Charles Blé Goudé présente ses excuses à ceux qu’il a choqués

Longtemps considéré comme un va-t-en-guerre, le meneur des manifestations pro-Gbagbo a aujourd’hui adopté un langage politiquement correct.

Publié le 1 juin 2009 Lecture : 6 minutes.

À Abidjan, avec un peu d’ironie, on le surnomme le dalaï-lama. Lui se compare à Nelson Mandela. Rien de moins. Depuis qu’il n’est plus dans son rôle de « Général de la rue », Charles Blé Goudé réécrit l’Histoire. Il essaie de faire oublier les harangues publiques, les formules pousse-au-crime, les appels à la violence, les chasses à l’homme qui suivaient ses meetings enflammés.

Pendant des mois, il a manipulé les jeunes, exaltés, rhabillés en « patriotes ». Il a, selon les termes de l’ONU, dirigé et participé « à des actes de violence commis par des milices, y compris des voies de fait, des viols et des exécutions extrajudiciaires ». Aujourd’hui, il nie, minimise son rôle, met en avant la responsabilité de la France, tout en admettant quelques « dérapages ». Il est convaincu, ou au moins veut le paraître, que Paris voulait renverser son président, Laurent Gbagbo. Au fond, il n’aurait donc fait que « résister », comme certains Français l’avaient fait face aux Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour un peu, le jeune nationaliste aux indéniables talents de tribun se ferait passer pour Jean Moulin.

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Passible de sanctions onusiennes, le va-t-en-guerre a demandé pardon. Il a pris le parti de la paix et se reconstruit une image. Comme si un mea culpa suffisait à effacer l’ardoise. La réconciliation est en cours, c’est vrai. Pour le moment, au détriment de la justice. Éternel dilemme des sorties de crise…

Le « président » Charles Blé Goudé n’en est pas pour autant rangé de la politique. Il a encore un combat à mener : l’élection présidentielle, prévue à la fin de 2009, et la victoire de son candidat, Laurent Gbagbo.

Jeune Afrique  : Les « Jeunes patriotes » ont-ils un rôle à jouer dans le processus électoral en cours ?

Charles Blé Goudé : Bien sûr que oui. Nous avons un rôle à jouer : donner à la Côte d’Ivoire un président digne, qui puisse diriger ce pays, orienter les Ivoiriens. Nous allons jouer un rôle de mobilisation, autour des valeurs, non autour des ethnies, des religions ou des individus. 

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Compte tenu des violences passées, n’avez-vous pas un problème de légitimité ?

Nous avons su adapter notre combat à l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire. Et aujourd’hui, personne ne peut voyager du sud au nord, de l’est à l’ouest en passant par le centre aussi facilement que Charles Blé Goudé. J’ai tendu la main à ceux qui hier étaient des ennemis. J’ai retrouvé mon ami Guillaume [le Premier ministre Guillaume Soro, NDLR], j’ai gagné un ami, Wattao, qui fut un chef de guerre. Je suis allé dans les mosquées avec mes amis, dans les églises, dans les quartiers dioulas. Aujourd’hui, les Dioulas m’ont accepté comme leur fils et ont apprécié ma sincérité. J’ai été le premier à demander pardon pour tout ce que j’ai pu faire moralement ou physiquement. Aujourd’hui, je pense que cela a élargi notre base. 

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S’il y avait des choses à refaire, que changeriez-vous dans votre combat ?

Si je devais refaire les choses, nous organiserions autrement la résistance. J’éviterais de tenir des propos à l’endroit d’un groupe ethnique ou d’un groupe religieux. Même si je n’ai pas pris moi-même les armes, mes propos ont pu choquer des gens. À ceux-là, j’ai présenté mes excuses et je continue de le faire. 

Paris et l’ONU vous tiennent pour responsable des violences qui ont eu lieu contre la communauté française…

J’ai pris une position contre les autorités françaises, je n’ai jamais pris position contre les Français. Il faut faire la différence entre les autorités françaises et la population française. Ce que j’ai fait pour libérer mon pays, je l’ai calqué sur l’histoire de France, quand les Français ont résisté face à l’envahisseur nazi. Résister, c’est ce que nous avons fait. Pour le reste, les dérapages sont à regretter. Nos relations sont à reconstruire. La Côte d’Ivoire a eu des relations difficiles avec la France à un moment donné de son histoire, nous nous efforçons aujourd’hui de rapprocher nos deux peuples. Qu’on se pardonne les uns les autres et que l’on passe d’un stade de tutorat à un stade de partenariat. 

Vous allez faire campagne pour qui ? Pour le Front populaire ivoirien [FPI] ? Pour Gbagbo ?

Pour Gbagbo ! Je ne suis pas au FPI, on peut ne pas être encarté et se battre pour un dirigeant dont on partage les valeurs. Aujourd’hui, avec la guerre, la politique en Côte d’Ivoire a changé. Nous parlons non pas en termes de parti, mais en termes de générations et de nouvelle vision des rapports Nord-Sud. Gbagbo n’est plus seulement le porte-étendard du FPI, il est le candidat de la dignité de l’Afrique au-delà même de la Côte d’Ivoire. Il faut éviter que le président qui sera à la tête de notre pays soit encore un partisan de la Françafrique. Ici, les élections ne vont pas seulement opposer le FPI au RDR, ou le FPI au PDCI-RDA, non ! Ce sont des élections qui vont opposer à ses concurrents le candidat de la « digne Afrique », celui qui pense que les chefs d’État africains sont élus d’abord pour le peuple africain. 

La communauté internationale craint des troubles si votre candidat ne gagnait pas…

Moi je suis un démocrate. Vous ne trouverez jamais un joueur qui dise avant le match ce qu’il fera s’il perd. Nous allons aux élections pour les gagner avec Laurent Gbagbo, je n’envisage même pas que mon candidat perde. Certains disent que si Gbagbo perd, nous descendront dans la rue. C’est faux ! Nous n’avons pas été éduqués comme ça.

Que pensez-vous de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire [Fesci], que vous avez dirigée, aujourd’hui qualifiée de véritable mafia ?

Les méthodes d’hier appliquées par notre génération quand nous étions poursuivis, traqués par la police ne peuvent rester les mêmes. La génération actuelle évolue en bonne intelligence avec le gouvernement, elle n’a pas à faire face à la répression. La Fesci doit donc passer à la phase de formation des militants, elle doit changer sa façon de faire. 

On dirait que c’est un autre Blé Goudé qui parle aujourd’hui, beaucoup moins va-t-en-guerre.

C’est parce qu’il y avait la guerre que j’étais va-t-en-guerre ! Je n’allais pas distribuer des roses quand les autres avaient des fusils à la main. La différence entre l’homme et l’animal, c’est la faculté de se remettre en cause. Il faut toujours faire son mea culpa, son examen de conscience. Je n’ai pas toujours fait ce qui était bon. Il faut savoir changer son fusil d’épaule. 

Quel a été le rôle, dans cet examen de conscience, des sanctions que l’ONU vous a imposées ?

Ces sanctions, je les trouve injustes. Mandela a appelé à poser des bombes et aujourd’hui c’est un homme respecté. On ne peut pas lui reprocher d’avoir pris un fusil. Moi je n’ai ni pris un fusil ni posé des bombes, je n’ai pris que la parole. On ne peut sanctionner un supporteur qui est dans les tribunes pour une faute qu’un joueur a faite sur le terrain. Ceux qui sont sur le terrain sont ceux qui sont au gouvernement. Quand ils font une réunion de réconciliation, je n’y suis pas, ce qui veut bien dire que je ne suis pas un acteur direct. Je refuse ce carton rouge. À un moment de l’histoire de la Côte d’Ivoire, j’ai estimé qu’il fallait résister, et nous avons résisté mes amis et moi. Et à un autre moment, j’ai estimé qu’il fallait faire la paix. Nous avons organisé des meetings dans le Sud, puis nous sommes allés dans les zones tenues par la rébellion et nous avons commencé à discuter. Nous sommes allés vers la paix et cela n’a aucun rapport avec les sanctions. Il faut que ces sanctions soient levées. J’ai été un catalyseur, un élément important pour la paix. Pendant que les gens discutaient à Ouagadougou, je faisais le tour de la Côte d’Ivoire pour appeler à la paix. Nous avons joué le rôle des Casques bleus à leur place. 

Est-on passé du général guerrier au faiseur de paix, au dalaï-lama, comme certains vous surnomment ?

La guerre est finie et je ne veux même plus qu’on m’appelle général. Voilà. 

Comment faut-il vous appeler ?

Président Charles Blé Goudé [président du Congrès panafricain des jeunes et des patriotes, NDLR].

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