Le polar d’Allah

Caché derrière le pseudonyme de Barouk Salamé, un érudit franco-arabe imagine la découverte d’un testament du prophète Mohammed… et ses implications sur la géopolitique contemporaine. Instructif et haletant.

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Publié le 26 mai 2009 Lecture : 6 minutes.

En général, à la fin d’un roman policier, le coupable est démasqué et le mystère dévoilé. Ce n’est pas tout à fait le cas pour Le Testament syriaque. Une fois l’épais volume reposé, le lecteur reste seul face à une énigme : qui se cache donc derrière le pseudonyme de Barouk Salamé ? Une chose est sûre : Barouk Salamé est un très bon connaisseur de l’islam et un conteur fort habile. Dosant avec dextérité action et érudition, son polar nourri de géopolitique nous emporte de la naissance des grandes religions monothéistes aux imprécations fanatiques contemporaines.

Le point de départ de son histoire ? La découverte et le vol au Mali actuel d’un manuscrit qui serait le testament de Mohammed, dicté quelques jours avant sa mort. L’existence d’un tel texte étant susceptible de rapporter beaucoup d’argent – mais aussi de jeter un jour nouveau sur l’islam –, nombreux sont ceux qui souhaitent s’en emparer : la CIA, les services secrets français, ceux du Pakistan… L’affrontement va laisser quelques cadavres sur le carreau… et permettre à Barouk Salamé d’explorer avec lucidité l’ensemble de la mécanique religieuse.

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« Par quel miracle l’islam aurait échappé au statut de greffon qui était commun à toutes les grandes religions à leur début ? Par quel prodige cette foi serait-elle née du désert, sans généalogie et sans parentèle ? Même les Hébreux s’étaient nourris de la révolution religieuse du pharaon Akhenaton et avaient puisé dans la sagesse babylonienne pour élaborer le légendaire des Patriarches, au fondement de la Bible juive », écrit-il. Entretien avec l’auteur d’un texte courageux. 

Jeune Afrique : Pourquoi avoir écrit ce roman sous pseudonyme ?

Barouk Salamé : Barouk Salamé est plus qu’un pseudonyme, c’est le nom d’un autre, un hétéronyme, auquel je m’identifie, démarche que l’on retrouve chez les auteurs arabes anciens [qui était Imrou’l-Qays ?], chez le poète portugais Pessoa ou le philosophe danois Kierkegaard. Il exprime une partie de ma personnalité, une « altérité incluse » faite d’arabité et d’islamité. C’est le musulman en moi qui a écrit ce roman policier. 

Pourquoi avoir choisi le polar comme moyen d’expression ?

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Le roman noir américain, le policier scandinave, le néopolar français ont toujours traité de graves questions contemporaines. Ce n’est pas un hasard. Le roman policier a été inventé par Edgar Allan Poe, un conteur, poète et essayiste raffiné [mais aussi baroque]. Au fil du temps, c’est devenu un genre populaire, voire industriel, composé de nombreux sous-genres. À présent, avec des auteurs comme Jim Nisbet, Umberto Eco ou Stieg Larsson, et grâce au public qui suit, la littérature policière déplace les lignes traditionnelles entre genres nobles et vulgaires. Elle rejoint la grande littérature, au moins en partie. 

Quelle est la part de vérité dans votre point de départ, à savoir l’idée que Mohammed aurait voulu écrire son testament ?

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La volonté du prophète de l’islam d’écrire son testament se trouve dans plusieurs hadiths dignes de foi. C’est un fait attesté par la Sunna, qui forme « l’histoire sainte de l’islam ». 

La genèse historique du Coran a-t-elle été entièrement explorée aujourd’hui ?

Les études philologiques ou historico-critiques sur le Coran n’en sont qu’à leurs débuts, malgré le travail extraordinaire de Theodor Nöldeke, à Strasbourg au début du XXe siècle : c’est lui qui a distingué des couches de texte différentes dans Geschichte des Qorans (Histoire du Coran), travail poursuivi par Régis Blachère et d’autres. Mais depuis vingt ans, des choses plus étonnantes ont été découvertes. Il faut lire le livre de Manfred Kropp, qui vient de sortir chez Fayard, Comment se fait un texte et son histoire : l’exemple du Coran, pour en avoir une idée. Il témoigne d’une véritable révolution savante. L’histoire de l’islam ancien, à laquelle appartient la rédaction du Coran, c’est-à-dire sa mise par écrit, est tumultueuse, embrouillée, mais aussi passionnante qu’un roman policier. Il ne faut pas oublier que le vrai Coran est au ciel comme l’explique le grand théologien Ghazali (XIe siècle). En terme platonicien, mais aussi coranique, les éditions du Coran dont nous disposons ne sont que des reflets d’un Texte céleste. C’est la « mère du livre » (« ‘umm al-kitâb »), un attribut de Dieu. 

Vous brouillez les pistes en créant un commissaire juif passionné par l’islam…

Le personnage de Sarfaty, commissaire et islamologue, est juif car l’islamologie, on l’oublie trop souvent, a été créée par des juifs : Abraham Geiger (1810-1874), Gustav Weil (1808-1889), Ignaz Goldziher (1850-1921), etc. Il y a de multiples raisons pour expliquer ce lien historique. L’une d’elle, c’est que si vous connaissez l’hébreu rabbinique, comprendre l’arabe classique est très facile. Il y a aussi des ressemblances cultuelles, qui font que les personnes de culture juive comprennent mieux l’islam que les Occidentaux. Maintenant, je ne vous cacherai pas qu’il y avait dans ce personnage un paradoxe attrayant. On méconnaît qu’il y a beaucoup d’Israéliens et de juifs occidentaux et orientaux qui sont propalestiniens et islamophiles. Si on veut comprendre la formation de l’islamologie et le rôle des philologues juifs, il faut lire Bernard Lewis, mais surtout Situating Islam (2007) de Aaron W. Hughes. 

Votre roman est parsemé de références et très documenté. Est-ce une manière de répondre par avance à ceux qu’il pourrait choquer ?

Le goût de la référence exacte relève de mon art poétique. Inventer une histoire en maltraitant les faits historiques et culturels ne permet ni de faire un travail honnête ni d’écrire des romans qui durent. Si on lit encore aujourd’hui Salammbô de Flaubert, qui décrit un épisode de l’histoire des Phéniciens, c’est parce qu’il a métabolisé dans ce roman historique toute l’archéologie phénicienne de son temps. Il s’est même rendu à Carthage, comme vous le savez, alors que ce n’était qu’un champ de ruines. 

L’affaire des caricatures, les attentats terroristes… Ces événements vous ont-ils inspiré ? Fait peur ?

La crise que traverse actuellement l’islam ne peut qu’inquiéter ceux qui, comme moi, aiment cette religion. Mais toutes les grandes religions ont connu des crises, exploitées par des gens et des pouvoirs sans scrupules. Des auteurs comme Mahmoud Hussein, Malek Chebel, Abdennour Bidar ou Éric Geoffroy, quoique très différents, font une lecture théologico-philosophique – excusez ce mot jargonnant – renouvelée du Coran. Il y a vingt ou trente ans, soit ils n’auraient pas osé, soit le sujet leur aurait paru sans intérêt. C’est un signe de renouveau ; peut-être les prodromes d’une renaissance. On comprend enfin que la culture religieuse appartient à l’outillage mental des sociétés et des communautés, même quand elles ont l’air sécularisées ; que la religion peut être aussi bien une forme de sagesse qu’un explosif instable. Culturellement, mon roman s’inscrit dans ce courant. 

Votre texte est parfois d’une rare violence. Est-ce dans l’idée de jouer du contraste avec le message de paix des religions ?

Il y a un contraste apparent entre religion et violence, mais toute religion est formée d’un mélange inextricable d’amour et de terreur messianique, de justice et de violence. Pour le roman policier, c’est du pain bénit ; surtout que le policier religieux est un genre peu fréquenté. Je dois signaler à ce propos que Rivages, dirigé par François Guérif, est le seul éditeur qui n’a pas reculé devant le sujet. D’autres éditeurs ont été emballés, puis ont renoncé au dernier moment, pour des raisons qui m’échappent… 

Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans une telle entreprise ?

Le déclic créatif s’est estompé, mais l’origine profonde de ce texte c’est le chant du muezzin, qui a rythmé mon enfance et mon adolescence. Ce roman est le fruit de plus de quatre ans de travail sans discontinuité, de nuits et de week-ends offerts en holocauste à Thot, le dieu des scribes. C’est le laps de temps qui a donné Madame Bovary, roman mieux écrit car Flaubert était rentier, ce qui n’est pas mon cas. Ce travail a rendu ma compagne folle de jalousie et mes enfants furieux.

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