Elections locales, enjeu national

Le gouvernement comme les partis veulent restaurer la confiance des électeurs dans les institutions et les réconcilier avec la politique. Le scrutin communal du 12 juin aura valeur de test.

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Publié le 2 juin 2009 Lecture : 5 minutes.

Le dépôt des listes de candidats pour les élections municipales du 12 juin a été clos le 29 mai. Treize millions de Marocains seront appelés à élire, pour un mandat de six ans, les 24 000 conseillers qui composent les 1 503 conseils communaux du royaume. Ceux-ci voteront ensuite pour les bureaux communaux, à la tête desquels se trouvent les présidents de commune ou maires. Mais ces élections ne revêtent pas que des enjeux locaux. Pour les partis comme pour les autorités, il s’agit avant tout de restaurer la confiance des citoyens dans les institutions et de les réconcilier avec la politique. D’où l’ambition affichée de faire de ce scrutin une vitrine de la jeune démocratie marocaine.

Selon la charte qui le régit, le Conseil communal est chargé d’assurer à la collectivité locale son plein développement économique, social et culturel. En prise directe avec leurs administrés, les élus gèrent les problèmes de la vie quotidienne : propreté, sécurité, logement, électrification, emploi… Mais le gouvernement l’a souligné : pour accélérer la décentralisation, l’élu local doit devenir « un stratège capable de définir des visions et de fixer des orientations ». Un vœu pieux, selon le socialiste Fathallah Oualalou, pour qui « la commune est le maillon faible de la démocratie marocaine ». Souvent taxés d’incompétence, les notables voient d’abord dans ces élections la promesse d’une manne financière et l’accès assuré à certains privilèges. Sans l’émergence d’une nouvelle élite, responsable et bien formée, il n’y aura pas de véritables relais des chantiers nationaux à l’échelle locale. « Régler le problème de la gouvernance relève de l’urgence, avertit le chercheur et professeur de droit Ali Sedjari. Les inégalités régionales sont plus fortes que jamais et, dans beaucoup de communes, on rencontre des problèmes croissants de sécurité, de pauvreté et de marginalisation. D’ailleurs, les petites villes et les régions excentrées sont devenues les foyers de contestation les plus violents. » 

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Haro sur la corruption !

Le ministre de la Justice, Abdelouahed Radi, a rappelé que seule une lutte acharnée des autorités contre la « corruption électorale » pourra rétablir la confiance des citoyens vis-à-vis des institutions. Depuis six mois, le ministère de l’Intérieur est sur le pied de guerre : il recourt aux écoutes téléphoniques, épluche les comptes des communes et a même destitué trois maires, dont celui de Meknès, Aboubakr Belkora (Parti de la justice et du développement, PJD), pour mauvaise gestion. « Le ministère de l’Intérieur fait ce qu’il peut, mais il ne faut pas se faire d’illusions sur la transparence des élections. Les pratiques anciennes continuent d’être vivaces », affirme Abdelaziz Rebbah, du PJD, qui croit cependant en l’innocence de Belkora. Comme à chaque élection, certains candidats attendent les dernières semaines pour lancer la construction d’une route, acheter une ambulance ou proposer des emplois publics.

Déterminé à moraliser la vie politique, Chakib Benmoussa, le ministre de l’Intérieur, a bien failli provoquer une crise politique en voulant faire appliquer la loi sur les partis. L’article 5 stipule en effet qu’un élu « ne peut adhérer à un autre parti qu’au terme de son mandat législatif ». De quoi mettre dans l’embarras de nombreux « transhumants » qui rejoignent au dernier moment le parti le « mieux-disant ». Se sentant visés, les adhérents du Parti Authenticité et Modernité (PAM) ont menacé de quitter le Parlement si la loi était appliquée.

« Le spectacle offert par les partis est tout simplement lamentable, commente un journaliste. Il n’y a aucun projet et les enjeux économiques et sociaux sont totalement escamotés au profit des batailles politiciennes. » Abdelaziz Rebbah enfonce le clou, rappelant que, « lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, Fouad Ali El Himma a fait voter la loi contre la transhumance, dont il refuse l’application aujourd’hui. C’est ce genre de comportement qui éloigne les citoyens de la politique. » Traditionnellement au Maroc, le taux de participation aux élections locales est plus élevé qu’aux législatives. Mais la pauvreté des débats durant la campagne laisse craindre une faible mobilisation des électeurs.

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Le scrutin proportionnel ayant été mis en place dans les communes de plus de 35 000 habitants, la formation qui recueille le plus de voix n’est plus assurée d’y remporter la mairie. Lors de l’élection des bureaux communaux, les partis pourraient donc être tentés de nouer des alliances – parfois incongrues – afin de s’assurer les meilleurs postes. C’est le cas du PJD et de l’USFP (Union socialiste des forces populaires), dont plusieurs membres ont laissé entendre qu’ils pourraient faire liste commune. Fathallah Oualalou préfère parler de « coalitions conjoncturelles » plutôt que d’alliances. Même son de cloche du côté du PJD, chez qui le pragmatisme l’emporte aussi sur l’idéologie. D’autant que les deux formations ont un objectif commun : freiner les ambitions du nouveau venu de la scène politique, le PAM, dont on annonce déjà l’écrasante victoire.

C’est en effet l’épreuve du feu pour le parti de Fouad Ali El Himma. Très confiants, ses dirigeants misent sur leurs réseaux de notables et sur les déçus des autres partis – membres transhumants ou électeurs. Accusé d’être « le parti du roi », le PAM pourrait tirer un certain bénéfice de sa confrontation avec le ministère de l’Intérieur. S’il obtient de bons résultats, on ne pourra pas les mettre sur le compte de quelque traitement de faveur.

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Première force du pays en nombre de voix, le PJD n’a jamais réussi à provoquer le raz-de-marée tant de fois annoncé. En 2003, quelques mois après les attentats de Casablanca, le parti islamiste avait limité ses ambitions aux municipales, ne présentant des candidats que dans 18 % des circonscriptions. Cette année, ce taux devrait approcher 40 %. Mais le parti, dont l’ancrage est essentiellement urbain, risque d’être désavantagé par le nouveau découpage électoral, où 85 % des communes sont rurales.

L’USFP, qui a souffert durement aux législatives de 2007, ne cesse d’agiter l’étendard de la « refondation ». Pour les socialistes, ce scrutin est le moyen de repartir à la conquête des électeurs. Mais le parti manque de cadres compétents désireux de se lancer dans la bataille électorale et mène depuis quelques semaines une véritable chasse aux notables, notamment dans les campagnes.

Du côté de l’Istiqlal, on fait preuve de prudence. Pour confirmer son rang de premier parti du pays après sa victoire aux législatives de 2007, la formation du Premier ministre Abbas El Fassi compte beaucoup sur les ténors du parti, notamment pour remporter les grandes villes. 

Et les femmes dans tout ça ?

Sur les 24 000 conseillers locaux actuels, 137 sont des femmes, et une seule, Asmae Chaabi, a accédé au poste de présidente de commune, à Essaouira. Face à ce constat, le roi a appelé, le 13 octobre 2008, à « garantir une représentation équitable des femmes au niveau des collectivités locales », ajoutant que « l’intégrité, le réalisme et la fibre sociale » des femmes étaient des atouts dans la gestion locale. Les partis sont donc tenus de respecter un quota de candidats femmes, fixé à 12 % par le gouvernement. « C’est à la fois une façon de briser le modèle patriarcal dans lequel nous sommes enfermés et le meilleur moyen de renouveler les élites locales », explique Ali Sedjari. Si l’ensemble des formations politiques ont salué la légitimité de cette mesure, elles n’en peinent pas moins à trouver des candidates. « À la campagne, il est probable que nous n’atteindrons pas les 12 %, car les femmes hésitent à s’engager », explique Abdelaziz Rebbah. Dans les grandes villes, où le problème est moins épineux, de grandes figures féminines comme Yasmina Baddou, la ministre de la Santé, pour l’Istiqlal, ou Bassima Hakkaoui pour le PJD devraient tirer leur épingle du jeu.

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