Tous contre Ahmadinejad
Maître ès provocations, champion de la posture martiale et de la diatribe enflammée, le président sortant brigue un second mandat lors du scrutin du 12 juin. Il affrontera trois adversaires, qui l’accusent en chœur de compromettre, par son attitude, les intérêts vitaux de la République islamique.
Le Conseil des gardiens, l’équivalent iranien d’un Conseil constitutionnel, n’a pas fait dans la dentelle ! Appelé à se prononcer, le 21 mai, sur leur conformité aux sublimes préceptes et aux principes de la République islamique, il a invalidé 471 des 475 candidatures à la présidentielle du 12 juin. L’organe d’arbitrage aura été impitoyable avec les 42 prétendantes, toutes éliminées. Ils ne seront finalement que quatre hommes à se disputer les suffrages de leurs concitoyens : Mahmoud Ahmadinejad, Mir Hossein Moussavi, Mehdi Karoubi et Mohsen Rezaie. Trois politiciens du sérail, qui ont déjà tous occupé d’éminentes fonctions dans l’appareil d’État, et un outsider issu de l’appareil militaire, Rezaie, 54 ans, ancien commandant du corps des Gardiens de la Révolution, les pasdarans, qui, avec leurs 300 000 hommes, forment, depuis 1980, un État dans l’État. Pourtant, personne ne se fait trop d’illusions. Rezaie, tout comme le hodjatoleslam Mehdi Karoubi, 72 ans, ancien président du Majlis (le Parlement), estampillé réformateur et arrivé en troisième position lors du scrutin de 2005, semblent promis à un rôle de figurant. Tout devrait se jouer entre Mir Hossein Moussavi, 68 ans, ancien Premier ministre de Khomeiny pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988), technocrate apprécié à la fois par les réformateurs et par les pragmatiques de l’establishment, et le sortant, Mahmoud Ahmadinejad.
Décrié de toutes parts en Occident, mais adulé par la rue musulmane, qui voit en lui un champion du politiquement incorrect, l’ancien maire de Téhéran a fait une entrée fracassante sur la scène médiatique après son élection surprise, en juin 2005. Petits yeux noirs comme l’encre, visage mangé par une barbe de cinq jours, rictus mauvais, l’homme à l’éternel imperméable jaune a multiplié les diatribes incendiaires contre l’Amérique, les sionistes et Israël, devenant très vite la bête noire des Occidentaux. En Iran aussi, le personnage divise. On lui reproche pêle-mêle son radicalisme, son populisme et son « mysticisme ». Ahmadinejad est en effet un peu l’équivalent chiite d’un chrétien évangélique. Son discours est truffé de références religieuses apocalyptiques. Il le répète à l’envi, son héros n’est pas encore advenu : c’est le Mahdi, l’Imam caché, qui reviendra à la fin des temps instaurer le règne de la justice sur terre. Il se murmure même que, l’attendant de pied ferme, il aurait fait réaliser les plans d’un boulevard que pourrait emprunter le messie pour entrer dans Téhéran et annoncer la bonne nouvelle. On n’est jamais assez prévoyant…
Pur produit de la Révolution
Premier laïc à accéder à la présidence de l’Iran – il avait défait le hodjatoleslam Ali Akbar Hachemi Rafsandjani en l’emportant avec 62 % des suffrages –, Ahmadinejad est un pur produit de la Révolution. Ingénieur, il a été membre du groupe radical des « étudiants de la ligne de l’Imam », et on le soupçonne d’avoir trempé dans la prise d’otages de l’ambassade américaine, en 1979, avant de faire carrière dans l’appareil sécuritaire. Son ascension a été grandement facilitée par le Guide, Ali Khamenei, qui voulait se débarrasser des réformateurs et contrer les desseins présidentiels du roué Rafsandjani, partisan, déjà, de l’apaisement avec les États-Unis. Héraut du front du refus, maître ès provocations, champion de la posture martiale et de la diatribe enflammée – tout l’inverse du policé Mohamad Khatami –, Ahmadinejad a été un président parfait pour donner la réplique au duo George W. Bush-Dick Cheney, affaibli et englué en Irak et en Afghanistan. Mais l’élection de Barack Obama à la Maison Blanche, immédiatement suivie par une inflexion de la politique américaine en direction de l’Iran, a changé la donne diplomatique. Même s’il n’a pas véritablement de pouvoir (lire encadré p. 43), le président iranien est devenu un symbole encombrant. Ses adversaires, qui l’accusent maintenant de compromettre les intérêts vitaux de la République islamique et de fournir des arguments à ceux qui, à Tel-Aviv comme à Washington, plaident pour une « frappe préventive » contre les installations nucléaires iraniennes, ont choisi de concentrer leurs attaques sur sa personne et son style.
Charisme « plouc »
L’élection du 12 juin sera d’abord un référendum (ou un plébiscite) pour ou contre Ahmadinejad. Mais les jeux ne sont pas faits. Honni dans les cercles de l’intelligentsia et du clergé, le président sortant conserve de forts soutiens dans les milieux populaires. Son charisme « plouc » fait des ravages en meeting. Car sa proximité avec le peuple n’est pas feinte. Simple, proche des gens, intègre, perpétuellement sur le terrain, il aime à se présenter comme « le président des pauvres ». C’est le seul dirigeant iranien de cette envergure capable de partager avec les humbles un frugal repas traditionnel sofreh (sur une nappe posée à même le sol). Élu maire de Téhéran, il a renoncé à son salaire en expliquant qu’il ne faisait pas de la politique pour s’enrichir et que son traitement de professeur lui suffirait amplement. Devenu président, il a d’abord refusé de s’installer au palais et insisté pour conserver son modeste appartement dans un quartier populaire.
Tous les experts s’accordent à juger sa politique économique catastrophique. Les chômeurs sont toujours aussi nombreux. L’inflation, mal endémique, frise maintenant la barre des 25 %. Mais les petites gens n’en ont cure et ne veulent retenir de son action que le volet social. Ahmadinejad, émanation et incarnation de l’Iran d’en bas, celui des mostazafine, ces masses déshéritées au nom desquelles Khomeiny a justifié sa Révolution, distribue généreusement les aides, qui pèsent sur le budget de l’État. À chacun de ses déplacements, il glisse à ses supporteurs des enveloppes contenant l’équivalent d’une soixantaine de dollars. À la présidence, il a ouvert un « bureau des doléances » qui a reçu, en quatre ans, 20 millions de lettres. Lettres qui se résument, pour la plupart, à des appels au secours.
Son paternalisme mâtiné de justicialisme anti-élitiste va très loin. Dès 2005, il fait dissoudre l’Organisation du plan et du budget, gérée par les technocrates, qui allouait les ressources aux différents ministères, et transféré ses prérogatives aux préfectures, contrôlées par l’Intérieur, un ministère sûr, car aux mains des conservateurs. La conjoncture internationale, marquée par l’envolée des prix du pétrole, a en grande partie permis d’amortir le coût pour les finances publiques de la dispendieuse politique sociale. Les autorités pourront-elles garder le cap malgré la dégringolade des cours amorcée en septembre 2008 ? Interrogé, Ahmadinejad a soutenu sans ciller qu’il serait toujours capable de gouverner l’Iran même si le baril chutait à 5 dollars. Une déclaration insensée et absurde, qui a pourtant fait mouche dans l’auditoire. Pour ses adversaires, respectés et respectables, mais coupés du petit peuple, Ahmadinejad constitue un rival redoutable.
Moussavi peut-il le battre ?
Mir Hossein Moussavi est, à bien des égards, l’exacte antithèse de l’actuel président. Cet architecte azéri, fin lettré et peintre à ses heures, qui dirige, depuis 1998, l’Académie iranienne des arts, a joué, en tant qu’organisateur de l’économie de guerre, un rôle central durant les premières années de la Révolution. Il était l’un des rares collaborateurs que Khomeiny tutoyait et appelait par son prénom. Son pedigree est à la fois un atout et un handicap, car, même si sa légitimité est incontestable, pour beaucoup, c’est un homme du passé . Or 75 % des Iraniens ont moins de 30 ans.
Moussavi, dont les relations avec le Guide étaient orageuses quand Khamenei était président et lui-même Premier ministre, a longtemps entretenu le suspense autour de ses intentions. Sa candidature a entraîné le retrait de celle de Khatami, au nom de l’unité du camp réformateur. En réalité, l’ancien président a subi de très fortes pressions. Cible de menaces à peine voilées – un éditorial du journal conservateur Kayhan lui a promis le même sort que Benazir Bhutto [NDLR : assassinée pendant la campagne électorale pakistanaise, en 2007] s’il maintenait sa candidature –, poignardé dans le dos par Moussavi, qui lui avait juré qu’il ne se présenterait pas, Khatami a jeté l’éponge et s’est rallié, non sans amertume.
L’une des grandes inconnues du scrutin réside dans l’attitude de l’électorat anciennement réformateur, la jeunesse urbaine et les femmes, qui s’étaient massivement mobilisés pour Khatami en 1997 et 2001, et qui avaient boudé les urnes par dépit après l’échec des réformes, en 2005. Si Moussavi parvient à rallier leurs suffrages, il pourra l’emporter. Surtout qu’il devrait aussi pouvoir compter sur le vote des minorités ethniques et des sunnites, allergiques à Ahmadinejad. Le soutien des moyens de l’État (télévision, administration et milices) est acquis au président sortant, qui bénéficiera aussi de la neutralité bienveillante du Guide. Dans plusieurs de ses déclarations publiques, l’ayatollah Khamenei a semblé lui apporter son soutien. Mais les exégètes du sérail nuancent, et relèvent qu’en quelques occasions il s’est nettement démarqué et l’a parfois désavoué. Ce qui est sûr, c’est que quel que soit le vainqueur, celui-ci n’aura pas à cœur de démanteler le système. Et n’aura pas les moyens de saisir la main tendue des États-Unis sans son feu vert explicite.
Il serait hasardeux de faire des pronostics tant les élections, en Iran, ressemblent à « un exercice d’infinie incertitude ». Les précédents de 1997 (personne n’imaginait Khatami l’emporter) et de 2005 (Rafsandjani était l’ultrafavori) sont là pour le rappeler. Il n’empêche. Les résultats de la présidentielle iranienne seront scrutés à la loupe à Washington, Moscou, dans les capitales européennes et en Israël. C’est le grand paradoxe de cette affaire : les questions diplomatiques ne seront sans doute pas déterminantes. Et les élections ne seront pas un référendum sur la normalisation avec l’Amérique ou sur l’inflexion du programme nucléaire. Mais c’est ainsi qu’elles seront perçues et interprétées à l’étranger. Et elles risquent bien de commander l’attitude de Barack Obama au cours des années à venir. Cela alors même que le président iranien a une marge de manœuvre assez faible, pour ne pas dire nulle, en matière de politique étrangère.
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