Chirurgie esthétique : le torchon brûle avec la France

Très mal vécues par les professionnels tunisiens, les accusations et attaques des spécialistes français n’ont pas réussi à tarir le flux de patients venant se faire opérer en Tunisie.

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Publié le 26 mai 2009 Lecture : 4 minutes.

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La Tunisie à l

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Les Français seraient-ils mauvais perdants ? Une chose est sûre en tout cas : après avoir été, dans un premier temps, pris de court par l’essor de la chirurgie esthétique en Tunisie et par l’engouement de leurs patients à traverser la Méditerranée, ils ont durci le ton puis organisé la riposte. « Depuis la diffusion, mi-2005, sur France 2, d’une enquête à charge du magazine Envoyé spécial, nous avons dû faire face à une campagne de dénigrement systématique, note un praticien tunisien qui souhaite conserver l’anonymat. Nos collègues français ont d’abord tenté de mettre en cause la probité et la compétence de nos chirurgiens. Puis, voyant que l’argument ne prenait pas, ils ont concentré leurs attaques sur le suivi postopératoire en cas de complications, en expliquant que nous n’étions pas capables de l’assurer, en raison de l’éloignement. »

La bataille n’était pas que médiatique. Cette année-là, le gouvernement tunisien a supprimé la TVA de 6 % dont les étrangers devaient s’acquitter pour les soins médicaux. De son côté, en juillet de la même année, le code du tourisme français subissait un léger lifting : les agences de voyages de l’Hexagone n’étaient plus autorisées à contribuer, de manière directe ou indirecte, à la vente de prestations de chirurgie esthétique sous peine de retrait de leur licence.

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L’argument a fait mouche dans une partie de l’opinion. Mais n’a pas réussi à tarir le flux de patients français – environ 5 000 l’an dernier, dont près de 90 % de femmes – convaincus de la compétence des plasticiens tunisiens, dont les honoraires sont nettement moins élevés que ceux de leurs confrères européens. Une rhinoplastie (opération du nez) qui coûte 6 000 euros en France, reviendra 2 300 à 2 600 euros en Tunisie (4 300 à 4 800 dinars), y compris le voyage et le séjour de convalescence de 5 jours dans un hôtel 4 étoiles, en pension complète…

Guerre commerciale ouverte

Pour « placer les patientes face à leurs responsabilités », le Syndicat français de chirurgie plastique a écrit à ses adhérents pour dénoncer les pratiques de ceux d’entre eux qui intervenaient sur des patientes opérées en Tunisie… L’initiative a fait sortir de ses gonds le Dr Moncef Guiga. Ce praticien respecté, diplômé de la faculté de médecine de Paris et pionnier de sa discipline en Tunisie, où il opère depuis 1984, préside la Société tunisienne de ­chirurgie ­plastique. Il s’insurge contre ce qu’il considère comme de l’eugénisme chirurgical. « C’est scandaleux et contraire à l’esprit du serment d’Hippocrate. C’est de la non-assistance à personne en danger. L’argument consistant à dire “ne venez pas frapper à la porte de notre cabinet et retournez voir le chirurgien qui vous a opéré en cas de complication” est profondément malhonnête. En chirurgie esthétique, les complications sont rares et affectent en priorité les fumeurs ou les personnes sous antidépresseurs, mais elles peuvent survenir plusieurs semaines, voire plusieurs mois après l’intervention. Nos collègues français ne devraient pas avoir la mémoire courte. Pendant des décennies, les flux se faisaient en sens inverse. C’étaient nos compatriotes qui, par milliers, se faisaient soigner dans l’Hexagone et pouvaient connaître des complications à leur retour. Est-ce que nous avons jamais refusé de les prendre au motif qu’ils s’étaient fait opérer en France ? » 

Faire face à une concurrence très agressive

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Jusqu’à présent, la Tunisie n’a pas connu d’accident postopératoire majeur. Cependant, le risque zéro n’existe pas et le secteur, qui est en voie de structuration, doit éviter de tomber dans le piège de la chirurgie low cost. Les praticiens confirmés, disposant d’une bonne clientèle locale et pour qui les étrangers constituent une clientèle d’appoint, ne sont pas concernés. En revanche, les jeunes chirurgiens, dont certains travaillent presque exclusivement avec des patients étrangers pris en charge par des agences, sont, eux, beaucoup moins armés pour résister à cette pression.

« Le bradage des prix est une tendance néfaste qu’il faut combattre, tant pour des raisons médicales, car elle finira par avoir des conséquences sur la santé des patients, que pour des raisons économiques, prévient Amor Dehissy, le gérant d’Estetika Tour. Elle trouve son origine dans l’incompétence de certains opérateurs non agréés par l’Office du tourisme, qui ne maîtrisent pas le savoir-faire indispensable en matière d’exportation des services médicaux. »

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L’autre cheval de bataille des professionnels concerne la promotion. « Face à une concurrence de plus en plus agressive, il est indispensable d’augmenter le budget global consacré à la communication, pour le porter au moins à 500 000 dinars (274 000 euros) par an, conclut Dehissy. L’État à un rôle à jouer, car le privé ne peut pas tout… » Conscientes de l’enjeu et sensibilisées, les autorités planchent sur un plan stratégique pour soutenir et développer le secteur. Le ministre de la Santé, Mondher Zenaïdi, qui sera chargé de sa mise en œuvre, est l’homme de la situation : il a pendant de longues années dirigé le département du tourisme.

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