Sécurité nationale : le grand débat

Peut-on restreindre les libertés publiques et recourir à la torture pour protéger son pays ? Oui, répond sans hésiter l’ancien vice-président Dick Cheney. Non, affirme Barack Obama : ces méthodes n’ont fait que saper l’autorité morale de l’Amérique.

Publié le 1 juin 2009 Lecture : 4 minutes.

L’Amérique est agitée par un débat passionné dont les conclusions seront d’un intérêt vital non seulement pour les Américains, mais aussi pour tous ceux qui entretiennent, d’une manière ou d’une autre, des relations avec les États-Unis – en particulier les Arabes et les Israéliens. La question clé est la suivante : comment une société démocratique doit-elle traiter ses ennemis ? Plus précisément : peut-on torturer des terroristes présumés au nom de la sécurité nationale ? Le respect de l’État de droit impose-t-il au contraire des limites qui ne peuvent – ni ne doivent – être franchies ?

Ce débat n’est pas nouveau. Il est revenu sur le devant de la scène le 21 mai, quand Barack Obama et son opposant le plus virulent, l’ancien vice-président Dick Cheney, ont chacun prononcé un discours majeur sur le sujet et défendu des points de vue radicalement opposés. Obama a affirmé qu’il voulait mettre fin au « désordre légal » hérité de son prédécesseur, tandis que Cheney a défendu avec vigueur son bilan – au point d’embarrasser certains républicains centristes, soucieux de leur avenir électoral.

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Ce n’est pas pour rien que Cheney était considéré comme « l’éminence grise » de George W. Bush. Son influence sur ce président incompétent a été tellement forte que l’on a pu penser qu’il dirigeait un « gouvernement parallèle », formé de « néocons » et d’extrémistes qui ont manœuvré pour conduire l’Amérique au désastre irakien et à la mise en place d’un abominable système de torture à Abou Ghraib, à Guantánamo et dans d’autres lieux tout aussi déshonorants. Alors que Bush est resté silencieux depuis qu’il a quitté le pouvoir, Cheney ne cesse de donner de la voix, devenant le chef de file officieux d’un Parti républicain démoralisé.

« Interrogatoires musclés »

Le débat porte sur un problème spécifique – que faire du camp de Guantánamo ? –, mais il s’agit aussi, plus généralement, de concilier sécurité nationale et libertés individuelles. Obama espère fermer Guantánamo d’ici à janvier prochain. Mais les sénateurs ont refusé, par 90 voix contre 6, d’octroyer les 80 millions de dollars nécessaires à sa fermeture. Ils souhaitent que la Maison Blanche propose d’abord un plan de prise en charge des 240 prisonniers restants. Or Obama n’en a pas encore esquissé les lignes. Des détenus, dit-il, seront libérés, d’autres transférés dans des pays tiers, d’autres jugés en Amérique. Certains seront cependant traduits devant des « commissions militaires » – versions revues et corrigées des « tribunaux militaires » bushiens. Aucune preuve ne sera retenue si elle a été obtenue par des « méthodes d’interrogatoire cruelles, inhumaines ou dégradantes ».

Des terroristes présumés dangereux – c’est là l’élément problématique – pourraient être transférés dans des prisons américaines de haute sécurité. S’ils ne peuvent être jugés parce que les preuves retenues contre eux sont illégales, ils resteront enfermés indéfiniment en tant que combattants ennemis, sans procès. Obama a précisé que les prisonniers soumis à une telle détention préventive bénéficieraient d’un nouveau cadre légal – mais cela a provoqué les hauts cris des défenseurs des libertés civiles.

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Obama se retrouve donc attaqué par la droite comme par la gauche. La droite lui reproche de démanteler l’appareil sécuritaire de la « guerre contre le terrorisme » et de renoncer aux « techniques d’interrogatoire musclées » (entendez : la torture). La gauche l’accuse de conserver les tribunaux militaires de Bush, d’exclure les poursuites à l’encontre des juristes à l’origine des mémos légalisant la torture et de refuser la publication de photos de suppliciés de peur qu’elles n’entraînent une flambée d’antiaméricanisme.

Il n’est pas inintéressant de comparer les discours d’Obama et de Cheney. Obama : « La Déclaration d’indépendance, la Constitution, la Déclaration des droits ne sont pas que des mots inscrits sur des parchemins vieillissants. Ce sont les fondements de la liberté et de la justice dans ce pays, et une lumière pour tous ceux qui, dans le monde, recherchent la liberté, l’équité, l’égalité et la dignité… Certains ont soutenu que des méthodes brutales étaient nécessaires pour préserver notre sécurité. Je suis en total désaccord. [Ces méthodes] n’ont permis aucun progrès dans notre lutte contre le terrorisme – au contraire, elles l’ont entravée et c’est pourquoi j’y ai mis fin. Je crois de tout mon être qu’à long terme nous ne pouvons assurer la sécurité de ce pays qu’en nous appuyant sur nos valeurs les plus fondamentales. Je le redis, elles ont toujours représenté notre meilleure protection… »

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Israël est concerné

Cheney, en revanche, a clairement défendu l’usage de la torture : « J’étais et je demeure un farouche partisan de notre programme d’interrogatoires musclés. Ils ont été appliqués à des terroristes endurcis après l’échec de toutes les autres méthodes. Ils étaient légaux, indispensables, justifiés. Les officiers du renseignement qui les ont conduits peuvent être fiers du résultat obtenu, parce qu’ils ont permis d’éviter la mort de milliers, voire de centaines de milliers d’innocents. Renoncer à ces méthodes n’est que de l’imprudence habillée de vertu, et cela rendra les Américains plus vulnérables. »

L’enjeu de ce débat, c’est la réputation de l’Amérique et son autorité morale, ternies par les années Bush. Il devrait intéresser les régimes autoritaires du monde arabo-musulman auxquels l’administration Bush a accordé un blanc-seing. Il sera aussi suivi de près en Israël, aujourd’hui engagé dans un bras de fer avec Obama sur les questions des colonies et de la création d’un État palestinien. Bien que se définissant comme une « démocratie », Israël n’hésite pas à assassiner ses opposants politiques, à torturer des prisonniers et à détenir au secret des milliers de Palestiniens sans organiser de procès. L’État hébreu, c’est sûr, ne restera pas indifférent aux conclusions du débat américain.

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