Stevie Wonder : « La lutte ne commence que lorsque vous gagnez »
Alicia Keys, Kylie Minogue, Johnny Clegg… du 15 au 23 mai, les plus grands noms se sont succédé à Rabat, à l’occasion du festival Mawazine. Une huitième édition qui s’est clôturée avec le concert du dernier géant de la soul. Rencontre avec une légende vivante.
Sur quelques notes et avec une voix cristalline et bouleversante, le dernier géant de la soul transportait les rares privilégiés qui assistaient à la balance de son concert, le 23 mai. Un peu plus tard, lors de la première partie de son spectacle, Stevie Wonder surprenait avec trois titres aux chaudes couleurs latinos. Et, plus encore, en interprétant deux morceaux ponctués d’envolées orientales : naviguant avec aisance des quarts de ton aux gammes du blues, il coupait le souffle à un public marocain médusé… Parmi ses choristes, sa fille Aïcha Morris a interprété « I’m Gonna Laugh You Right out of my Life », un standard jazz de Nancy Wilson. Un moment d’émotion. « En ce moment, annonce Stevie Wonder, je compose pour elle. » Quant au retour discographique du maître, il devrait intervenir en 2011, à l’occasion du cinquantenaire de ses débuts chez Motown. Khaled devrait le rejoindre sur l’un des titres. « Nous allons collaborer même si nous ne savons pas encore dans quelle mesure », explique Stevie Wonder. Son entourage évoque un album « en forme de tour du monde », à la mémoire de sa mère, Lula, décédée en 2006.
De son implication contre l’apartheid à sa participation au single « We are the World » contre la faim en 1985, l’artiste, 59 ans, a toujours témoigné un attachement particulier à l’Afrique. Son actualité l’atteste : il a pris sous son aile le Franco-Ivoirien Mao Otayeck, ancien directeur musical d’Alpha Blondy, dont le premier album solo, Renewal, vient de sortir aux États-Unis. Et on l’annonce en concert fin juillet à Addis-Abeba, au profit de la lutte contre le sida dans le pays. Stevie Wonder est resté simple, s’amusant comme un enfant au piano malgré ses 80 millions d’albums vendus, 22 Grammy Awards et un oscar de la meilleure chanson. Aux côtés de son frère, sympathique et décontracté, souriant et blagueur après une semaine au Maroc où il dit avoir composé trois nouvelles chansons, Stevie Wonder nous a reçus dans sa loge, quelques minutes avant son concert. Interview.
Jeune Afrique : Du temps a passé depuis vos premiers engagements en faveur du continent, gardez-vous l’espoir d’une situation meilleure ?
Stevie Wonder : J’espère que ça n’offensera personne, mais je crois vraiment que l’Afrique doit réussir à se présenter comme un continent uni… Trop de ressources naturelles ont été commercialisées sans que les peuples n’en bénéficient. Il faudrait les nationaliser à l’échelle du continent pour un partage juste des richesses. Et parvenir à dégager une langue centrale qui rassemble tout le monde. Nous devons laisser à tous la chance de grandir, de se développer, et de réussir. Je crois que Barack Obama l’a compris.
De grands artistes, depuis le jazz jusqu’au hip-hop, sont partis à la recherche de leurs racines africaines. Est-ce votre cas, et comment l’Afrique a-t-elle influencé votre travail ?
Vous savez, c’est dans mon sang. Noirs, blancs, marron, jaunes ou je ne sais quoi encore… nous avons tous sur la planète un instinct naturel nous liant à l’Afrique puisque ce continent est le berceau de l’humanité. Il est naturel de se rapprocher de cette essence. Depuis tout petit, par exemple, j’écoute Myriam Makeba. La radio, c’est mes yeux et mes oreilles vers le monde, et tous les sons et les voix que j’entends m’influencent.
De plus en plus d’Africains-Américains font des tests ADN pour savoir de quelle région ils sont originaires. Qu’en pensez-vous et connaissez-vous vos origines ?
J’ai toujours pensé que je venais du Ghana. La plupart des Noirs aux États-Unis savent qu’ils viennent d’Afrique mais pas forcément de quel pays. C’est pourquoi le terme africain-américian est particulièrement approprié. Je n’ai pas encore fait les tests dont vous parlez, mais je trouve ça très excitant.
« You Haven’t Done Nothing », dans les années 1970, s’adressait au président Nixon… Aujourd’hui, vous êtes un des soutiens majeurs de Barack Obama. Pensiez-vous qu’un Noir pouvait accéder à la Maison Blanche ?
J’avais déjà rencontré Nixon à la Maison Blanche, quelques années avant cette chanson, lors d’une cérémonie de remise de récompenses à des personnalités handicapées… Je n’avais que 18 ou 19 ans à l’époque. La première fois que j’ai rencontré Barack Obama, c’était au studio de l’un de mes amis. À l’époque il se présentait pour être sénateur. Nous avons eu une grande conversation, et j’ai apprécié ce qu’il m’a dit, sa philosophie, comment il se sentait. Il espérait déjà devenir un jour président. Je lui ai dit qu’il en était capable et que nous n’avions plus qu’à prier pour ça. Cinq ans plus tard, c’est une réalité…
Vous avez joué lors de son investiture, un événement historique. Vous avez sans doute eu une pensée pour Martin Luther King…
Oui, bien sûr, mais aussi pour beaucoup de personnes qui ont contribué à l’arrivée de ce jour : la famille Kennedy, la famille King, le révérend Jackson, les fillettes tuées par le Ku Klux Klan en Alabama [dans un attentat à la bombe contre une église baptiste, en 1963, NDLR], Emmett Till [un métayer de 14 ans atrocement assassiné dans le Mississippi en 1955 pour avoir tenté de séduire une femme blanche, NDLR], ainsi qu’à tous les militants des droits civiques assassinés. J’ai pensé à tous ces gens qui ont contribué à l’arrivée de ce jour.
L’élection de Barack Obama signifie-t-elle la fin d’un combat ?
Vous savez, la lutte ne commence que lorsque vous gagnez. C’est là que le challenge commence. Quand vous réussissez, il y a toujours ceux qui vont trouver quelque chose contre vous, qui pensent que ça n’aurait pas dû arriver. Il y a des gens, et pas seulement en Amérique, qui ont espéré la défaite de Barack Obama. Mais une des choses importantes dans la vie est d’avoir la foi : ceux qui étaient négatifs et ce qu’ils ont dit n’ont fait que nous encourager à y croire plus encore, nous donner plus de détermination.
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