Germaine Acogny fait école

Alors que la compagnie de la Sénégalaise ouvrira le festival Kaay Fecc le 30 mai à Dakar, retour sur cette chorégraphe hors du commun qui a créé un centre de renommée internationale.

cecile sow

Publié le 26 mai 2009 Lecture : 4 minutes.

Même quand elle parle, Germaine Acogny danse. Les mots s’échappent, s’arrêtent, puis meurent dans un ballet linguistique rythmé. Et à chaque étape de son récit elle prend une nouvelle posture. Les paumes et le regard parfois tournés vers le ciel, elle déclame sans se lasser. Trente et un ans après avoir ouvert sa première école de danse à Dakar, « la mère de la danse africaine » mesure le chemin parcouru et pense à l’avenir.

« La danse est culture. La danse est éducation. La danse est communion. La danse, c’est l’Afrique qui est debout et qui gagne », déclare-t-elle en arpentant la colline sur laquelle prend racine l’École des sables, près de la mer. Ce joyau inauguré en 2004 et bâti sur un terrain de 5 hectares, à Toubab Dialaw, paisible village de pêcheurs situé à 55 kilomètres au sud de Dakar, est devenu en quelques années l’un des lieux de rencontre favoris des professionnels de la danse, mais aussi des amateurs et des musiciens du monde entier. À juste titre.

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Née à Porto-Novo (Bénin) en 1944, Germaine Acogny a grandi au Sénégal. De sa grand-mère Aloopho, une prêtresse vaudoue, elle a hérité le don de vivre en « symbiose avec la nature » ; de son enfance sur l’île de Gorée, puis à Dakar, son amour profond pour les danses africaines. « Wolofes et léboues d’abord. Puis celles de la Casamance que j’ai découvertes à Ziguinchor [la plus grande ville du sud du Sénégal, NDLR] où j’ai enseigné l’éducation physique et un peu la danse après avoir été formée à Paris », se souvient la chorégraphe, dont la technique, alliant danses traditionnelles africaines et danses classiques et modernes occidentales, est aujourd’hui mondialement reconnue et enseignée de Paris à Tokyo en passant par Los Angeles et New York. Plusieurs fois récompensée, l’ancienne directrice de l’école Mudra Afrique (de 1977 à 1982) fondée par feu Maurice Béjart à Dakar observe aujourd’hui avec enthousiasme cette nouvelle génération de danseurs qui parcourent le monde armés de leur talent et de leur volonté.

« Nous existons par la danse », défend Pape Ibrahima Ndiaye, dit Kaolack, dont le solo J’accuse ! a plusieurs fois été primé. Formé à l’École des sables, il vient d’intégrer la compagnie masculine Jant-Bi (« le soleil », en wolof) dirigée par Germaine Acogny, qui lancera bientôt une troupe féminine, pour ne pas « mélanger les énergies », dit-elle. Pour sa part, le danseur ivoirien Daudet Grazai, venu de France pour suivre un quatrième stage de perfectionnement, explique qu’au-delà de sa quête de savoir ce qui le mène à l’École des sables est son désir de communier avec ses pairs africains et des professeurs originaires de tous les continents. L’Allemande Susan Linke, l’Israélien Avi Kaiser ou encore le Japonais Kota Yamazaki sont en effet de proches collaborateurs de Germaine. Ensemble, ils ont créé par exemple les spectacles Waxtaan, une parodie de la vie politique africaine, et Fagaala, sur le génocide rwandais, qui a reçu en 2007 à New York un Bessie Award, une distinction décernée aux chorégraphes les plus novateurs.

Chaque année, l’École des sables organise trois sessions de formation, dont chacune accueille 45 stagiaires hébergés dans l’un des trois « villages » du site. Celui-ci est clairsemé de ­maisonnettes ocre et abrite deux salles de danse ouvertes. Le sol de l’une d’entre elles est entièrement recouvert de sable. « Il n’y a pas de clôture et nous avons conçu les bâtiments de façon à ce qu’ils ne jurent pas avec l’environnement », explique Germaine Acogny. Son souhait est de respecter la nature et de permettre à chacun de se ressourcer pour donner le meilleur de lui-même.

Généreuse, rigoureuse, sévère, mais aussi maman-poule, selon ses stagiaires, l’artiste un brin androgyne avec son crâne rasé et sa silhouette athlétique visible malgré ses vêtements amples peut être fière de son école. Mais, loin de tomber dans l’autosatisfaction, elle continue de nourrir de grandes ambitions. « Nous avons le soutien de partenaires publics et privés, cependant nous n’arrivons pas encore à faire vivre le centre comme on le voudrait, déplore-t-elle. Néanmoins, depuis 1998, nous avons accueilli des professionnels du monde entier et nous comptons bien continuer. L’École des sables, c’est le fruit de longues années de travail et d’heureuses rencontres », ajoute-t-elle. Depuis 2005, son fils, Patrick Acogny, âgé de 46 ans, chorégraphe et danseur, a aussi rejoint la petite équipe (une dizaine de personnes) de l’École des sables. En parallèle, il écrit une thèse de doctorat à l’université Paris-VIII sur les techniques de danses africaines telles que pratiquées en Occident…

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La visite terminée, Germaine Acogny jette un regard vers l’horizon azur et rend hommage à son époux, l’Allemand Helmut Vogt. « À la fermeture de Mudra Afrique en 1982, c’est grâce à lui et à un sage casamançais du village de Fanghoumé que je suis sortie de la dépression dans laquelle j’avais sombré », conclut-elle en ayant une pensée pieuse pour Dieu et les ancêtres qui lui ont permis de s’installer sur les hauteurs de Toubab Dialaw.

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