Vivre (et mourir) au pouvoir

De sa naissance dans le petit village de Lewaï, dans le Haut-Ogooué, en 1935, à son décès dans une clinique de Catalogne la semaine dernière, El Hadj Omar Bongo Ondimba a suivi un itinéraire hors norme. Retour sur le parcours flamboyant d’un chef d’État dont le destin aura influencé durant quatre décennies toute l’Afrique francophone.

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Publié le 15 juin 2009 Lecture : 14 minutes.

Étrange malédiction que celle-ci. Comme Léon Mba, son père spirituel, son mentor à qui il devait tout, à commencer par le pouvoir, Omar Bongo Ondimba est mort à l’étranger, des suites d’un cancer. Mba avait souffert seize mois dans un hôpital parisien, lui n’aura survécu qu’un mois dans une clinique barcelonaise au milieu des rumeurs et des démentis, isolé par son entourage comme un scaphandrier du Grand Bleu. Samedi 6 juin au soir, il avait encore assez de forces pour plaisanter au téléphone, avec un ex-ministre centrafricain qu’il avait pris en affection, de la victoire à lui dédiée du onze gabonais sur l’équipe du Togo, ainsi que des femmes, « dont on ne se méfie jamais assez ». Dimanche 7 : brusque rechute, accompagnée d’une nouvelle perte de connaissance. Les médecins espagnols, très pessimistes depuis le jour de son arrivée et l’opération d’urgence qui n’avait permis que de constater l’inexorable progression des métastases du « crabe », savent que, cette fois, El Hadj Omar Bongo Ondimba ne se réveillera plus.

Lui seul connaît la seconde exacte à laquelle son esprit s’en est allé rejoindre ceux de ses ancêtres, et peu importe au fond qu’il se soit envolé le dimanche soir ou le lundi à 14 h 02 – heure officielle du décès – puisque c’est à Lewaï (aujourd’hui Bongoville), dans la savane bosselée et giboyeuse du pays batéké, non loin des rives du fleuve Ogooué, qu’il repose désormais. C’est là qu’Albert, neuvième enfant de Basile Ondimba, cultivateur, est né le 30 décembre 1935. Petite colonie délaissée de l’Afrique-Équatoriale française (AEF), le Gabon compte alors à peine deux cent mille habitants, quelques pistes et pas un kilomètre de chemin de fer. Gros village à trente kilomètres à l’est de Franceville et à cinq cents de Libreville, Lewaï est totalement enclavé et le demeurera jusqu’à la construction de « la route des abeilles », quatre décennies plus tard. Albert a 7 ans quand son père décède, 12 quand sa mère meurt à son tour. Placé sous le tutorat d’un oncle ombrageux, petit fonctionnaire de l’administration coloniale, il fréquente l’école primaire de Zanaga et suit son tuteur lorsque ce dernier est affecté à Brazzaville, la capitale de l’AEF. Scolarisé dans le quartier de Bacongo, puis à Impfondo, dans le nord du Congo, où son oncle est nommé, Albert ne supporte guère l’isolement en brousse. Un jour de 1952, il s’embarque clandestinement sur un vapeur qui descend l’Oubangui puis le grand fleuve Congo, rejoint Brazza et s’installe chez son frère aîné. Inscrit au collège technique, jeune homme vif, curieux et – déjà – séducteur, Albert Bongo, jusque-là animiste, se convertit au catholicisme et s’adjoint pour l’occasion un second prénom : Bernard. Employé comme auxiliaire à la Poste centrale de Brazzaville, il tente – et réussit – le concours d’entrée de l’administration des PTT. C’est à cette époque que, sous l’influence d’un inspecteur des postes, français et socialiste, Albert Bernard Bongo est initié à la franc-maçonnerie. Par conviction peut-être, par ambition, sans doute. Car le jeune Bongo s’intéresse très vite à la politique. Issu d’une ethnie minoritaire du Gabon – les Tékés –, il cherche sa place dans l’affrontement pré-indépendance qui oppose dans son pays deux personnalités fangs : Léon Mba et Jean-Hilaire Aubame. Premier ministre en février 1959, Mba tient la corde, mais rien n’est encore joué puisque Paris semble hésiter. En attendant, Albert Bernard compte les points…

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Dans l’armée française

Il prend, aussi, un recul obligé. Le service militaire dans l’armée française l’attend. Il choisit l’armée de l’air, fait ses classes à Brazzaville avant d’être envoyé à la base aérienne 172 de Fort-Lamy, au Tchad, d’où il sortira lieutenant en octobre 1960 avec une spécialité : le renseignement. Profitant d’une permission à Brazza, il épouse Joséphine Kama – qui deviendra bien plus tard, après son divorce, une chanteuse connue sous le nom de Patience Dabany – et assiste de loin à la proclamation de l’indépendance du Gabon, le 17 août 1960. Une indépendance saluée par un discours d’André Malraux, placée sous contrôle étroit du colonisateur et acquise par mimétisme beaucoup plus que par la volonté des nouveaux dirigeants. Jusqu’au bout, Léon Mba, à qui le tandem Charles de Gaulle-Jacques Foccart a confié les rênes du pouvoir, se sera battu pour que le Gabon soit un département français et pour qu’un drapeau tricolore figure dans un angle du drapeau gabonais. Cette relation incestueuse en forme de péché originel pèsera longtemps sur les rapports franco-gabonais, sans doute jusqu’au 8 juin 2009.

Son service militaire achevé, Bongo rejoint Libreville et l’administration des PTT. Une branche professionnelle qui le passionnera toujours au point d’exercer de facto, dans les années 1970, la fonction de ministre des Télécommunications. Lors des législatives de 1961, il soutient un candidat local chez lui, dans le Haut-Ogooué, et se fait remarquer de Jean-Hilaire Aubame, qui s’est entre-temps (et pour une brève période) réconcilié avec Léon Mba. Aubame, ministre des Affaires étrangères, coopte au sein de son cabinet ce garçon de 26 ans, fougueux, malin, un brin « sapeur » et manifestement ambitieux. Le président Mba le repère bientôt à son tour. Il l’enlève à son rival et lui confie la direction adjointe, puis la direction de son propre cabinet. Nous sommes en octobre 1962. Albert Bernard roule dans Libreville en Renault 4 et ses costumes rayés ne laissent pas les dames indifférentes. Auprès de Léon Mba, qu’il servira fidèlement pendant cinq ans, Bongo apprend beaucoup. Il observe notamment comment un pouvoir qui ne sait pas se régénérer devient rapidement archaïque et désuet, surtout quand il s’appuie avant tout sur les chefs traditionnels et les adeptes du bwiti, le rite secret des Fangs. Il vit aussi une épreuve initiatique, celle du coup d’État. Le 17 février 1964, des militaires s’emparent du Palais et annoncent la mise en place d’un gouvernement provisoire dirigé par Jean-Hilaire Aubame, au sein duquel figurent entre autres Paul Gondjout et Éloi Chambrier – futures personnalités de l’ère Bongo. Léon Mba est interné à Lambaréné et son directeur de cabinet au camp Baraka de Libreville. Les troupes françaises envoyées depuis Dakar et Bangui interviennent aussitôt. Le 20 février, toute résistance cesse. Aubame est arrêté. Il sera condamné à dix ans de prison. De cet épisode, qui l’a traumatisé, Bongo conservera toujours une grande méfiance pour l’armée gabonaise au point de la transformer en « armée mexicaine », où les gradés sont plus nombreux que les hommes de troupe.

Septembre 1965. Albert Bernard prend du galon. Léon Mba, déjà malade – on a diagnostiqué chez lui un cancer du poumon –, le nomme ministre délégué à la Présidence, chargé de la Défense et des Affaires gouvernementales. Une sorte de Premier ministre bis. À Paris, Jacques Foccart s’intéresse de plus en plus à celui qui fait désormais figure de dauphin potentiel. Il est un peu réservé : « Pas une grande formation, mais du courage et de la volonté », note-t-il dans son « journal ». Et aussi : « Un jeune autoritaire, qui sait ce qu’il veut, qui aurait de la fermeté, mais pas la capacité à gouverner. » L’aggravation de l’état de santé de Mba, hospitalisé dans la capitale française fin août 1966, aura raison de ses hésitations. En novembre, Bongo devient vice-président et successeur constitutionnel. Un an plus tard, au lendemain du décès du « vieux », il devient donc automatiquement le deuxième président de la République gabonaise. De Gaulle, qui l’a reçu et jaugé, estime désormais qu’il s’agit d’un « type valable ». Albert Bernard Bongo a 32 ans. Il est pressé d’asseoir un pouvoir qu’il exerce en réalité depuis plus d’un an.

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Adoubé par Paris

Le 4 décembre 1967, les obsèques de Léon Mba, dont le corps a été rapatrié la veille, durent quatre heures en présence de huit chefs d’État africains – tous décédés aujourd’hui. Bongo est affligé, mais il se ressaisit vite. En janvier 1968, il est à Paris pour une visite à l’Élysée qui ressemble fort à un adoubement. Sur le chemin du retour, il fait escale à Abidjan, pour un autre parrainage, essentiel à ses yeux, celui de Félix Houphouët-Boigny, le seul chef d’État africain qu’il ait réellement admiré. Sur les conseils de ce dernier, il lance dès le mois de mars le Parti démocratique gabonais (PDG), effaçant au passage et pour plus de vingt ans les dernières traces d’un multipartisme moribond. Le 17 août, c’est à Port-Gentil, alors que brillent au large les feux des torchères, que le président Bongo célèbre le huitième anniversaire de l’indépendance. D’aucuns y voient un symbole : le Gabon des forestiers cède la place au Gabon des pétroliers. L’or noir découvert dans les années 1930 ne va pas tarder à couler à flots visqueux, pour le meilleur et pour le pire. L’année 1968 s’achève sur un étrange baptême du feu. Pressé par Houphouët, sommé par la France, Bongo reconnaît l’indépendance factice du Biafra et accepte que l’aéroport de Libreville serve de plaque tournante aux mercenaires, barbouzes et autres cargos d’armes à destination des rebelles sécessionnistes du colonel Ojukwu. Entre les services secrets français et le président gabonais, c’est le début d’une longue connivence.

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La décennie qui s’ouvre, celle des années 1970, est celle du pétrole, du champagne, de l’argent facile et des espérances déçues. Elle commence mal pour l’opposant Germain Mba, assassiné en plein Libreville par deux mercenaires français, et bien pour Jean-Hilaire Aubame, enfin libéré après huit années de travaux forcés, dont cinq les fers aux pieds. L’élection présidentielle de février 1973, à laquelle il est l’unique candidat, tourne au plébiscite pour Bongo : 99,6 % des voix.

Conversion à l’islam

Six mois plus tard, c’est un président euphorique, mais aussi opportuniste, qui abandonne le catholicisme pour l’islam. Une seconde conversion qui doit un peu à l’insistance du colonel Kadhafi, son nouvel ami, et beaucoup à l’air du temps. Le choc pétrolier est en passe de transformer le Gabon en émirat, membre d’une Opep au sein de laquelle les musulmans règnent en maîtres. Omar Bongo se fait alors bâtisseur : chemin de fer Transgabonais, ports en eau profonde, centrales électriques, routes, Air Gabon, Africa N° 1… En 1977, à l’occasion du 14e sommet de l’OUA, Libreville est entièrement relookée. Nouveau palais présidentiel, Palais des conférences, Cité du 12-Mars, boulevard triomphal : c’est l’apothéose, le « miracle gabonais » célébré à l’étranger par une cohorte de thuriféraires et d’hommes d’affaires de tout acabit. Nul ne s’aperçoit de l’assassinat suspect, cette année-là, d’un autre opposant, le poète Ndouna Depenaud. Et nul ne prête attention au revers de la médaille : un développement entièrement à la merci du pétrole et des inégalités sociales de plus en plus criantes.

La France, dont 25 000 ressortissants vivent – et vivent bien – au Gabon, serait, il est vrai, mal venue de critiquer Bongo. Ce dernier n’a-t-il pas, en janvier 1977, prêté assistance à un nouveau coup de griffe de la Françafrique, l’opération Crevette, tentative ratée de renversement du président béninois Mathieu Kérékou, couverte par Valéry Giscard d’Estaing et dans laquelle ont trempé Houphouët, Eyadéma et Hassan II ? En décembre 1979, Omar Bongo entame son second mandat par une élection au score anecdotique (99,8 %). L’avenir radieux du « progressisme démocratique et concerté », doctrine officielle du parti au pouvoir, est devant lui.

Las. Deux orages s’annoncent bientôt à l’horizon : la crise économique et l’arrivée au pouvoir en France du socialiste François Mitterrand. On frôle la rupture avant le limogeage du ministre de la Coopération, Jean-Pierre Cot, et on touche le fond lors du sommet franco-africain de Vittel en 1983. Motif, déjà : la « campagne de déstabilisation » dont Omar Bongo se dit l’objet de la part des médias français. Il faudra tout l’entregent des amis socialistes et/ou francs-maçons du président gabonais – Roland Dumas, François de Grossouvre, Catherine Tasca, Pierre Mauroy… – pour que ses relations avec Mitterrand trouvent leur point d’équilibre. Lourdement endetté, le Gabon peine à boucler ses fins de mois alors que le FMI et la Banque mondiale commencent à critiquer la gestion des deniers publics. Pourtant, la vie politique interne reste atone et la poignée d’opposants qui battent le pavé de Paris ne sont écoutés par personne. À peine révèle-t-on l’exécution, une aube du mois d’août 1985, d’un certain capitaine Manja Ngokouta pour cause de « complot ». La paix et la stabilité d’une éponge à pétrole n’ont pas de prix, même si la production de brut commence à chuter. En novembre 1986, la deuxième réélection d’Omar Bongo (99,97 % !) passe inaperçue. Les années 1980 s’achèvent, moroses. Anesthésié, le Gabon s’ennuie.

Conférence nationale

1990 : le réveil est brutal. En janvier, les étudiants de Libreville descendent dans la rue. Grèves et pillages s’ensuivent. Port-Gentil, la capitale pétrolière, s’enflamme à son tour. Le gel des salaires, les inégalités, l’absence de démocratie et bientôt Bongo lui-même sont cloués au pilori. Le président réagit vite, non sans habileté, en promettant la tenue d’une conférence nationale non souveraine, dont il sifflera le début et la fin mais qui permettra à chacun de s’exprimer. Ouverte le 14 mars en présence d’un millier de délégués et présidée par un évêque, elle durera cinq jours et s’achèvera sur une concession majeure : le rétablissement du multipartisme. Omar Bongo, celui-là même qui, huit ans auparavant, déclarait « la démocratie ne nous intéresse pas » est contraint d’y recourir. Si le boulet n’est pas passé loin, son souffle n’est pas pour autant apaisé. À peine Bongo a-t-il nommé un nouveau Premier ministre prometteur en la personne de Casimir Oyé Mba que la mort dans des circonstances non élucidées à ce jour de Joseph Rendjambe, l’un des ténors de l’opposition avec l’abbé Paul Mba Abessole, met à nouveau le feu aux poudres. Port-Gentil est en état d’insurrection et la France de Mitterrand et de Michel Rocard, alors chef du gouvernement, envoie ses paras pour rétablir l’exploitation pétrolière et ramener l’ordre. Peu à peu, l’affrontement abandonne le théâtre des quartiers populaires pour rejoindre celui où Omar Bongo est le plus à l’aise : la politique. Les législatives de septembre 1990 donnent une courte majorité au PDG et c’est tout le mérite du chef de l’État que de ne pas avoir tenté alors une restauration autoritaire. Au contraire : parce qu’il a perçu les failles du système et la fragilité des politiciens face aux multiples séductions qu’offre le pouvoir, Omar Bongo va jouer à fond le jeu d’une démocratie versatile, émiettée et phagocytée. C’est au cours de cette année troublée que Bongo épouse, le 4 août, Édith Lucie Sassou Nguesso. Une femme belle et intelligente, médecin de formation et fille de son voisin, le président congolais Denis Sassou Nguesso. Ce mariage, dont il aura deux enfants, le stabilise. Il en a bien besoin, face à une opposition qui ne le lâche plus. En juin 1991, Mba Abessole décrète des journées ville morte diversement suivies. Début 1992, le même lance un appel à la grève générale avec ce commentaire incendiaire : « Pour nous, cet homme est mystiquement mort. Si le Gabon était un État de droit, il serait en prison. » Le 5 décembre 1993, Omar Bongo participe à sa première élection présidentielle concurrentielle. La campagne est rude et le résultat serré. « En forçant un peu le destin », comme le dira Jacques Foccart, il passe au premier tour avec 51 % des voix, contre 26,5 % à Mba Abessole. Deux jours plus tard, Houphouët, son modèle, meurt. Il est désormais le doyen. À partir de là, le climat s’apaise. Le choc de la dévaluation du franc CFA, en janvier 1994, à laquelle il s’oppose en vain, frappe un Gabon de nouveau apathique. Bongo, que la politique intérieure de son petit pays semble lasser, exerce ses talents hors de ses frontières. C’est la grande période des médiations, avec des fortunes diverses : réussites au Tchad, en Centrafrique et en Angola, échecs au Zaïre, où il ne parvient pas à réunir Mobutu et Kabila, et au Congo, où en dépit de ses efforts la guerre civile de 1997 ira jusqu’à son terme. Sur ce dernier terrain, le président gabonais est confronté à un choix cornélien : il est téké comme Pascal Lissouba et il est le gendre de Denis Sassou Nguesso. Sommé de choisir entre les deux camps, il s’en sortira en aidant chacun d’entre eux. Malgré les nouvelles salves médiatico-judiciaires tirées depuis Paris sous sa ligne de flottaison – affaire Smalto, affaire Elf… –, le cuirassé Bongo termine la décennie 1990 beaucoup mieux qu’il ne l’avait commencée. Mba Abessole, élu maire de Libreville en 1997, est rentré dans le rang ; l’élection présidentielle de décembre 1998 (sa cinquième) lui permet de regagner un score qui sied à un chef, tout en restant politiquement correct (66 %) ; la production pétrolière, dopée par de nouvelles découvertes, atteint en 1999 un pic avec 17,5 millions de tonnes. Reste la dette extérieure, toujours aussi écrasante. Et l’usure, de plus en plus sensible, du pouvoir.

Entre-temps, Jacques Chirac, l’ami Jacques, a été élu en France cinquième président de la Ve République. On a sablé le champagne au Palais du bord de mer et jamais relation n’aura été aussi fluide et complice entre Bongo et l’Élysée qu’en ces années 1995-2007. Chacun sait dans le « village » que le président gabonais a « aidé » le parti gaulliste et celui qui deviendra son chef, depuis le milieu des années 1970. Une pratique étendue à la gauche au cours de la décennie suivante et dont l’intéressé s’expliquera – s’en défendant à demi – dans un retentissant livre-interview paru en 2001 : Blanc comme Nègre. Il a alors 65 ans et paraît au mieux de sa forme malgré les rumeurs de maladie qui, déjà, l’entourent. L’attention bienveillante de Jacques Chirac permet à Bongo de procéder en juillet 2003 à une révision de la Constitution, qui fait sauter le verrou de la limitation des mandats. Elle facilite aussi sa cinquième réélection, en novembre 2005, avec 79 % des voix. Puis Chirac s’en va et Nicolas Sarkozy arrive. La différence d’âge et de culture, l’absence de tout « tropisme africain » chez le nouveau président français font que la complicité n’est plus de mise. Restent les obligations, ces « fils à la patte » de la relation franco-gabonaise sur lesquels on glosera longtemps et qui font que Sarkozy n’a pas d’autre choix que de s’arrêter à Libreville lors de sa première tournée africaine, pas d’autre choix non plus que de sacrifier sur l’autel de la colère d’Omar le secrétaire d’État à la Coopération, Jean-Marie Bockel, coupable d’avoir pris au pied de la lettre les promesses de « rupture » de son patron.

Retraite hypothétique

Ces derniers mois, avant que le décès de son épouse Édith Lucie, le 14 mars 2009, vienne le bouleverser et sans doute lui porter le coup de grâce, El Hadj Omar Bongo Ondimba (le nom de son père, rajouté par décret en novembre 2003) oscillait entre deux attitudes. Outré par sa mise en cause en France dans l’affaire dite des « biens mal acquis », il menaçait Paris pour la énième fois d’un grand déballage susceptible de faire chuter quelques personnalités en vue – lesquelles ont dû accueillir avec soulagement l’annonce de son décès. Las, amer et diminué, il lui arrivait aussi d’évoquer une retraite paisible dans sa ferme de Franceville, entre ses plantations de café et les ceps de vigne qu’il s’était juré d’acclimater. Sur ce dernier point, nul ne le croyait. N’avait-il pas d’ores et déjà pris ses marques sur l’éternité en annonçant qu’il serait, en 2012, candidat pour une sixième réélection ? « En Afrique, disait-il, le pouvoir, ça se prend et ça ne se rend pas. » 

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