreux sont ceux qui lui vouaient, ainsi qu’aux siens, une réelle affection.

L’idylle entre le Maroc et le Gabon remonte à 1974, et son artisan est précisément Moulay Driss, qui y représenta le royaume pendant plus de vingt ans. En l’envoyant auprès de Bongo alors que l’affaire du Sahara est en train de se nouer, le roi entend bien trouver à Libreville un allié dans les controverses qui s’étendront à l’ensemble du continent. Moulay Driss découvre alors un pays démuni, qui ne compte pas plus de 500 000 âmes, dépourvu des infrastructures essentielles et relié à l’extérieur par un seul vol d’UTA par semaine. Pour l’ambassadeur, c’est Bongo qui a créé le Gabon d’aujourd’hui : « C’était un bâtisseur. Il avait l’art et la manière d’apaiser les conflits chez lui et au-delà. »

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Le royaume a été étroitement et constamment associé au développement du pays. Son apport majeur aura été la formation massive de cadres dans tous les domaines. Agents des douanes, ingénieurs, médecins, gendarmes ou officiers de l’armée ont fréquenté les établissements marocains. Cette intense coopération a favorisé les mariages mixtes. Plus d’un étudiant gabonais est revenu au pays avec femme et enfants. Le modèle marocain a embrassé naturellement le champ religieux. Inaugurée en février 1983, la mosquée Hassan-II s’élève face au palais présidentiel à Libreville, comme à Touarga, l’enceinte du palais royal à Rabat. Certains des locaux qui abritent les bureaux du chef de l’État gabonais ont été aménagés dans le pur style mauresque par des maâlems venus de Fès ou de Marrakech. Omar Bongo Ondimba, qui aimait la cuisine marocaine, s’en faisait servir fréquemment chez lui. Enfin, le premier voyage à l’étranger du prince héritier, le futur roi Mohammed VI, a été pour le Gabon.

Sur l’affaire du Sahara, le soutien d’Omar Bongo Ondimba s’est révélé sans failles. Il prit même des allures militantes lorsqu’une cohorte de Gabonais, drapeaux déployés, fut dépêchée aux premiers rangs de la Marche verte en novembre 1975. Et quand on interrogeait le président Bongo sur l’affaire du Sahara, il répondait laconiquement : « Polisario, connais pas ! »

Dakar Bongo-Wade : doyen contre doyen

« Ce qui lie le président Wade au président Bongo, nul ne peut l’entacher. Les relations sont au beau fixe », affirmait en janvier dernier, à Libreville, le ministre sénégalais de l’Information, Aziz Sow, à l’issue d’un entretien avec le président Omar Bongo Ondimba, alors que la tension entre le Sénégal et le Gabon était montée d’un cran. À l’origine du problème : les accusations portées contre Macky Sall, l’ex-premier ministre sénégalais, soupçonné à Dakar d’avoir soutiré des fonds à Bongo et d’être mêlé à une affaire de blanchiment d’argent en relation avec le Gabon. Aujourd’hui, Sall ne souhaite pas revenir sur cet incident « par décence et parce que le contexte ne s’y prête pas, dit-il. Je n’ai jamais eu de relation d’argent avec Bongo. Quand j’ai créé mon parti politique, j’ai juste voulu recevoir ses conseils. » Quoi qu’il en soit, cette histoire a bien failli gâcher pour de bon les relations entre Dakar et Libreville rendues difficiles par une rivalité entre les deux « doyens » : si Wade était le plus âgé, Bongo avait passé plus de temps que lui au pouvoir.

Bongo entretenait en revanche de bonnes relations avec Abdou Diouf. À la fin des années 1990, il était d’ailleurs intervenu pour empêcher Djibo Kâ, puis Moustapha Niasse, deux barons du Parti socialiste (PS, alors au pouvoir), de rompre avec l’ancien président sénégalais. La tentative échoua. Néanmoins Djibo Kâ finit par rallier le camp Diouf entre le premier et le second tour de la présidentielle de 2000. « De son propre chef », soutient-il.

Abidjan Gbagbo-Bongo : « Je t’aime, moi non plus »

Des années Houphouët (1960-1993) à la présidence d’Henri Konan Bédié (1993-2000), les relations ivoiro-gabonaises ont longtemps été au beau fixe. Toute la classe politique ivoirienne fréquentait le Palais du bord de mer, à Libreville. Et l’actuel chef de l’État, Laurent Gbagbo, est l’un des opposants ivoiriens qui bénéficia alors de la générosité d’Omar Bongo. À la fin des années 1990, les liens sont si étroits entre les deux hommes que lorsque se produit le putsch du général Robert Gueï, en décembre 1999, Laurent Gbagbo se trouve à Libreville. C’est à bord d’un avion spécial affrété par la présidence gabonaise que le leader du FPI regagne la Côte d’Ivoire. Quand Gbagbo accède au pouvoir en octobre 2000, il bénéficie du soutien franc et massif de son homologue gabonais.

Les rapports se gâtent rapidement. Ils deviennent même calamiteux lorsque survient la rébellion armée dans le nord du pays, en septembre 2002. Suspectant le président Bongo de faire le jeu de son adversaire Alassane Dramane Ouattara, le chef de l’État ivoirien n’hésite pas à mettre de côté les bonnes manières diplomatiques pour attaquer de front l’homme fort de Libreville. En juin 2005, quand Gbagbo qualifie Bongo de « rigolo », les deux pays frôlent l’incident. Mais les deux chefs se réconcilient à l’occasion d’un sommet de l’Union africaine grâce aux bons offices de leurs collaboratrices respectives, Sarata Ottro, l’ex-directrice de cabinet adjointe de la présidence ivoirienne (décédée en avril dernier), et Laure Olga Gondjout, actuelle ministre de la Communication du Gabon. Laurent Gbagbo se rendra ensuite à Libreville pour présenter ses excuses à son aîné. Depuis cet épisode, les rapports s’étaient stabilisés entre les deux hommes.

Lorsqu’il a appris la disparition de son homologue gabonais, Laurent Gbagbo a salué la mémoire du défunt. Et il a souhaité que le Gabon ne connaisse pas une situation similaire à celle qu’a connue la Côte d’Ivoire « du fait d’une question de succession mal réglée ».

Lomé Médiation et longévité

Vu de Lomé, le décès d’Omar Bongo Ondimba n’est pas sans rappeler celui de Gnassingbé Eyadéma, le 5 février 2005. Arrivés au pouvoir la même année, en 1967, les deux présidents avaient lié une solide amitié eu égard à leur longévité politique. Bongo, qui avait notamment offert sa médiation dans la crise togolaise en avril 2005, était d’ailleurs devenu doyen des chefs d’État africains au lendemain de la disparition de son homologue. « La profonde tristesse » affichée par les autorités n’étonne guère. Dans un communiqué, le président Faure Gnassingbé, « consterné » par cette perte de « grande ampleur pour l’Afrique », salue la mémoire d’un « vieil ami du Togo […] qu’il avait tant de plaisir à rencontrer ».

Les opposants reconnaissent également la qualité de l’ex-président gabonais. « Il était critiqué, mais chacun sait ce que nous lui devons en termes d’écoute, de tempérance et de conseils », explique Léopold Gnininvi, président de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA). « Il était la mémoire politique du continent et avait une parfaite connaissance des hommes et des acteurs. » Un avis partagé par Yawovi Agboyibo. « Au Gabon comme au Togo, il n’y a pas eu d’alternance, souligne l’ancien Premier ministre. Mais je n’hésite pas à le qualifier de génie politique. Il avait du flair, il était rassembleur et savait apprivoiser chacun de ses interlocuteurs, y compris le moindre opposant », conclut-il.

Yaoundé Entre méfiance et condoléances

Malgré la froideur dont sont généralement empreintes les relations entre Libreville et Yaoundé, l’heure est aux condoléances. Du moins chez les officiels. Le ton de la lettre adressée par le président Paul Biya aux autorités gabonaises en atteste : « Le peuple camerounais et moi-même mesurons pleinement l’ampleur du chagrin qu’éprouve le peuple frère gabonais […]. En cette douloureuse circonstance, je tiens à saluer la mémoire de l’homme attachant, du grand Africain et du sage qu’il était. »

La presse montre moins de chaleur. Le journal gouvernemental Cameroon Tribune préfère sonder l’avenir : « Une chose est sûre : la mort d’Omar Bongo laisse au Gabon et en Afrique un grand vide qu’il sera difficile de combler. » De son côté, le quotidien Mutations évoque la gestion de la transition dans les pays – comme la Guinée, le Togo, la Côte d’Ivoire – dont les dirigeants n’ont pas su préparer leur succession : « Pour avoir refusé d’affronter la réalité en face, des chefs d’État ont plongé leurs pays dans des situations que leurs héritiers n’arrivent toujours pas à gérer, plusieurs années après. » Le quotidien trouve d’ailleurs un motif d’inquiétude dans la « décision de fermer les frontières terrestres, aériennes et maritimes du pays prise par le ministre de la Défense, par ailleurs fils du président défunt » dans les heures qui ont suivi l’annonce du décès.

Pour sa part, le ministre de la Communication, Jean-Pierre Biyiti bi Essam, se veut confiant quant à l’avenir et souhaite « rendre hommage à l’engagement du président Bongo en faveur de l’intégration sous-régionale, notamment au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale [Cemac] ». Une instance au sein de laquelle Libreville et Yaoundé se livrent, depuis sa création il y a dix ans, une véritable lutte d’influence… Le changement de tête au sommet de l’État gabonais va-t-il modifier la donne ?

Johannesburg Hommage au militant antiapartheid

Dès que l’on quitte la zone francophone, l’aura d’Omar Bongo Ondimba s’amenuise. L’annonce de son décès n’a fait la une d’aucun quotidien. Seuls quelques-uns ont consacré à l’événement quelques articles en pages intérieures. L’édition en ligne du Times proposait une interview de Francis Nguendi Ikome, un analyste de l’Institute for Global Dialogue, un centre de recherche sud-africain, qui qualifie Omar Bongo de « laquais de la France » et explique que « sa gestion très personnalisée du pouvoir » risque de rendre sa succession difficile. Interrogé par J.A., Francis Ikome nuance son propos. Même si OBO n’était pas irréprochable, il se distinguait par ses talents de médiateur.

Paul Simon Hardy, expert de l’Institute for Security Studies (ISS) installé à Pretoria, estime que les Sud-Africains « n’ont pas les clés pour comprendre les pays francophones. Ils ont de Bongo une vision très étroite, limitée à celle d’un autocrate au pouvoir pendant plus de quarante ans, explique ce chercheur d’origine camerounaise. Il était pourtant une pièce centrale dans la résolution des conflits. »

Bongo n’aura pas eu le temps de connaître mieux le nouveau président sud-africain, Jacob Zuma, avec lequel il avait participé à une médiation au Burundi, en 2002. « Ils se seraient très bien entendus », extrapole Paul Simon Hardy, qui connaît le profil des deux hommes. Le président gabonais n’avait pas, en revanche, une très bonne image de Thabo Mbeki, auquel il avait notamment reproché des maladresses dans la gestion de la crise ivoirienne. Le plus proche allié sud-africain du président gabonais restait, en fait, Nelson Mandela. Recevant Bongo en novembre 1996, Mandela n’avait pas tari d’éloges sur « l’un des plus grands hommes d’État africains, un vrai faiseur de paix et un médiateur ». « Votre nom est tenu en haute estime en Afrique du Sud », lui avait dit Mandela, qui avait toujours beaucoup d’indulgence pour ceux qui avaient, comme Omar Bongo, soutenu sa lutte contre l’apartheid.

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