La concurrence Maroc-Tunisie s’intensifie par temps de crise
Destinations estivales phares, les deux pays sont menacés par une baisse de la fréquentation. Pour sauver leur saison, ils rivalisent d’initiatives pour adapter leur stratégie et diversifier leur offre.
A quelques jours de l’été, une question obsède les professionnels au Maroc et en Tunisie : peut-on encore sauver la saison touristique 2009 ? Pas sûr, si 48 % des Européens décident de séjourner dans leur pays pendant les vacances, faute d’argent, comme l’indiquait en début d’année un sondage du cabinet Gallup. L’an dernier, ils n’étaient que 43 % à envisager cette possibilité. Un coup dur pour le Maghreb. Le Vieux Continent constitue en effet son premier réservoir de touristes. C’est dans ce climat morose que Marocains et Tunisiens vont s’affronter pour remplir leurs hôtels, garnir les plages et faire vivre les commerces.
À première vue, et en dépit de prix supérieurs de 20 %, le royaume est devenu depuis trois ans la destination favorite des vacanciers au Maghreb. Il a accueilli près de 7,9 millions de visiteurs l’an dernier, contre 7 millions pour la Tunisie. L’offensive déployée par les autorités marocaines depuis le début de la décennie porterait-elle ses fruits ? La Tunisie comptait 1 million de touristes de plus par an en 2001. Elle en a 900 000 de moins aujourd’hui. La différence entre les deux pays est encore plus nette lorsque l’on compare le revenu du tourisme : 5,2 milliards d’euros pour Rabat en 2008 contre seulement 1,8 milliard pour Tunis. Toutefois la très forte remontée du Maroc s’explique largement par le poids des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Depuis dix ans, ils représentent plus de 45 % des visiteurs qui se rendent chaque année dans le pays. Soit 3,7 millions de vacanciers sur les 7,9 millions de touristes qui ont fait le déplacement au Maroc l’an passé.
L’inquiétude des deux frères ennemis est en tout cas justifiée, car leurs dernières statistiques sur le marché français, la référence en Europe, ne sont pas bonnes. Mi-mai, la Tunisie présentait un retard de 17 000 réservations par rapport à l’année dernière, selon le ministère du Tourisme. Même tendance pour le Maroc, qui, un mois avant l’été, enregistrait une baisse de 17 % par rapport à 2008, d’après nos confrères du site La Vie Éco. Des chiffres qui tranchent avec la confiance affichée par les deux pays début 2009. Au premier trimestre, le Maroc indiquait une progression du nombre de touristes accueillis de 4 %. Les Français étaient annoncés à la hausse (+ 7 %) ainsi que les Allemands (+ 10 %) et les Néerlandais (+ 11 %). Même discours optimiste côté tunisien. Le ministre du Tourisme, Khelil Lajimi, annonçait une progression de 2 % de la fréquentation française par rapport aux quatre premiers mois de l’année passée et une hausse des recettes de 2,3 %. Pourtant, selon nos informations, les statistiques montraient fin avril un recul de 4,8 % de la fréquentation venue de France par rapport à 2008 et de 2,2 % pour celle en provenance d’Allemagne et d’Italie (– 7 %). « Rien de catastrophique, relativise un responsable tunisien, car nous réalisons l’essentiel de notre activité entre avril et fin octobre. » Oui mais voilà, la contre-performance semble se confirmer.
Les professionnels du secteur fondent désormais une grosse partie de leurs espoirs sur les intentions de dernière minute. « Une tendance qui s’est énormément développée ces dernières années, au point de rendre toute prévision aléatoire », explique Adel Benkhelil, de l’Office de tourisme tunisien de Paris. Une incertitude renforcée, outre la crise, par le démarrage du ramadan en plein mois d’août. Le mois sacré pourrait dissuader les non musulmans. Et comment ceux qui auront fait le voyage dépenseront-ils leur argent si les activités tournent au ralenti ?
Pour conserver leurs parts de marché dans un contexte de récession généralisée, les deux destinations ont multiplié ces derniers mois les opérations marketing. « Une réactivité qui explique leur bonne résistance dans un contexte difficile », explique Georges Vialard, responsable de production du voyagiste Fram. Associé au tour-opérateur Look Voyages, l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) vient de mener en France sa quatrième campagne publicitaire de l’année. Plus de mille affiches ont recouvert les couloirs du métro à Paris et en province pour annoncer la dernière offre en vigueur : une semaine, tout compris, pour 379 euros. D’autres opérations seraient prévues en Europe. En 2009, plus de 35 millions d’euros y seront consacrés, 10 millions de plus que les années précédentes. Insuffisant toutefois pour rivaliser avec le royaume chérifien, dont le budget publicitaire atteint les 50 millions d’euros.
Prospecter jusqu’en Russie
Nouvel avantage au Maroc pour l’anticipation des effets de la crise. Dès le mois de décembre, un plan baptisé « Cap 2009 », de 8,8 millions d’euros, est annoncé pour faire face à la conjoncture. Objectif : limiter le recul des marchés traditionnels et prospecter de nouvelles clientèles en Europe de l’Est, en Russie, dans les pays du Golfe. La communication, au cœur du dispositif, se veut innovante. Le royaume décide notamment de renforcer sa présence sur la Toile pour démultiplier sa visibilité et optimiser ses investissements. Après son démarrage en France, l’opération a été successivement déployée en Belgique, en Allemagne, au Pays-Bas et au Royaume-Uni.
Une promotion efficace, selon Kamal Bensouda, président de l’Observatoire du tourisme marocain : « Notre situation est moins mauvaise que les autres destinations méditerranéennes que sont l’Espagne, la Grèce, l’Égypte ou la Turquie. » Pas un mot en revanche sur la Tunisie, la rivalité entre les deux pays est une question sensible. Comme pour son concurrent, le prix des séjours est un élément stratégique pour séduire les vacanciers. Crise oblige, les tarifs affichent une baisse de 13 % par rapport à 2008. Une semaine dans un hôtel quatre étoiles en demi-pension revient à 450 euros. Le royaume espère aussi une hausse de fréquentation des MRE.
Davantage de valeur ajoutée
Pour éviter le pire, le Maroc pourra aussi compter sur le bon standing de ses hébergements. Davantage épargnée par la récession, sa clientèle aux revenus plus élevés ne devrait pas a priori bouder en nombre le royaume cet été. « Le remplissage de nos séjours à Agadir est plutôt bon », confirme Georges Vialard, de Fram. Un risque qui est en revanche réel pour la Tunisie, spécialisée dans un tourisme de masse. Concentré à 80 % sur le littoral, son offre est devenue au fil des années extrêmement dépendante de tour-opérateurs comme Thomas Cook ou le groupe allemand TUI (Nouvelles Frontières…). Impossible dans ces conditions de faire jeu égal avec les revenus générés par les équipements marocains. Un touriste dépense en moyenne 257 euros au cours de son séjour au pays du Jasmin contre 658 euros pour son homologue au Maroc. Soit 2,5 fois plus.
Un positionnement que la Tunisie essaie de corriger depuis plusieurs années en améliorant le niveau de son parc hôtelier. En tout, 1,2 milliard d’euros ont été investis en équipements, en formation et dans le développement de nouveaux circuits de commercialisation. Le ministère du Tourisme a par exemple annoncé la création d’une plate-forme de vente en ligne destinée aux pays européens. Pour conquérir une clientèle plus aisée, les autorités parient également sur le développement du tourisme intérieur et de niches comme le thermalisme, les croisières ou le golf. Le 22 mai, à Hammamet, l’Association internationale des tour-opérateurs spécialisés dans le golf (IAGTO) a appuyé le projet de faire passer de dix à vingt le nombre de parcours de golf dans le pays d’ici à 2020. En attendant, les professionnels miseront sur les Libyens et Algériens pour limiter le recul de leur chiffre d’affaires.
Plus avancé sur la voie de la diversification, le Maroc poursuit lui aussi le renouvellement de son offre touristique pour atteindre ses objectifs. Lancé en 2001, le chantier doit permettre de passer le cap des 10 millions de touristes à l’horizon 2010. Entre 2001 et 2007, le nombre de visiteurs accueillis a déjà augmenté de 69 % et le nombre de lits de 47 %. Colonne vertébrale de cette stratégie, le plan Azur prévoyait la construction de six complexes hôteliers en bord de mer. Seule la station pilote de Saïdia, située sur la Méditerranée, est aujourd’hui en cours de finalisation. Les projets ont été revus à la baisse. Environ 35 000 lits devraient être achevés fin 2016, quand plus de 110 000 étaient initialement prévus pour l’année prochaine.
Des ratés dont le concurrent tunisien pourrait profiter pour refaire une partie de son retard. La signature d’un accord Open Sky annoncé pour 2010 par Tunis et l’ouverture prochaine de l’aéroport d’Enfidha vont permettre de multiplier les vols internationaux à destination du pays. Au Maroc, la libéralisation du transport aérien, entrée en vigueur en 2006, a joué un rôle déterminant dans la montée en puissance du royaume dans le secteur du tourisme.
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