Cru sans émotion

La 62e édition du Festival de Cannes aura été marquée par des films aux scènes insoutenables. Mais, en fin de compte, peu bouleversants.

Renaud de Rochebrune

Publié le 2 juin 2009 Lecture : 3 minutes.

On annonçait un Festival de Cannes dominé par les grandes pointures du septième art. Et un hommage aux films de genre (fantastique, anticipation, polar, horreur, comédie, etc.) et aux histoires qui font rêver.

Mais la majorité des grands noms ont quelque peu déçu. Avec Inglorious Basterds, malgré des passages très réussis, Quentin Tarentino s’attaquait à un sujet (la Seconde Guerre mondiale et le nazisme) qui ne se prêtait guère à son style pastichant les films d’action. Bright Star sur les amours du poète Keats et d’une femme de la bonne société, certes bien réalisé par Jane Campion, a paru trop classique, sinon académique. Les Étreintes brisées d’Almodóvar n’ont pas distillé cette magie qui a fait sa réputation. Et même Looking for Eric de Ken Loach, souvent drôle et parfois touchant, est resté très anecdotique.

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Et loin de privilégier le cinéma de distraction, le cru cannois 2009 était des plus corsés, plein de bruit, de fureur et d’horreur. Certains longs-métrages proposaient de multiples scènes insoutenables, filmées de façon on ne peut plus réaliste. Comme celle où l’héroïne du film très controversé du Danois Lars Von Trier, Antichrist, jouée par Charlotte Gainsbourg, qui a obtenu le prix d’interprétation, se mutile en tranchant à vif les lèvres de son sexe.

Le festival n’est guère parvenu à proposer des sujets « légers ». Comme d’habitude, il a traité de l’état actuel du monde. Mais rarement à travers des longs-métrages directement politiques. Ceux-ci étaient moins nombreux que les années précédentes : aucun documentaire à la Michael Moore en 2009. Et, côté fiction, Marco Bellocchio, racontant avec Vincere l’ascension politique de Mussolini, était presque seul à maintenir allumée la flamme du cinéma engagé. 

Monde sans repères

Certes Le Ruban blanc (Palme d’or) de l’Autrichien Michael Haneke et Le Prophète de Jacques Audiard (grand prix du jury) étaient des œuvres fortes, mais elles ne s’approchaient que métaphoriquement de questions politiques ou sociétales. Le premier, réalisé de façon superbe en noir et blanc, suggère comment, en Allemagne, les méthodes d’éducation et les préceptes de vie rigoristes ont pu préparer au pire la génération d’après la guerre de 1914 qui porta Hitler au pouvoir. Le second se déroule presque intégralement à l’intérieur d’une prison française, en contant l’ascension irrésistible d’un petit malfrat musulman (joué à la perfection par le jeune Tahar Rahim) qui réussit à devenir un caïd en imposant successivement sa loi aux deux bandes, celle d’un mafieux corse et celle des islamistes, qui régnaient sur l’établissement.

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Si Cannes a rendu compte des problèmes contemporains et de la crise actuelle, c’est en fin de compte surtout en creux. Beaucoup de films ont montré de diverses manières le désarroi dans lequel se débattent les hommes d’aujourd’hui face à un monde qui a perdu tous ses repères. Surtout dans les sections parallèles.

Résultat : parce qu’ils sont angoissés ou ont peur de l’être, les personnages des films deviennent calculateurs et égoïstes, défendant avant tout, en amour comme au travail ou dans la vie quotidienne, leur petit pré carré. Et, par là même, ils ne nous touchent guère. Ainsi l’émotion aura-t-elle été la grande absente, sauf exception, de la galerie des sentiments que suscitaient les films de l’édition 2009. Ce qui ne signifie pas que la qualité ou l’originalité des œuvres étaient pour autant décevantes. Mais qu’il manquait quand même une dimension essentielle de la vie. La marque du monde contemporain ?

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