Communales : quatre prétendants au crible
Vieux briscards, jeunes pousses ou femmes bénéficiant des quotas, les profils des candidats aux municipales du 12 juin sont variés, mais savamment étudiés. Portraits.
«C’est maintenant que le plus dur commence », lâche, non sans une pointe d’angoisse, une candidate aux élections communales du 12 juin, à la veille de l’ouverture de la campagne. Depuis le 30 mai – et jusqu’au 11 juin –, les partis se livrent en effet une lutte où tous les coups sont permis. La bataille sera particulièrement rude dans les grandes villes, qui revêtent une importance stratégique pour les différentes formations politiques. Vieux briscards, jeunes pousses et femmes bénéficiant des quotas : les profils sont variés mais savamment étudiés. Portrait de quatre candidats qui seront peut-être les maires de demain.
Hamid Chabat
Le trublion de l’Istiqlal
Cette fois c’est sûr, le maire de Fès sera candidat à sa propre succession. Ces dernières semaines, des rumeurs de brouille avec son parti, l’Istiqlal, en particulier avec le Premier ministre Abbas El Fassi, avait laissé planer le doute sur son avenir politique. Mais le 26 mai, sur le plateau de l’émission de télévision Hiwar, il est apparu flamboyant, sûr de lui et un brin démagogue.
Né à Taza en 1953, Chabat a fait ses études à Fès, où il se fait élire député en 2002, puis réélire en 2007. Syndicaliste de la première heure, il est aujourd’hui président de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM). Chabat défend bec et ongles son bilan à la présidence de la commune. « J’ai fait plus en un mandat que ce qui a été fait en cinquante ans, se targue-t-il. Le volume des investissements lancés par le conseil de la ville depuis 2006 a dépassé 1,8 milliard de dirhams. » Le programme de mise à niveau urbaine lancé il y a trois ans a permis la réfection de 600 km de routes et le développement de l’éclairage public et des espaces verts. Autre cheval de bataille, la criminalité, qui est une sérieuse entrave au tourisme. Le maire a donc lancé en juin un appel d’offres pour équiper la ville d’un système de vidéosurveillance.
Si, dans l’entourage du maire, on affirme que l’élection ne sera qu’une formalité, ses adversaires, eux, ne désarment pas. « La présidence de la commune a délaissé les périphéries et les quartiers déshérités, explique Abdelhamid Mernissi, député du PAM et tête de liste à Fès. Le chômage est passé à 15 %. Au lieu de créer des emplois, on a fermé des zones industrielles, comme à Dakarat, qui est devenu un quartier résidentiel. » Dans le cas où des alliances seraient nécessaires pour arracher la mairie, Chabat risque de payer cher sa brouille avec l’USFP après qu’il a écorné dans la presse la figure mythique de Mehdi Ben Barka.
Jamila El Mossalli
A l’abordage de Salé
La « ville corsaire » pourrait être dirigée pour la première fois par une femme. C’est ce que souhaite en tout cas le Parti de la justice et du développement (PJD), qui a investi Jamila El Mossalli, une universitaire spécialiste de la question de la femme.
Fief de Cheikh Yacine et du mouvement Al Adl wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), Salé est une ville stratégique pour les islamistes, qui avaient remporté trois sièges en 2003. « Ces trois jeunes conseillers ont montré qu’au PJD nous avions des compétences et que nous étions à l’écoute des gens », plaide Jamila El Mossalli. La candidate, qui bénéficie des nouvelles dispositions de la charte communale en faveur des femmes, mène une liste dite « complémentaire ». « J’ai toujours milité pour la promotion de la femme et je me réjouis qu’on nous donne aujourd’hui les moyens d’accéder à de vrais postes de gouvernance », se félicite-t-elle. Députée de Salé depuis 2002, elle est entrée au PJD à la fin des années 1990 et siège au secrétariat général. Pour mener campagne, elle s’appuie sur le dense tissu associatif de sa commune. « Je dirige moi-même le centre Al Wiam, qui travaille à améliorer la condition des femmes et qui leur offre une écoute attentive. »
Salé, sœur jumelle de Rabat, est une cité-dortoir, avec son lot de chômeurs, de migrants clandestins et de problèmes d’insécurité. « Notre priorité, c’est la lutte contre la pauvreté et l’analphabétisme », explique la parlementaire. L’aménagement de la vallée du Bouregreg doit permettre de désenclaver la ville et de créer des emplois, notamment dans la restauration ou le tourisme. Si Jamila El Mossalli s’en réjouit, elle veut néanmoins s’assurer que « les citoyens seront les premiers bénéficiaires des retombées de ce projet ». Bien implanté dans la ville, le PJD mobilise avec succès une jeunesse qui se sent abandonnée par les pouvoirs publics. Le 16 mai, il a coorganisé un sit-in devant le grand magasin Carrefour pour réclamer la fermeture du rayon alcool. Une démonstration de force qui, en période électorale, n’est pas passée inaperçue.
Tahar Sadiki
Au nom de tous les siens
On a beaucoup reproché à l’Union socialiste des forces populaires (USFP) de n’avoir pas su renouveler ses élites et de s’être éloignée de sa base. On ne pourra pas faire ce reproche à Tahar Sadiki, qui, à 32 ans, brigue la présidence de l’arrondissement casablancais de Sbata. Après quinze ans de militantisme au sein du parti de la rose, ce directeur d’agence chez Attijariwafa Bank, diplômé en management, a été désigné pour mener campagne dans ce quartier populaire de la capitale économique. Son jeune âge est assurément un atout dans un arrondissement où 60 % de la population a moins de 35 ans.
Natif du quartier, il mène une campagne de proximité. « Je connais tout le monde à Sbata et la population a très bien accueilli ma candidature. » Sur sa liste, composée de 16 personnes, dont 25 % de femmes, il a donné la deuxième place à un professeur. « C’était important d’avoir la confiance du corps enseignant, car Sbata se situe à proximité de nombreuses écoles et universités », explique-t-il.
Sadiki dresse un bilan sévère du mandat de Karim Ghellab, le maire actuel, également ministre des Transports. « En six ans, Ghellab n’a rien fait pour améliorer la qualité de vie des habitants. Du fait de son poste ministériel, il a été constamment absent. Pour lui, la mairie de Sbata n’est qu’un élément sur son curriculum vitae. » Sadiki espère tirer profit des récents déboires de Karim Ghellab, que son projet de Code de la route est loin d’avoir rendu populaire.
« Notre arrondissement se dégrade à vue d’œil », se désole le jeune militant, dont les priorités seront la propreté, le transport et la remise à niveau des écoles publiques. Pour lutter contre le chômage, il compte transformer une partie de l’arrondissement aujourd’hui en friche en zone industrielle. Plein de bonne volonté, Sadiki reconnaît cependant qu’il a un adversaire de taille. « Karim Ghellab a pris soin d’inclure dans sa liste des gens du quartier. Ce sont pour eux que votent les habitants, mais c’est lui qui en profite », regrette-t-il.
Omar Jazouli
Marrakech en héritage
L’actuel maire de Marrakech aime à rappeler que sa famille est installée dans la ville ocre depuis plus de cinq siècles. Député depuis 1977, Omar Jazouli est élu maire en 2003 sous la bannière de l’Union constitutionnelle. Fin connaisseur de la ville et de ses habitants, il affiche une grande confiance. « Je vais gagner ! assure-t-il en riant. Les Marrakchis ne sont pas des gens ingrats, ils savent ce que j’ai fait pour eux. » Son bilan est d’ailleurs, de l’avis de beaucoup de ses administrés, à mettre à son crédit. Éclairage public, infrastructures routières, assainissement des égouts, le maire est parvenu à faire de Marrakech une ville touristique d’envergure internationale. Selon un entrepreneur de la ville, « Jazouli a compris qu’il fallait attirer les investissements étrangers à la fois pour préserver le patrimoine de la ville et pour générer des emplois ».
Très sensible aux questions d’environnement, il a permis à Marrakech d’être la première ville arabe et africaine à recevoir le label ISO 14001. Les espaces verts ont également été très étendus, pour atteindre 14 m2 par habitant. Rien n’est trop beau pour la capitale touristique du royaume. Le maire se prend alors à rêver : il veut remplacer les mobylettes par des motos électriques, créer des couloirs de bus et approvisionner toute la périphérie en eau et en électricité.
Mais où le maire de Marrakech trouve-t-il les moyens de ses ambitions ? « Depuis 2004, nous avons multiplié les recettes de la ville par deux. Nous avons informatisé tout le système administratif, ce qui permet d’être plus rigoureux sur le plan fiscal. » Du côté de ses adversaires, on insinue que le maire est un piètre gestionnaire et que la ville serait endettée jusqu’au cou.
À 60 ans, ce vieux routier de la politique n’en est pas à son coup d’essai. Pour le déstabiliser, ses opposants n’ont pas hésité à verser dans les attaques personnelles. Le 13 mai, des quotidiens arabophones publient les révélations d’un homme qui affirme avoir eu des rapports sexuels avec Jazouli. « Plutôt que de me combattre sur mon programme, mes adversaires ont préféré monter cette sombre affaire », se désole-t-il. Dans une ville longtemps montrée du doigt pour ses dérives, comme la prostitution et la pédophilie, le maire se serait bien passé d’une telle campagne.
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