El Himma, à quitte ou double
Quand l’« ami du roi » croise le fer avec le gouvernement.
« El Himma retire le tapis sous les pieds d’Abbas El Fassi », titre un quotidien. Le lendemain, un autre : « Le roi retire le tapis sous les pieds d’El Himma. » Tous les deux disent vrai, mais les Marocains risquent de s’y perdre.
Vendredi 29 mai, c’est le Parti Authenticité et Modernité (PAM), fondé par Fouad Ali El Himma (FAH), qui crée la surprise. Il décide de ne plus apporter son soutien au gouvernement d’Abbas El Fassi (Istiqlal). Il le fait à moins de deux semaines des élections locales du 12 juin et alors que le roi et le Premier ministre sont absents du royaume. Aussitôt, les spéculations se déchaînent. Privé du soutien des députés du PAM (une cinquantaine dans chaque Chambre), le gouvernement est condamné à terme. Qui va succéder à « Abbas » ? « Fouad » pardi !
Samedi 30 mai, le roi, qui se trouve en visite privée en France depuis le 13, téléphone au Premier ministre, qui est à Tripoli, où il assiste au sommet du Sahel. Il lui renouvelle sa confiance. Dès son retour, El Fassi ne manque pas de venir à la télévision pour faire état du coup de fil salvateur. Parallèlement, Le Matin, organe officieux du palais, publie un éditorial où l’on peut lire : « Mohammed VI ne saurait être le roi ni d’un parti ni d’un clan et encore moins d’un homme. »
Jeux politiciens
C’est l’affaire des « transhumants » qui a cristallisé les dissensions entre le PAM et le gouvernement. On appelle ici transhumants les députés qui nomadisent d’un parti à l’autre au gré de leurs intérêts. En 2005, la loi sur les partis (article 5) a interdit le changement d’affiliation en cours de mandat. FAH la connaît bien puisqu’il officiait au ministère de l’Intérieur lors de son élaboration. Descendu dans l’arène politique, il voit les choses autrement. Il faut dire que le PAM est l’objet de toutes les sollicitations. Il ne recrute pas, il est recruté. Fondé par « l’ami du roi » et perçu ipso facto comme « le parti du roi », il voit affluer vers lui tous les notables désireux d’avoir leur part du butin. Au détriment des autres partis menacés de désertification. La première victime de la transhumance est le Parti du progrès et du socialisme (PPS), qui, avec le Front des forces démocratiques (FFD), a perdu six députés, et au passage son groupe parlementaire. À Agadir, deux sections de l’Istiqlal (quelque 80 militants !) ont rejoint le PAM. Etc.
Le phénomène s’est naturellement amplifié dans la perspective des élections du 12 juin. Chakib Benmoussa, le ministre de l’Intérieur, a essayé de mettre de l’ordre en appliquant l’article 5 de la loi sur les partis. Protestations véhémentes du PAM. Entouré de ses députés, FAH est allé jusqu’à menacer de démissionner collectivement du Parlement et… d’entamer une grève de la faim ! Après diverses péripéties et tractations, le PAM a pu présenter pratiquement tous ses candidats. Il arrive en tête pour la couverture des circonscriptions à l’échelon national avec 60 % de candidats, suivi de l’Istiqlal (56 %), du RNI (45 %) et du PJD (32 %).
Comment expliquer l’attitude finalement incompréhensible de FAH ? Tout se passe comme si le PAM « parti du roi », accusé d’être un remake des partis de l’administration, cherchait à se donner un semblant de crédibilité en croisant le fer, fût-ce de manière artificielle, avec le gouvernement et singulièrement le ministère de l’Intérieur. Il ne peut qu’en tirer avantage. En cas de victoire le 12 juin, le PAM ne la devrait qu’à lui-même. Et s’il obtient des résultats médiocres, il pourrait se présenter comme une victime et récriminer le gouvernement. Le calcul est clair. Mais en quoi de tels jeux politiciens sont-ils en harmonie avec les valeurs d’« authenticité » et de « modernité » dont se réclame l’« ami du roi » ?
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