Le gospel, corps et âme
À l’occasion de la sortie de son neuvième album, Liz McComb donnera, les 11 et 12 juin prochain, deux concerts exceptionnels à Paris. Portrait.
The Sacred Concert, le nouvel album de Liz McComb, est incontestablement un clin d’œil à Duke Ellington et son Second Sacred Concert, créé à New York en décembre 1968 et joué à Paris, à l’église Saint-Sulpice. C’est dans le même lieu que Liz McComb, considérée aujourd’hui comme la diva du gospel dans la grande tradition de Mahalia Jackson, a choisi de présenter ce neuvième opus au public, les 11 et 12 juin prochain.
The Sacred Concert est une confluence de rendez-vous : chants anciens de la culture africaine-américaine, Thomas Dorsey, Beethoven, Édith Piaf que rejoignent les propres mélodies de Liz McComb. L’ensemble compose une œuvre qui illustre bien le parcours de la chanteuse américaine marqué par une grande ouverture d’esprit, une volonté de faire éclater les barrières en puisant, dans d’autres genres musicaux, de quoi enrichir son propre art. Et cela lui réussit bien.
Lorsque l’on rencontre pour la première fois Liz McComb, une impression se dégage : la chanteuse a l’air d’une illuminée un peu perdue sur la terre des hommes. Plutôt petite, un peu tassée, elle semble à la recherche de quelque chose d’indéfini. Dès que la conversation s’engage, on découvre un personnage attachant, une dame attentive aux mots, aux êtres, aux choses qui l’entourent. Comme ces magazines posés sur un présentoir qui attirent sa curiosité. Elle les feuillette et décide de les emporter afin d’avoir le temps de les lire.
Chez elle, aucun caprice de star. Elle est probablement la seule chanteuse qui peut, après les présentations d’usage, vous dire que votre nom est musical et se mettre à le chanter de sa voix de mezzo, comme si vous vous connaissiez depuis toujours. Elle peut, de temps à autre, poser sa main sur la vôtre pour vous témoigner sa sympathie. Ou encore interpréter soudainement un vieux blues poignant pour illustrer son propos. Chanter, pour Liz McComb, c’est comme respirer : un acte naturel.
Il ne pouvait en être autrement pour cette fille d’ouvrier et de ménagère. Née en décembre 1956 à Cleveland, dans l’Ohio, Elizabeth McComb a grandi aux côtés de six frères et sœurs. Son père décède alors qu’elle n’a que 2 ans. Sa mère, devenue pasteur d’une petite église pentecôtiste, assure la relève. La petite fille évolue alors dans un univers empreint de religiosité. Elle apprend à louer Dieu en chantant et en dansant. Introvertie, en proie à une timidité quasi maladive, elle est littéralement transfigurée quand elle chante. Petit à petit, la musique devient le principal moyen de communiquer avec les autres. « Ce que j’aime par-dessus tout, c’est rendre gloire à Dieu à travers la musique, confie-t-elle. Ma musique est avant tout religieuse parce que je suis très croyante. Mais les aspects spirituel et artistique vont de pair. » Membre de la chorale de son église, elle suit de près ses grandes sœurs qui ont formé un groupe, The Daughters of Zion. À l’école, elle apprend à jouer du violon, avant de jeter son dévolu sur le piano.
Entre passé et futur
Est-elle, comme on le dit souvent, l’une des rares héritières des traditions musicales issues directement des esclaves du XVIIIe siècle ? « Peut-être, se contente-t-elle de répondre. Il est vrai que j’ai beaucoup appris de ma mère et de ma grand-mère. Je sais très bien que le blues et le jazz sont venus d’Afrique. En réalité, je me considère comme un lien, un pont entre le passé et le futur. Quoi que l’on dise, le tambour vient d’Afrique. La différence entre les musiques réside dans la façon dont les gens se servent de leur corps. La musique noire vous fait bouger, vous transporte, vous donne des vibrations. »
En grandissant dans un pays où les chanteuses de jazz et de gospel sont légion, toute perspective de carrière lui semble illusoire. La banalité et l’anonymat restent le lot commun, en dehors de quelques percées dans des boîtes de nuit ou des chorales d’églises. Mais chacun a son destin. Celui de McComb se précise lorsque l’une de ses cousines lui demande de procéder à un enregistrement à envoyer à un producteur suisse.
La première tentative se solde par un échec. Une deuxième cassette, contenant cette fois des negro spirituals, séduit. La jeune Liz quitte alors les États-Unis au tout début des années 1980 pour enregistrer son premier album en Europe. Elle intègre en même temps The Jane Austin Singers, un groupe avec lequel elle participe à une tournée européenne dans le cadre du spectacle Roots of Rock’n’Roll. C’est le véritable début de sa carrière.
Elle a ainsi l’occasion de jouer en lever de rideau lors des concerts des grands noms de la musique africaine-américaine : Ray Charles, B.B. King ou encore la chanteuse de gospel Bessie Griffin. Au fil des ans, son talent se confirme. À l’instar de Joséphine Baker, venue en France dans les années 1920 et qui y récoltera un immense succès, c’est sur le Vieux Continent que Liz McComb devient l’incarnation du gospel.
Côte d’Ivoire, Tunisie, Maroc
Après avoir vécu en Suisse, elle finit par poser ses valises en France, un pays qu’elle épouse pour ainsi dire. Sa carrière prend de l’envergure grâce à un manager français, Gérard Vacher, qui, faute de l’imposer à l’Amérique, lui offre la possibilité de se produire sur les meilleures scènes de France et du monde. La chanteuse tourne au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Tunisie, au Maroc… Elle ouvre son gospel très personnel au rap, au jazz, au blues, à la soul, au funk et même au gwoka guadeloupéen.
L’ambiance de ses concerts est électrique. Qu’elle soit assise devant son piano ou qu’elle entonne un chant a capella, l’Américaine a cette capacité extraordinaire de chauffer à blanc un public qui ne partage pas nécessairement ses convictions religieuses. En elle, on croit reconnaître James Brown dans ses années de gloire.
« Pour moi, Dieu n’est pas uniquement dans les monastères, il ne sert pas à la seule prière, explique-t-elle. Dieu est dans les gens, dans la manière où ils l’appréhendent. Sachant ce que je dois faire pour les autres, il est pour moi fondamental de tout donner. J’ai l’énergie de tous ces gens. Une énergie de l’amour pour rester en vie. » Liz McComb, qui a vu dans son enfance les siens se battre pour les droits civiques, est fascinée par le phénomène Barack Obama. Elle qui rêvait de réaliser un film sur l’esclavage à Gorée remercie la jeunesse américaine d’avoir compris qu’Obama incarne le renouveau. Pour elle, l’Amérique a vraiment changé.
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