Héla Fattoumi

Danseuse d’origine tunisienne, elle dirige avec Eric Lamoureux, son alter ego, le Centre chorégraphique national de Caen – une référence.

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 2 juin 2009 Lecture : 5 minutes.

Esquisser le portrait de la chorégraphe Héla Fattoumi sans évoquer le nom d’Éric Lamoureux c’est un peu comme, en musique, parler d’Amadou en omettant Mariam. Impossible de retracer le parcours de l’un en faisant abstraction de l’autre, tant leurs vies et leurs œuvres sont liées. Héla Fattoumi-Éric Lamoureux, c’est un couple dans la vie comme à la scène. C’est aussi le nom de leur compagnie et, surtout, comme l’explique l’une de leurs amis, l’universitaire Christine Roquet, « la marque d’une écriture »*. Du coup, pour faire court, le milieu de la danse les appelle les « Fatlam ».

Le calme et la sérénité que dégage la silhouette élancée d’Héla semblent si bien compenser l’énergie débordante d’Éric qu’on ne peut s’empêcher de penser que ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. C’est sur les bancs de l’université Paris-V René-Descartes qu’ils se sont connus, en 1984. Depuis, ils ne se sont plus quittés. Lui est né en 1967 à Montreuil, dans l’Est parisien. Elle a vu le jour à Tunis, deux ans plus tôt, mais a grandi dans la banlieue ouest de la capitale française.

la suite après cette publicité

Héla n’a en effet pas encore 2 ans quand ses parents quittent leur Tunisie natale pour rejoindre la France. Son père vient d’être embauché comme comptable au siège parisien de Jeune Afrique. Il y fera ¨toute sa carrière. Sa mère élève leurs quatre enfants « à la tunisienne », raconte Héla. « Mes frères et moi avons reçu une éducation non pas musulmane au sens strict, mais traditionnelle. Nous parlions arabe à la maison. J’ai le souvenir d’une enfance heureuse. Avant de nous installer à Argenteuil, nous avons vécu dans une résidence avec un jardin, à Rueil-Malmaison. Nous étions alors la seule famille maghrébine du quartier. Et j’ai toujours ressenti ma différence comme un plus. Jamais comme un handicap. »

Une différence avec laquelle Héla apprend à composer « pour en faire quelque chose ». « Qui suis-je ? Une Française ? Une Arabe ? Adolescente, j’avais dû mal à répondre. Aujourd’hui, j’ai compris que mon identité était un horizon à construire. Nos origines sont le soubassement à partir duquel nous devons nous fabriquer. Quand je monte sur scène, je sais que l’on me voit avant tout comme une femme arabe. J’ai toujours pris garde à ne pas devenir un porte-drapeau. Éric et moi avions très peur de cela à nos débuts. »

Les Fatlam sont venus à la création contemporaine « un peu par hasard », avouent-ils. Dès l’âge de 5 ans, comme beaucoup de petites filles sages, Héla enfile chaque mercredi, au conservatoire d’Argenteuil, tutu et chaussons. Plus qu’un passe-temps, une passion. Mais la jeune femme ignore tout du monde de la danse et n’imagine pas y faire carrière. Après l’obtention de son bac, en 1983, elle s’inscrit, sur les conseils de son professeur de sport, à l’université René-Descartes. L’unité d’enseignement et de recherche en éducation physique et sportive propose pour la première fois une option danse. « La fac formait des enseignants, ça rassurait mes parents. »

La danse contemporaine explose alors en France. Les premiers centres chorégraphiques nationaux (CCN) ouvrent leurs portes, Montpellier lance son festival, les enseignants de Paris-V sont à la pointe du mouvement. « C’était au-delà de ce que j’avais pu imaginer, raconte Héla Fattoumi. Nous étions au contact de ceux qui faisaient la danse. » En 1986, Héla crée un solo, Foirolle, qui remporte le premier prix du Festival de danse contemporaine de Cagliari (Italie). Premier concours, premier succès d’estime… D’autres suivront. Très vite, avec Éric, « l’envie de faire quelque chose tous les deux » l’emporte.

la suite après cette publicité

En 1988, ils fondent leur compagnie et créent Husaïs, qui remporte deux ans plus tard le prix de la première œuvre du concours de Bagnolet et, en 1991, celui de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Un coup de maître, explique Christine Roquet. C’est leur « duo fondateur » qui dessine « les figures repères qui constitueront les principaux éléments du lexique gestuel des Fatlam. La fente, la petite marche, les chutes tendues précédées ou suivies d’un retournement, les déplacements à ras du sol, le maintien sous la nuque (de soi-même ou de l’autre), les petits gestes des mains, les portés pour transporter, les volte-face au sol (appelées aussi “crêpes”), la vague… »

La reconnaissance internationale est immédiate. Ils partent six mois au Japon comme boursiers de la villa Kujoyama, puis sillonnent le monde au gré des résidences d’artistes (Tokyo, Séoul, Tunis, Tel-Aviv, Ramallah, Bratislava, Le Caire…). Les créations s’enchaînent. À partir de sensations ressenties par l’un des deux, le couple esquisse des mouvements, compose en permanence. « Nous n’avons jamais de répit, expliquent-ils. Même à la maison, on parle de notre travail. »

la suite après cette publicité

Mais après quinze années de nomadisme, les Fattoumi-Lamoureux ont à leur tour envie d’être « ceux qui invitent ». En 2004, ils prennent la tête du CCN de Caen, avec un projet intitulé « L’Ici et l’ailleurs », et créent l’année suivante Danses d’ailleurs, un festival consacré aux créations africaines, qui a acquis depuis une certaine notoriété et s’ouvrira à l’Asie en 2010. Caen, c’est aussi l’occasion de se poser un peu et de se recentrer sur la cellule familiale. Les parents d’Éric sont venus s’installer dans la région pour profiter de leur petite-fille, âgée de 8 ans.

« Durant notre parcours, nous n’avons pas créé de pièces sans duo, sans “rencontre à deux”, explique Héla. Ni sans revenir régulièrement vers cet autre côté de la Méditerranée qui me constitue. Parce que la Tunisie fait partie de mes repères. » Plusieurs pièces – Wasla (« ce qui relie » en arabe), créée à Tunis où Héla, enfant, passait ses vacances ; Pièze, sur l’homosensualité dont parle l’anthropologue Malek Chebel ; ou encore La Madâ’a – interrogent le monde méditerranéen musulman et « l’identité comprise comme une relation ». Parce que les Fatlam sont issus de deux mondes. « Notre couple mixte n’a jamais posé problème dans notre milieu professionnel, témoigne Héla. Dans les pays arabes, c’est autre chose. Au sein de ma famille également. Ma mère avait peur du qu’en-dira-t-on. » Elle est aujourd’hui rassurée. Sa petite-fille est venue seule en vacances à Tunis. Ses parents ne l’ont pas coupée de ses racines.

Dernière création en date, Manta sera présentée le 26 juin dans le cadre du festival de Montpellier. Dansé par Héla et cosigné par les Fatlam, ce solo traitera du hijab. « Petite, se souvient Héla, je ne comprenais pas pourquoi on me parlait de la religion uniquement en termes d’interdits. C’est ce principe d’interdit et le rapport au corps que nous avions envie d’interroger à travers le hijab. » « In fine, précise Éric, Manta soulève une question universelle : celle de la liberté que l’on a face à sa propre vie. »

*Fattoumi-Lamoureux, danser l’entre l’autre, de Christine Roquet, éd. Séguier, 176 pages, 20 euros.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires