Ouyahia peut-il durer ?

De tous les Premiers ministres d’Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia est celui qui détient le record de longévité à son poste. Pourtant, les relations entre les deux hommes n’ont jamais été un long fleuve tranquille. Enquête sur une énigme.

Publié le 2 juin 2009 Lecture : 7 minutes.

Une semaine après avoir prêté serment pour un troisième mandat présidentiel, Abdelaziz Bouteflika a reconduit, le 27 avril, Ahmed Ouyahia, 57 ans, secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND, membre de l’Alliance présidentielle), dans son fauteuil de Premier ministre. Si le maintien de la quasi-totalité de l’équipe gouvernementale a surpris, celui d’Ahmed Ouyahia était pressenti. Car ce dernier a fait ses preuves : un bilan plus qu’honorable et une efficacité doublée d’une loyauté à toute épreuve à l’égard du président de la République. L’actuel Premier ministre est sans doute le meilleur chef d’orchestre pour mettre en musique les partitions composées à El-Mouradia.

Pourtant, les relations entre les deux hommes ne sont pas exemptes de zones d’ombre. À preuve, le limogeage d’Ouyahia en mai 2006, sans aucune raison politique apparente. Une mise à l’écart d’autant plus étonnante que le Premier ministre de l’époque avait fait preuve d’habileté, en novembre 2005, quand le président, victime d’un sérieux problème de santé, dut subir une intervention chirurgicale lourde à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce, qui le maintint éloigné du pays pour une longue période de convalescence. Non seulement Ouyahia a su « tenir la baraque », mais il a donné des gages de fidélité à la « maison Bouteflika ». Pourtant, cinq mois plus tard, il est remercié et remplacé par Abdelaziz Belkhadem. Mais, contrairement à Ahmed Benbitour, un de ses prédécesseurs, Ouyahia n’étale pas ses états d’âme. Ni dans la presse ni en privé. Il reprend tranquillement le chemin de son bureau du RND pour se consacrer exclusivement à son parti. Non seulement il ne fait pas de vagues, mais il réitère son « soutien indéfectible » au président. « Il a eu l’intelligence d’éviter le clash, témoigne un ministre proche des deux hommes. Convaincu d’être victime d’une injustice, il a fait le dos rond, attendant patiemment que son “bourreau” reconnaisse son erreur. »

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Les conditions du départ d’Ouyahia du Palais du gouvernement en 2006 sont tout aussi énigmatiques que celles de son retour, deux ans plus tard. Après avoir été proscrit des médias publics durant de longs mois, le Premier ministre déchu a de nouveau voix au chapitre. Le président le sort de l’anonymat de son bureau de secrétaire général du RND, aux Asphodèles, sur les hauteurs d’Alger, pour lui confier d’importantes missions de représentation à l’étranger. C’est ainsi que, en avril 2008, sans titre officiel, Ouyahia est désigné pour diriger la délégation algérienne lors d’une rencontre au sommet de l’ONU et, dans la foulée, au sommet Inde-Afrique. Deux mois plus tard, Bouteflika le rappelle aux affaires. « Il n’a manifesté aucune joie particulière, raconte un ami du Premier ministre “réhabilité”, ni un sentiment de revanche assouvie. Il a juste soupiré : c’est reparti… »

Cet épisode aura en tout cas marqué durablement les relations entre les deux hommes et entre les institutions de la République. C’est pourquoi la solidité du ticket Bouteflika-Ouyahia (la légitimité populaire et l’expérience du premier alliées au savoir-faire et à la « jeunesse » du second) semble aujourd’hui si aléatoire. « La longévité du duo appelé à piloter le navire Algérie pour le prochain quinquennat est incertaine, déplore un homme d’affaires, et le mutisme des deux protagonistes concernant cet incident de parcours n’aide pas à se projeter dans l’avenir. » Les explications avancées ici et là ne sont que pures spéculations : problèmes générationnels, incompatibilité d’humeur entre l’entourage présidentiel et le Premier ministre, méfiance d’un président à l’égard de celui que d’aucuns présentent comme le « successeur putatif »… Difficile donc, tout bien considéré, de prévoir la durée de vie du couple de l’exécutif. Voici quelques clés pour en évaluer la solidité. 

Pourquoi le président a conservé son Premier ministre

S’il n’avait aucune raison apparente de le limoger en mai 2006, le président réélu n’en avait pas plus pour ne pas le conserver en avril 2009. Ouyahia est revenu aux affaires en juin 2008 alors que de nombreux dossiers étaient en souffrance. Il a relancé les chantiers à l’arrêt, accéléré les réformes en suspens et, surtout, donné un coup de fouet à une équipe gouvernementale quelque peu ankylosée durant le mandat d’Abdelaziz Belkhadem. Autre atout d’Ouyahia : le dynamisme de son parti. Le RND s’est affirmé comme la locomotive de l’Alliance présidentielle. Il a trusté les postes d’encadrement dans le staff du candidat Bouteflika durant la campagne présidentielle, où les lieutenants d’Ouyahia ont particulièrement brillé. Le succès des étapes kabyles doit beaucoup au travail de préparation effectué par les troupes du RND. « Ouyahia avait promis une machine électorale au candidat, rapporte un ministre. Non seulement il a tenu promesse, mais cette machine a été d’une efficacité redoutable. » À telle enseigne que Louisa Hanoune, opposante et rivale malheureuse de Bouteflika, a lâché dans un soupir : « Si nous devions choisir un jour un allié au sein de la classe politique, je n’hésiterais pas à choisir le RND. »

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Le profil d’Ouyahia a également plaidé en sa faveur. S’il n’est pas de la même génération que le président, il partage avec lui un nationalisme sourcilleux, sans concession ni compromission. Son aptitude à l’effacement (il ne s’attribue aucun mérite, préférant vanter les choix du président) n’exclut en rien la détermination, ni a fortiori l’ambition. Sans obséquiosité, il s’est mis au service de Bouteflika comme il servit avec loyauté Liamine Zéroual : par conviction politique, persuadé qu’il s’agit d’une nécessité de l’heure, d’une étape cruciale pour l’avenir de son pays, sans considération du sien.

Les choix de Bouteflika en matière de Premier ministre n’ont pas toujours été heureux. L’épisode du technocrate (Ahmed Benbitour) a tourné court. Celui de l’homme de confiance (Ali Benflis), qui le « trahit » en se présentant contre lui (lors de la présidentielle de 2004), l’a profondément marqué. Quant au choix de la loyauté (Abdelaziz Belkhadem), il n’est pas gage d’efficacité. Bouteflika étant engagé dans une course contre la montre, pourquoi se passer du meilleur sous prétexte que celui-ci aurait les faveurs de l’armée, argument agité ici et là et qui a le don d’irriter le président ? Quoi que l’on dise, à l’issue de cinq consultations au suffrage universel (trois présidentielles et deux référendums), Bouteflika est pleinement président. C’est lui qui a choisi Ahmed Ouyahia. Et rien ne lui interdit de rééditer le scénario de mai 2006, s’il le juge utile. 

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Comment fonctionne le duo

La rigueur présidentielle a été rarement contrariée du fait d’Ahmed Ouyahia, toujours disponible et maîtrisant les dossiers les plus complexes. Le binôme fonctionne à plein régime et la rareté des Conseils des ministres est largement compensée par la fréquence élevée des Conseils de gouvernement et des sessions interministérielles. S’il n’y a pas de rencontres quotidiennes entre les deux hommes, les échanges sont nombreux. De tous les Premiers ministres successifs de la dernière décennie, Ouyahia est celui qui apporte le plus de contradictions dans ses discussions avec le président. Sans véhémence ni effronterie – il fait même plutôt preuve de déférence – mais avec détermination et force arguments. Et il n’est pas rare qu’il gagne la « bataille », sans pour autant que son ego ne se mette à enfler. Autrement dit, Ouyahia n’est pas homme à crier sur les toits qu’il est parvenu à faire changer d’avis Bouteflika. Surtout que les deux hommes sont le plus souvent sur la même longueur d’onde et partagent les mêmes conceptions des « intérêts supérieurs de la Nation ». Contrairement à l’idée reçue, Ouyahia ne se situe pas à la gauche de Bouteflika, et les récentes mesures de durcissement en matière d’investissements étrangers et de transfert des bénéfices ne sont pas de son seul fait. Le patriotisme économique est l’enfant naturel du nationalisme dont les deux hommes se réclament. 

Ouyahia a-t-il changé ?

Il est indéniable qu’Ouyahia I (entre 2003 et 2006) ne ressemble en rien à Ouyahia II (depuis juin 2008). Le personnage n’a jamais été flamboyant. Il est désormais encore plus discret, mais toujours aussi intraitable avec ses collaborateurs. Bourreau de travail, il est le premier arrivé au Palais du gouvernement, prêt à répondre à toute sollicitation d’El-Mouradia. Il sait que le président est encore plus matinal que lui. Ouyahia I était prompt à répondre aux médias. À l’aise face aux caméras et aux micros, il donnait régulièrement des conférences de presse. Ouyahia II est plus avare de déclarations, refusant toute demande d’interview, fuyant les journalistes en marge des cérémonies protocolaires.

Si l’on s’en tient au mode de fonctionnement du duo Bouteflika-Ouyahia, sur les engagements du premier et la détermination du second à les tenir, on serait tenté de conclure qu’il est promis à une longue vie. Peu porté sur les confidences, Ouyahia a cependant laissé échapper un indice. Le 25 mai dernier, répondant aux interpellations de députés à l’occasion de l’adoption du plan d’action du gouvernement, il a évoqué les rapports entre l’exécutif et le Parlement, affirmant que lui et son équipe étaient à la disposition des parlementaires… jusqu’en 2012, qui coïncide avec la fin de l’actuelle législature.

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