Jusqu’où ira Tandja ?

Après avoir dissous l’Assemblée, le chef de l’État veut maintenant changer la Constitution pour briguer un troisième mandat. Au risque de provoquer une crise politique majeure.

Publié le 9 juin 2009 Lecture : 6 minutes.

La mise en place du projet de référendum décidé par le président Mamadou Tandja s’accélère. Trois jours après la dissolution du Parlement, majoritairement hostile à l’idée du troisième mandat, le chef de l’État nigérien a adressé, le 29 mai, un message à la nation dans lequel il annonce son intention de recourir à un référendum pour l’adoption d’une nouvelle Constitution, sans en préciser la date. Son argument ? L’actuel Texte fondamental constitue un frein démocratique, dans le sens où il empêche l’expression « de la volonté populaire ». En fait, Tandja cherche le moyen de répondre aux multiples appels lancés par « la classe politique, la société civile et les institutions de la République en vue de trouver un mécanisme pouvant permettre au président de la République de parachever les nombreux chantiers ouverts à travers le pays ». Autre grief retenu contre l’actuelle Constitution : le bicéphalisme, « source d’instabilité […] et de cohabitation, dont chacun garde les souvenirs les plus amers ». Pour le chef de l’État, les adversaires du référendum seraient prisonniers d’une « lecture perverse » de la Constitution, qu’ils considèrent « conçue pour l’éternité », et donc fermée à toute évolution de la société nigérienne.

Joignant le geste à la parole, le président Mamadou Tandja a signé, le 2 juin 2009, un décret portant création d’un comité technique chargé d’élaborer l’avant-projet d’une nouvelle Constitution devant donner naissance à la VIe République. Composé de juristes et d’universitaires, ce comité devrait être dirigé par le magistrat Issoufou Abba Moussa, ancien président de la Cour constitutionnelle. Sans doute faut-il y voir un pied de nez présidentiel à cette institution qui avait émis, le 25 mai 2009, un avis défavorable à la tenue du référendum (voir p. 36), suite à sa saisine par un groupe de députés, avant que ne survienne la dissolution de l’Assemblée nationale. Selon l’entourage de Tandja, « il serait de mauvaise foi de présenter l’avis rendu par la Cour constitutionnelle comme un arrêt ». Quant à l’intéressé lui-même, il laisse entendre qu’il n’est nullement tenu par l’opinion du Parlement ou par celle de la Cour constitutionnelle. Une interprétation quelque peu élastique de l’article 49 de la Constitution, qui stipule que « le président de la République peut, après avis de l’Assemblée nationale et du président de la Cour constitutionnelle, soumettre au référendum tout texte qui lui paraît devoir exiger la consultation directe du peuple, à l’exception de toute révision de la présente Constitution, qui reste régie par la procédure prévue au titre XII ». Or que dit cette procédure ? « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République et aux membres de l’Assemblée nationale. » Celle-ci étant dissoute, Tandja peut, juridiquement, se prévaloir de l’exclusivité de cette prérogative. Mais la bataille qui s’annonce risque de déborder du seul cadre juridique. 

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Manifs et grèves annoncées

Le Niger est-il promis au chaos annoncé par le Front de défense de la démocratie (FDD), coalition regroupant plus de 200 partis politiques et organisations de la société civile décidés à faire échec au scrutin référendaire ? Ancien ministre des Affaires étrangères et numéro deux du Parti nigérien pour le développement et le socialisme (PNDS, principal parti d’opposition), Mohamed Bazoum promet marches et meetings pour faire échouer ce « processus de démolition des institutions démocratiques ». Quant aux sept centrales syndicales du pays, elles annoncent en chœur leur mobilisation : « Nous userons de la seule arme dont nous disposons : la grève », assure Issoufou Sidibé, secrétaire général de la Confédération démocratique des travailleurs nigériens (CDTN). Quant à Mahamane Hamissou, président du Collectif de la société civile nigérienne, il promet la multiplication des opérations « ville morte » durant la campagne référendaire. Mais avant même que celle-ci ne commence, les affrontements entre pro- et anti-Tazarché (« continuité » en haoussa) sont annoncés ici et là. À Dosso, lors d’une cérémonie de soutien à Tandja animée par les autorités locales, le 1er juin, des centaines de jeunes s’en sont pris avec violence aux organisateurs de la réunion, pillant les bureaux du gouverneur et le palais d’un sultan, dont le seul tort est d’avoir apporté sa caution au projet de référendum. Cela dit, le camp Tandja est également capable de mobiliser. Bien que divisé, son parti, le Mouvement nigérien de la société de développement (MNSD, première force politique), demeure une redoutable machine électorale. Et si Tandja, 72 ans, s’est lancé dans cette opération, il ne l’a certainement pas fait sur un coup de tête. Reste à savoir ­quelles sont ses chances de succès.

En vieux baroudeur de la vie politique nigérienne, Mamadou Tandja sait que l’hostilité des partis et des syndicats ne signifie nullement la perte d’un scrutin. À un de ses visiteurs qui le mettait en garde contre « une union sacrée de l’opposition », Tandja a rétorqué : « Souviens-toi de l’élection présidentielle de 1996. Nul n’aurait parié un franc CFA sur le succès du général Ibrahim Maïnassara Baré. Six mois auparavant, aucun Nigérien ne le connaissait. Il a renversé Mahamane Ousmane (président démocratiquement élu en 1993, NDLR), puis il a organisé quelques mois plus tard une présidentielle, il s’y est présenté contre l’avis unanime de la classe politique, et l’a gagnée. » Pour Tandja, « l’élection la moins sûre peut être gagnée quelle que soit l’adversité si l’on dispose des bons soutiens ». Par bons soutiens, il faut entendre administration et chefferie traditionnelle, le tout avec la neutralité, voire la bienveillance de l’armée. La première est toujours au service du puissant du moment ; la seconde « mange dans la main de Tandja », selon la formule d’un diplomate accrédité à Niamey ; quant à la troisième, elle est particulièrement choyée par Tandja. Dans son adresse à la nation, le 29 mai, le président nigérien lui promet que la Constitution à venir prévoit « d’inscrire l’institution militaire au cœur de la nation ». Autre assurance donnée, en privé, aux gradés des Forces armées nigériennes (FAN) : pas de remise en cause de l’amnistie accordée par l’actuelle Constitution aux auteurs du putsch de 1999, qui avait coûté la vie au président Baré. 

Pressions internationales

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Dernier paramètre : Mamadou Tandja sera-t-il sensible aux pressions extérieures ? L’expérience a déjà mis en exergue l’imperméabilité du régime Tandja aux admonestations de la communauté internationale. L’affaire de l’emprisonnement du journaliste Moussa Kaka, longtemps détenu malgré les nombreuses protestations des chancelleries occidentales, est là pour le rappeler. Le département d’État américain a beau déplorer que le référendum « risque de saper les avancées sociales, politiques et économiques durement gagnées pendant la décennie écoulée et de constituer un revers pour la démocratie », le Canada a beau exprimer « ses inquiétudes », il est fort peu probable que Tandja fasse marche arrière. Même extrêmement pauvre et largement dépendant de l’aide internationale, un pays en voie de passer du troisième au deuxième rang des producteurs d’uranium (ce qui explique sans doute le silence embarrassé de Paris), au moment où le nucléaire connaît un développement sans précédent, a les moyens de rester sourd aux menaces. Quant à l’épouvantail des sanctions économiques agité par des ONG, sans doute généreuses et pleines de bonne volonté, il risque de faire un flop. Le comité des sages de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui en avait fait état, le 15 mai, n’est qu’une structure consultative de l’organisation régionale. La perception de « putsch institutionnel » dénoncé par la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho), basée à Dakar, a peu de chances d’être partagée par la Cedeao. Un référendum pour changer de Constitution est une quasi-tradition régionale et continentale. Les précédents sont légion. Et ce type de consultation n’est pas considéré comme « une violation de l’ordre constitutionnel », selon l’Union africaine. D’ailleurs, son président en exercice, le colonel Mouammar Kadhafi, a officiellement apporté sa caution à la démarche de Tandja.

Fort de ces certitudes, Tandja s’est donc engagé dans ce processus pour se maintenir au pouvoir. Pressé par le temps et la saison des pluies qui s’annonce (mi-juillet), il devrait convoquer très vite le corps électoral. Débutera ensuite la campagne de tous les dangers. Et s’il assure respecter le choix de ses adversaires, à qui il reconnaît le droit d’exprimer leur refus, il les menace de « la détermination de l’État » pour faire face à toute dérive violente. Avis de tempête sur le Niger.

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