Après Kim 2, Kim 3 !

Presque un an après l’attaque cérébrale dont il a été victime, le « Cher Dirigeant » fait officieusement de son troisième fils son dauphin. Reste à savoir si cette succession dynastique incongrue se déroulera comme prévu.

Renaud de Rochebrune

Publié le 9 juin 2009 Lecture : 5 minutes.

Après s’être affirmé, fin mai, comme une nouvelle et inquiétante puissance nucléaire, le très étrange et très dictatorial régime nord-coréen confirme aujourd’hui sa vocation dynastique. Dans cette sorte de monarchie communiste créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par le « Grand Dirigeant » Kim Il-Sung, le « Cher Dirigeant » Kim Jong-Il, son fils aîné, avait pris la suite, conformément au vœu de son père, en 1994. À son tour, ce dernier vient de désigner officieusement Kim Jong-Un, le troisième de ses enfants, comme le prochain leader du pays. Après Kim 1 et Kim 2, les 24 millions de Nord-Coréens devraient donc être un jour les sujets de Kim 3.

Comme toujours avec le régime de Pyongyang, la nouvelle nous est parvenue sans préavis et enrobée de mystère. C’est en effet début juin à Séoul, autrement dit grâce à des informations fournies par les services secrets sud-coréens, qu’elle a été rendue publique. Mais la question de la succession était posée depuis presque un an, quand Kim Jong-Il, 67 ans, a été contraint de renoncer à toute apparition publique après l’attaque cérébrale, jamais confirmée, bien sûr, mais quasi certaine, dont il a été victime.

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Dès la fin de sa convalescence, en décembre 2008, il aurait pris la décision de confier, le jour venu, les rênes du pays à son benjamin, puis, deux mois plus tard, en aurait informé une poignée de très hauts dignitaires. Mais ce n’est que ces jours derniers que les cadres du parti, de l’État et de l’armée, ainsi que les responsables des missions diplomatiques à l’étranger auraient été mis au courant et priés de prêter allégeance à leur futur maître. Une façon de faire savoir au pays comme au reste du monde – les fuites devenant inévitables – ce qui se préparait. 

D’Eric Clapton à Disneyland

Une fois admise cette incongruité qu’un régime communiste puisse pratiquer la succession héréditaire, le choix du dauphin n’est pour autant pas vraiment surprenant. L’un après l’autre, les deux premiers fils du « Cher Dirigeant » ont été disqualifiés dans la course au pouvoir. Le second, Kim Jong-Chol, grand admirateur du chanteur et guitariste Eric Clapton, parce que son père le trouve, dit-on, « trop efféminé » et donc incapable de s’affirmer comme chef. Et le premier, Kim Jong-Nam, parce qu’en 2001 il s’est ridiculisé en tentant sans succès de pénétrer au Japon sous une fausse identité afin de… visiter Disneyland. Arrêté à l’aéroport de Tokyo en possession de faux papiers portoricains, il avait été rapidement expulsé pour éviter des représailles de Pyongyang.

Que sait-on du futur dirigeant ? Très peu de chose. La seule photo connue de lui, dont l’authenticité n’est pas confirmée, est celle, manifestement très ancienne, d’un tout jeune garçon. Lequel aurait aujourd’hui environ 25 ans, sa date de naissance n’étant pas certaine. On suppose que, comme ses frères, il a fait des études dans une école privée internationale, en Suisse, mais sous un nom d’emprunt, celui du rejeton d’un employé de l’ambassade coréenne. Il comprend et parle donc peut-être l’anglais. Pour le reste, seul le témoignage succinct d’un ancien cuisinier japonais ayant travaillé pour Kim Jong-Il permet de se faire une idée du personnage. Kim Jong-Un ressemblerait beaucoup à son père, à la fois physiquement et sur le plan du caractère : il serait habile et volontiers autoritaire. En revanche, il manifesterait une passion pour le basket-ball – détail curieux car, s’il ressemble véritablement à son géniteur, il devrait être de petite taille.

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Sera-t-il le vrai patron du pays ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. D’autant qu’on ne sait combien de temps durera le processus de succession, à supposer qu’il se passe comme prévu. Certains laissent entendre qu’en cas de disparition rapide du « Cher Dirigeant », les vrais chefs du pays pourraient bien être les hiérarques de l’immense armée nationale – un million d’hommes – ou, s’il réapparaît dans le cercle du pouvoir, le beau-frère et ex-protégé du président, Chang Sung-Taek, l’ancien vice-président du Comité central du parti, réputé réformateur.

Il est possible que Kim Jong-Il ait tenu à faire connaître le choix de son successeur en ce moment précis afin de l’imposer plus facilement, malgré son jeune âge, aux membres éventuellement réticents de la direction. Son autorité personnelle a en effet été renforcée par le succès de l’essai nucléaire du 25 mai. Après l’échec d’une précédente tentative, en 2006, cette explosion souterraine, bien que d’une puissance modeste, a démontré que le régime maîtrisait désormais le feu nucléaire. 

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Réprobation internationale

Si cet essai renforce le régime à l’intérieur, il lui vaut la réprobation unanime de la communauté internationale, soucieuse d’éviter une prolifération de l’arme atomique et inquiète de savoir celle-ci entre les mains d’un régime aussi imprévisible. Mais Kim Jong-Il ne paraît guère s’en soucier. Dès le lendemain de l’explosion, les Nord-Coréens ont procédé à des tirs de missiles à courte portée et proféré des menaces contre Séoul. Et l’on a détecté ces derniers jours des préparatifs de lancement d’un missile balistique. Même si Pyongyang, faute de pouvoir miniaturiser sa bombe, ne paraît pas pour l’instant capable de charger une arme nucléaire dans ces missiles, il y a bien là de quoi inquiéter ses frères ennemis du Sud et leur protecteur américain – qui maintiennent sur leur territoire près de 30 000 hommes, aucun accord de paix définitif n’ayant été signé plus de cinquante ans après la guerre de Corée (1950-1953).

La Corée du Nord se prépare-t-elle vraiment à une action armée ? L’hypothèse est peu vraisemblable. Car le régime est isolé diplomatiquement, malgré le soutien de la Chine, peu soucieuse de voir s’installer le chaos à ses portes. Et totalement sinistré économiquement : une grande partie de la population vit sous la menace permanente de la famine. Et plus encore depuis la dénonciation des accords avec Washington et Séoul, qui supposaient l’octroi d’une aide matérielle en échange du renoncement de Pyong­yang à une posture agressive, surtout en matière nucléaire.

De fait, la bombe représente pour les Nord-Coréens un atout quasi unique pour pouvoir négocier à nouveau l’octroi d’une aide, notamment pétrolière. Et aussi, peut-être surtout, pour assurer la pérennité d’un régime que l’échec radical du développement du pays peut rendre fragile, en dépit – le mot est faible – de sa fermeté.

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