La méthode chinoise
Malgré le ralentissement économique mondial, le continent africain demeure l’une des priorités chinoises. Rencontres au sommet, voyages d’affaires, bourses d’étudiants… L’empire du Milieu mène une stratégie des plus efficaces. À la clé, l’envolée des échanges commerciaux.
La méthode chinoise
Les ambassadeurs africains étaient curieux de savoir quel message leur serait délivré lors de la grande réception offerte par les autorités chinoises, le 25 mai dernier, à Pékin, à l’occasion de la Journée mondiale pour l’Afrique. Les diplomates de l’empire du Milieu leur ont servi le plat habituel : solidité des engagements malgré la crise économique, solidarité mutuelle, coopération… Zhang Ming, ex-ambassadeur au Kenya, a fait sa première apparition publique en tant que directeur du département des affaires africaines. Celui qui dirige désormais une aile entière de l’imposant ministère des Affaires étrangères a distribué des cartes de visite, multiplié les franches poignées de main et congratulé chaleureusement ses hôtes, des gestes symboliques pour une nation qui aime célébrer la grande amitié entre les peuples…
C’est l’influent conseiller du président Hu Jintao, Dai Bingguo, qui s’est attaché à rappeler les objectifs de la politique chinoise et les attentes des dirigeants du Parti communiste à l’égard des « amis africains » : « Nous vous remercions du fond du cœur de toujours vous être rangés fermement aux côtés de la Chine au sujet de Taiwan et du Tibet, questions majeures touchant à notre souveraineté et à nos intérêts vitaux. À l’heure actuelle, la crise internationale continue à se propager et à s’accentuer. En dépit des défis majeurs que nous affrontons, nous considérons toujours les difficultés de l’Afrique comme les nôtres et nous devons faire face ensemble aux temps difficiles. Concrètement, nous nous appliquons à mettre en œuvre tous nos engagements en matière d’aide… »
Soutien africain à l’ONU
En quelques phrases, ce proche du chef de l’État a tout dit ou presque. Les turbulences économiques ne doivent pas affecter des relations privilégiées qui n’ont cessé de s’intensifier. Depuis la rencontre du Premier ministre Zhou Enlai avec des dirigeants du continent (Égypte, Libye, Éthiopie, Ghana, Liberia, Soudan) lors de la conférence de Bandung en 1955 jusqu’au milieu des années 1990, les diatribes tiers-mondistes, les nombreuses tournées africaines, les envolées sur le respect de la souveraineté, l’absence de conditionnalité, le principe de non-ingérence n’ont poursuivi qu’un seul but : éviter l’isolement de Pékin sur la scène internationale.
C’est ainsi que les autorités chinoises se doteront dès 1960 d’une section Afrique au sein du ministère des Affaires étrangères, soutiendront les pays et les mouvements amis, régimes socialistes ou rébellions armées. Dans les années 1970-1980, elles pratiqueront quelques donations bien ciblées et mettront en œuvre des projets de coopération dans l’agriculture, l’éducation, la santé et les infrastructures. Une recette qui a atteint ses objectifs puisque le soutien africain n’a jamais failli. La Chine a retrouvé un fauteuil à l’ONU en 1971, après vingt-deux ans d’exclusion, est parvenue à repousser onze motions des Occidentaux sur les droits de l’homme et a retourné nombre d’alliances avec Taiwan en imposant sa logique du « eux ou nous ». Seuls quatre pays du continent continuent – pour combien de temps encore ? – à reconnaître l’île de Formose (Gambie, Swaziland, Burkina et São Tomé) contre dix en 1993.
Mais les décideurs chinois attendent aujourd’hui peut-être plus encore. En faisant le choix de l’économie de marché au début des années 1980, ils se sont engagés corps et âme dans la grande compétition mondiale. Profitant de la boulimie consumériste occidentale – que la Chine a entretenue en investissant dans les bons du Trésor américains –, les usines du pays ont tourné à plein régime ces dernières années contribuant à l’intensification des relations commerciales avec l’Afrique et à la hausse des cours des matières premières. Deuxième consommateur mondial de pétrole derrière les États-Unis, la Chine acquiert dorénavant plus du tiers de ses besoins en hydrocarbures sur le continent. Ses nouveaux alliés riches en brut du golfe de Guinée (Nigeria, Guinée équatoriale, Gabon, Angola…) lui ont permis ainsi de maintenir un niveau exceptionnel de développement : plus de 9 % de croissance au cours de la dernière décennie. Pékin est devenu le premier fournisseur du continent et le second partenaire commercial derrière les États-Unis. On compte actuellement quelque 900 entreprises de l’empire du Milieu en Afrique, un chiffre en constante augmentation. Le volume des échanges a été multiplié par dix depuis 2000 pour atteindre 107 milliards de dollars en 2008.
Une offensive tous azimuts, encouragée par les autorités, mais qui paraît aujourd’hui les dépasser. Si le Parti maîtrise le destin des grandes entreprises publiques – comme la China National Petroleum Corporation (CNPC), la China Petrochemical Corporation (Sinopec), la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) ou la China National Machinery and Equipment Corporation (CNMEC) –, il a de moins en moins de visibilité sur les activités des entreprises privées et encore moins sur les milliers de petits commerçants qui ont pris d’assaut les marchés africains.
Séjours « clés en main » pour présenter le miracle chinois
« L’Afrique est un continent plein de promesses avec ses richesses naturelles, son capital humain et son marché de 800 millions d’individus, explique le Dr He Wenping, le directeur des études africaines à l’Académie chinoise des sciences sociales de Pékin… Le gouvernement chinois encourage donc les entreprises à investir en Afrique dans des secteurs aussi variés que le commerce, l’agriculture, la construction, les mines, le tourisme. » C’est Jiang Zemin qui a officiellement ouvert les portes aux entrepreneurs en 1995 en leur déclarant : « Sortez ! Devenez des acteurs mondiaux. » Certains, bien informés, avaient devancé l’appel.
L’homme d’affaires Li Ruo Hong est de ceux-là. En 1992, il quitte le ministère du Commerce pour se lancer dans l’immobilier, achetant des terrains à des conditions avantageuses en plein centre de Pékin. Dix-sept ans plus tard, l’homme est à la tête d’un empire diversifié (immobilier, tourisme, santé, édition, tourisme) et s’est projeté au-delà des frontières. Professeur à l’université d’Alberta, au Canada, mécène, ce proche du chef de l’État est également président du Conseil sino-tunisien des affaires, de la Fondation chinoise pour la paix dans le monde et vice-président de l’association pékinoise des entreprises pour l’investissement extérieur. Enfin, il pilote certaines délégations chinoises à l’étranger. Le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali l’a reçu en avril. Au menu des discussions : le lancement d’un mégaprojet touristique et environnemental dans l’île de Zembra, à la pointe de la région touristique du cap Bon.
Entre deux voyages, Li Ruo Hong, nouvel acteur de la diplomatie chinoise, convie régulièrement à déjeuner dans des clubs privés ses amis diplomates et entrepreneurs. Selon lui, le développement du commerce sino-africain passe forcément par de bonnes relations politiques, des rencontres au sommet et la signature d’accords de coopération. Ensuite, l’établissement de lignes aériennes directes doit faciliter les voyages d’affaires. Les résultats sont là. Lors du dernier Forum de coopération Chine-Afrique, en novembre 2006, 48 chefs d’État et de gouvernement africains avaient fait le déplacement à Pékin, suscitant au passage la jalousie occidentale. Hu Jintao en avait profité pour annoncer un doublement de l’aide, les annulations de dette et 5 milliards de dollars de crédits préférentiels…
Visas faciles à obtenir
Plus discrètement, et sans grand tapage médiatique, Pékin investit dans le capital humain en conviant des journalistes africains à des voyages d’études – une méthode éprouvée pour façonner une image positive d’un pays –, multipliant les bourses d’étudiants et invitant des cadres d’entreprises publiques et fonctionnaires à des séminaires, souvent ceux qui examineront les projets lors des appels d’offres ! Au cours de ces séjours « clés en main », on y présente le miracle chinois, comme d’autres ont vendu avant le rêve américain ou le modèle français, à travers la découverte des centres d’affaires avec ses gratte-ciel impressionnants, des sites sportifs comme ceux des Jeux olympiques ou des grandes universités.
« Nous n’avons pas de difficultés à obtenir les visas, nous sommes rapidement reçus dans les ministères, même s’il n’est pas toujours évident de rencontrer les ministres, ajoute un ambassadeur d’Afrique de l’Ouest. Contrairement aux pays européens, les Chinois font tout pour nous faciliter la tâche. » Les enseignants vont même jusqu’à conseiller à leurs étudiants africains de prendre de petites amies chinoises pour perfectionner l’apprentissage de la langue. « On appelle ça le dictionnaire humain. Elles nous apprennent les mots de tous les jours », plaisante l’un d’eux.
Autant d’éléments qui attestent d’un grand plan pour l’Afrique. Un, les votes dans les instances internationales ; deux, les ressources énergétiques ; et trois, les débouchés commerciaux. Pékin semble aussi encourager l’émigration de ses citoyens. « À proximité de la ville de Chongqing, 12 millions de paysans vont devoir quitter leurs terres en raison de l’urbanisation, rapportent les journalistes Michel Beuret et Serge Michel dans le numéro d’avril d’Afrique contemporaine. Li Ruogu, président de la China Exim Bank, a estimé qu’il serait difficile de leur trouver un emploi et a proposé de les envoyer en Afrique, avec le soutien de sa banque, où les terres sont abondantes mais la production décevante. »
Une politique qui inspire de plus en plus de commentaires acerbes des dirigeants africains. « Nous n’avons pas besoin du petit commerce chinois ni de produits textiles qui ont détruit nos filières, et encore moins de travailleurs. Nous avons aussi nos populations à faire vivre, indique un ambassadeur d’Afrique du Nord en poste à Pékin. Par contre, nous sommes preneurs de toutes les initiatives de co-investissement, de transmission de savoir-faire et de transferts de technologies. » Des recommandations qui devraient figurer dans le document que les représentants africains remettront aux autorités chinoises lors de la 4e conférence ministérielle sino-africaine, qui doit se tenir à Charm el-Cheikh, en Égypte, début novembre. L’empire du Milieu devra trouver les arguments et les ajustements nécessaires pour satisfaire ses « amis africains ».
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