Moulay Hafid Elalamy : « Le secret du Maroc : le changement de génération »
Après trois années à la tête du patronat marocain, il dresse un bilan de son mandat et témoigne de l’évolution de son pays. Militant convaincu de l’intégration régionale, il appelle à l’accélération du processus.
Patron des patrons marocains jusqu’au 24 mai, Moulay Hafid Elalamy intrigue et fascine le milieu des affaires. Surnommé « le Bernard Tapie du Maghreb », « le Laurence Parisot marocain », « le tycoon de l’Atlas », ce touche-à-tout audacieux, visionnaire pour certains, retourne diriger le groupe Saham (380 millions d’euros de chiffre d’affaires, 4 500 salariés), qu’il a fondé. Assurances, distribution, centres d’appels, immobilier : la palette des activités de Saham est aussi riche que celle des peintres fauvistes contemporains qu’il collectionne dans sa luxueuse villa d’Anfa. Après trois années passées à la présidence de la CGEM, Elalamy passe la main. Quinquagénaire sportif, musicien et chasseur à ses heures, il confie en exclusivité à J.A. les nouveaux défis qu’il s’est fixés.
Jeune Afrique : Que pensez-vous des récents coups de théâtre relatifs à l’élection de votre successeur à la CGEM et qui ont conduit à la candidature unique de Mohamed Horani ?
Moulay Hafid Elalamy : C’est une démarche simple, à l’instar de ce qui se passe dans les différents patronats du monde. Il y a rarement multiplicité de candidatures et, personnellement, je n’étais pas un adepte d’une telle multiplicité. Un syndicat patronal, ce n’est pas un parti politique. Il faut avoir la volonté de donner de son temps et de son énergie à ses confrères. En général, les candidats ne se bousculent donc pas pour assumer cette fonction. Mon vice-président, Mohamed Chaïbi, dont je connais les capacités de réalisation, n’était pas très chaud et il s’est retiré dès qu’il y a eu une autre candidature, celle de Mohamed Horani. Quand celui-ci a exprimé son intention d’être candidat, l’ONA lui a simplement donné les moyens réglementaires de se présenter [l’intervention de l’ONA lui a permis de respecter toutes les conditions d’éligibilité, NDLR], qui sont ce qu’ils sont. J’ai beaucoup d’estime et de respect pour Mohamed Horani et pour ses capacités évidentes, qui lui ont permis de fabriquer une petite multinationale [Hightech Payment Systems, spécialisée dans les logiciels de monétique, NDLR] dans un domaine extrêmement pointu.
Quel bilan tirez-vous de votre mandat à la tête de la CGEM ?
Il est difficile pour moi de dresser un bilan personnel. Ce que j’ai vécu a été très intense, j’ai beaucoup appris, j’ai eu une vue panoramique sur les différents secteurs et le plaisir de travailler avec les différentes fédérations de la CGEM, qui ont adhéré à la mise à niveau de nos statuts et de notre action. En outre, le partenariat public-privé qui caractérise aujourd’hui le Maroc nous a permis des avancées considérables.
Parlez-nous de ce partenariat gagnant public-privé…
Le secret du Maroc aujourd’hui, c’est qu’il y a structurellement un changement générationnel qui s’est opéré. Regardez l’âge moyen des ministres, des présidents de banque, des capitaines d’industrie, animés d’une nouvelle envie de travailler ensemble. Il y a une authentique concertation, une véritable complémentarité entre le secteur public et le privé avec des résultats probants. Plus personne aujourd’hui ne conteste l’intérêt de ce partenariat. Nous avons réussi à trouver une solution maroco-marocaine, une façon de travailler respectueuse, chacun a trouvé sa place en bonne intelligence.
J’éprouve une grande satisfaction dans cette alchimie partagée entre le patronat et les deux derniers gouvernements de Messieurs Jettou et El Fassi. Cette complicité, ce côte à côte et non un face à face, se retrouve également dans la volonté de faire évoluer l’économie marocaine.
La relation avec les organismes sociaux a été cordiale et intéressante. Il y a eu un changement de mentalité tant au niveau du patronat que des partenaires sociaux. Je reste fier et confiant dans l’avenir, il y a eu des changements économiques au Maroc qui sont irréversibles.
Pensez-vous que cette évolution se décline au niveau régional ?
Dans le Maghreb, il y a une belle prise de conscience de nous tous, présidents des patronats, et des opérateurs, de la nécessité d’un Maghreb économique uni et renforcé. Ce sont des opérateurs maghrébins non virtuels qui agissent aujourd’hui sur le volet énergétique ou dans le secteur du bâtiment. Et dans les domaines bancaires et des assurances, des opérations visibles seront également bientôt à l’œuvre. Notre souhait est de partir de modèles, de prototypes, et non pas de concepts.
Vous semblez toujours passionné. Dans ces conditions, pourquoi ne briguez-vous pas un nouveau mandat à la tête de la CGEM ?
Dès le premier jour, j’ai annoncé que je ne ferai qu’un seul mandat. C’est un grand sacrifice que de laisser ses propres affaires pour une mission comme celle de la direction du patronat. Soit cette fonction est honorifique et elle peut durer très longtemps, soit elle est opérationnelle et donc très usante. La présidence de la CGEM, c’est 80 % de mon temps. C’est une vraie charge de travail. Il faut savoir passer le témoin, c’est ma conviction.
Qu’allez-vous faire maintenant que vous avez du temps ? Quelles orientations stratégiques allez-vous donner à votre groupe Saham ?
J’ai délaissé mon groupe, il a besoin de moi et j’ai besoin d’être aux côtés de mes collaborateurs.
Mais j’ai aussi des projets qui ne sont pas tous dans le business. Le Maghreb, j’y crois beaucoup et il y a beaucoup de choses à faire. Parmi ces outils d’intégration, il y a l’UME, l’Union maghrébine des entrepreneurs, une structure qui doit être une plate-forme d’échanges.
Je veux être au service de mon pays et je m’intéresse aussi à la représentation de l’économie marocaine au niveau international. À travers la fondation Saham, j’ai créé le fonds d’investissement Sherpa, dédié à accompagner les personnes qui ont un esprit d’entrepreneur. « L’audace d’entreprendre » est d’ailleurs la devise de Saham. Il faut sélectionner des projets, c’est extrêmement enrichissant. C’est quelque chose qui me passionne, je rencontre des gens exceptionnels, qui ont la rage d’entreprendre.
J’ai également des projets culturels. Je suis musicien, luthiste. J’aimerais ressusciter le savoir-faire des luthiers marocains. Je travaille aussi à la création d’un musée d’art maghrébin, puis africain, à Casablanca, en partenariat avec la municipalité. C’est un projet qui me tient vraiment à cœur.
Et une carrière politique ?
La politique, jamais ! Il faut des compétences pour ça et je ne les ai pas.
Par malice, vous aimiez souvent vous présenter comme le « Laurence Parisot marocain », la présidente du Medef, le patronat français. Pourquoi cette comparaison ?
Laurence est également une personne engagée dans ce qu’elle fait. J’ai beaucoup de respect pour elle. Elle a son grain de folie car, pour réussir cette mission, il faut être un peu décalé. Comme à elle, on peut me reprocher une certaine agressivité, d’être parfois cassant, mais ne rien faire, c’est le meilleur moyen de faire un « mandat mignon ».
Que vous inspire la polémique sur le salaire des grands patrons aux États-Unis et en Europe ? Un tel débat est-il opportun au Maroc ?
Le salaire, ce n’est pas un tabou chez nous, ni un sujet d’actualité. Je n’ai pas connaissance de salaires délirants. Comme pour les subprimes, le Maroc n’a pas été contaminé par les stock-options et les parachutes dorés.
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