Dambisa Moyo
Economiste zambienne
Imaginez que le téléphone sonne dans le bureau d’Ernest Bai Koroma, le président sierra-léonais. Au bout du fil, un cadre de la Banque mondiale lui annonce que, d’ici à cinq ans, son pays ne recevra plus d’aide internationale. Mais alors plus 1 dollar, et inutile de négocier. Dans la foulée, à Monrovia, Ellen Johnson-Sirleaf reçoit le même appel du même fonctionnaire, puis Mamadou Tandja à Niamey, puis Joseph Kabila à Kinshasa et Rupiah Banda à Lusaka… Tous les États africains dépendant des bailleurs de fonds y passent.
Depuis quelques mois, cette fiction agite le microcosme très masculin des théoriciens du développement. Celle qui l’a imaginée est une jeune économiste zambienne de moins de 40 ans, Dambisa Moyo. Connue jusque-là de ses seuls collègues de la banque américaine Goldman Sachs, elle est désormais au centre d’une querelle idéologique où s’opposent des figures aussi célèbres que Kofi Annan et le rockeur Bob Geldof. De ce ramdam, qui ressemble parfois à un « buzz », Dambisa Moyo n’est pas mécontente : Dead Aid, son livre paru en février aux États-Unis et en Grande-Bretagne et par lequel la polémique est arrivée, figure au classement des best-sellers du New York Times. Et l’auteure, au palmarès des cent personnalités les plus influentes de la planète du magazine Time.
« Dead Aid » : le titre est explicite (celui de l’édition française, dont la sortie est prévue pour septembre chez JC Lattès, devrait être L’Aide fatale). Pour Dambisa Moyo, couper le robinet n’entraînerait pas le naufrage de l’Afrique. C’est même le contraire qui se produirait : « accro » depuis soixante ans à des injections d’aide occidentale qui ont « appauvri les pauvres », le continent, désintoxiqué, pourrait enfin se lever et marcher vers la « renaissance ». « Si l’aide n’était qu’inoffensive, vous ne seriez pas en train de lire ce livre, écrit la Zambienne. Le problème, c’est que l’aide n’est pas bénigne, elle est maligne. » Dans ce procès cinglant du « mythe » de l’aide, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale – que Dambisa Moyo connaît bien pour y avoir travaillé pendant deux ans comme consultante – en prennent pour leur grade. Ils auraient « un plus grand besoin de donner que le récipiendaire de recevoir ». Et au final, le remède a aggravé le mal : il a incité à la paresse, favorisé la corruption et « fomenté » bien des conflits. En économiste – formée à Oxford puis à Harvard –, l’auteure cite quelques chiffres éloquents : 1 000 milliards de dollars envoyés sur le continent ces cinquante dernières années, tandis que le revenu par habitant a décliné ; 85 % de l’aide de la Banque mondiale utilisés à d’autres fins que celles initialement prévues… La fossoyeuse de Bretton Woods ne se contente pas de vilipender. Dans la deuxième partie de son livre, elle propose. Ses solutions : les emprunts obligataires sur les marchés de capitaux, l’aide chinoise (pour la construction d’infrastructures), le microcrédit, qui permet de bancariser les plus modestes, le commerce avec les pays développés et, pourquoi pas, « un dictateur de bonne volonté et déterminé » (plutôt qu’une « démocratie multipartite »). Mais, surtout, la fin progressive de l’aide.
Petite-fille d’un mineur qui travaillait en Afrique du Sud, fille d’un universitaire devenu champion de la lutte contre la corruption en Zambie, élevée dans son pays, Dambisa Moyo n’est pas de ceux qui préconisent des solutions pour le continent sans y avoir mis les pieds. C’est là sa légitimité, et c’est peut-être pourquoi on se l’arrache. Kofi Annan s’est fendu d’un commentaire sur la quatrième de couverture où il vante une « nouvelle approche de l’Afrique ». En mars, le président rwandais Paul Kagamé l’a invitée à Kigali et le Libyen Mouammar Kadhafi espère la faire venir à Tripoli.
Mais l’icône est aussi jugée « simpliste », « dangereuse », « superficielle » par d’autres, comme l’économiste américain Jeffrey Sachs, père des Objectifs du millénaire pour le développement. Dans une tribune publiée le 27 mai par le journal en ligne Huffington Post, « docteur Sachs » fustige les « attaques cinglantes » de la Zambienne. Ou encore l’homme d’affaires d’origine soudanaise Mo Ibrahim : « Aide ou pas, le problème de l’Afrique est la mauvaise gouvernance », a-t-il riposté dans le Financial Times du 29 mai. Encore un nouveau venu dans le débat, pour le plus grand bonheur de celle qui l’a volontairement provoqué.
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