François Bayrou, ou la quadrature du centre

Le leader du Modem tire à boulets rouges sur Nicolas Sarkozy. Son objectif : séduire suffisamment d’électeurs socialistes au premier tour de la présidentielle de 2012 pour être présent au second et l’emporter enfin. Un pari à l’issue incertaine, mais a-t-il un autre choix ?  

Publié le 26 mai 2009 Lecture : 6 minutes.

« Ségolène Royal, connais pas ! » Ce fut la seule réponse de François Bayrou quand on lui demanda s’il avait envoyé son livre Abus de pouvoir à sa rivale de 2007. Dénégation ô combien révélatrice dans sa contre-vérité. Bayrou et Royal ont au moins un point commun : parce qu’ils ne supportent pas plus l’un que l’autre d’avoir perdu l’élection présidentielle, ils refusent toujours d’admettre leur échec, ce qui explique leur égale obsession de revanche.

À l’inverse, Bayrou a adressé un exemplaire de son ouvrage à François Hollande, parce qu’il « l’aime bien ». L’aime-t-il autant depuis que l’ancien premier secrétaire du PS envisage à son tour d’entrer dans la course présidentielle en 2012 ? La réponse est oui, s’il est vrai qu’en politique les ennemis de mes ennemis sont mes amis.

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Bayrou ne convainc guère quand il affirme que son livre, qualifié par toute la presse de « pamphlet » ou de « brûlot », ne traduit aucune animosité envers le chef de l’État. Seul un ressentiment implacable a pu inspirer cette litanie jubilatoire d’accusations et de férocités, récompensée par un immédiat succès de librairie. Combien de ses amis l’ont entendu fulminer quand Nicolas Sarkozy apparaît à la télévision : « Je ne me pardonnerai jamais d’avoir laissé entrer ce type-là à l’Élysée » ?

« Tu suintes la haine quand tu parles de Nicolas », lui a reproché le ministre Brice Hortefeux. « Une détestation tripale qui rejoint son intérêt politique », confirme Hervé Morin, qui fut longtemps son ami et son compagnon d’armes avant que le mouvement centriste ne se coupe en deux : le Nouveau Centre (NC) créé par le ministre de la Défense pour arrimer le centre droit à la majorité UMP ; et le Modem que Bayrou a au contraire progressivement entraîné dans l’opposition de centre gauche, votant la censure socialiste contre le gouvernement Villepin, puis refusant la confiance à François Fillon.

La plupart des commentateurs rapprochent Abus de pouvoir du Coup d’État permanent écrit par François Mitterrand en 1964 et dédaigneusement récusé par de Gaulle d’une boutade, à l’époque véridique : « Quel coup d’État ? Il n’y a plus d’État ! » La comparaison s’impose, bien que l’État ait depuis retrouvé toute sa suprématie au point d’être qualifié de « gaulliste » ou de « socialiste » au gré des majorités électorales successives. L’argument des oppositions est chaque fois le même : le parti dominant s’approprie la République avec le pouvoir.

C’est de nouveau le procès de fond qu’instrumente François Bayrou : la vraie « rupture » sarkozienne est d’avoir abandonné le modèle républicain français afin d’imposer le modèle néolibéral américain. De là découlent toutes les tares du régime : idéologie de l’argent, précarisation de la classe moyenne, aggravation des inégalités sociales, mort de l’université, démantèlement des services publics, confiscation des institutions avec un Parlement bafoué, un gouvernement effacé et des médias sous contrôle.

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Après un tel bilan, où ne trouvent grâce à ses yeux ni le succès de la présidence européenne française ni même la contribution décisive de Sarkozy à la convocation, puis aux décisions, du G-20 de Londres, les défenseurs du chef de l’État ont beau jeu d’objecter à l’auteur-procureur la célèbre formule de Talleyrand : ce qui est excessif est insignifiant. Maurice Leroy, le porte-parole du Nouveau Centre, doute qu’Abus de pouvoir, malgré son retentissement, persuade beaucoup de Français qu’ils vivent en dictature. Éric Woerth, un des ministres qui « montent » au firmament capricieux de l’Élysée, remarque que Bayrou « est passé du centrisme à l’égocentrisme ». C’est vrai, mais c’est aussi inévitable qu’indispensable dans la logique de ce qu’on pourrait appeler la quadrature du centre. Le même reproche a été adressé à tous ceux, et ils sont nombreux, qui ont essayé avant lui de faire mentir l’arithmétique majoritaire par le miraculeux effet de leur équation personnelle.

Dans le mot centre, il y a « entre ». Or il ne peut exister d’entre-deux dans un système conçu et organisé pour verrouiller toute velléité de troisième voie et privilégier l’affrontement permanent entre gauche et droite. On connaît la formule : au premier tour, les électeurs choisissent ; au second, ils éliminent. Si diversifié soit le choix au premier, le second assure inévitablement la victoire à celui des candidats qui aura su coaliser sur sa personne et son image les électeurs de son camp plus tous ceux qui, sans se reconnaître en lui, le préfèrent encore à son adversaire. 

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Entre deux maux, le moindre

Tel fut le calcul de François Bayrou en mai 2007 : arriver en deuxième position au premier tour, pour l’emporter au second grâce à l’apport, hétéroclite mais décisif, des « tout sauf Sarkozy ». Pour réussir, il supposait que des socialistes en assez grand nombre, persuadés de l’échec de Royal et choisissant entre deux maux le moindre, voteraient en sa faveur dès le 5 mai pour le mettre en position de battre à coup sûr Sarkozy lors du scrutin final. La tentative a échoué parce que la fidélité des sympathisants de gauche à leur camp, nourrie de l’espoir d’une mobilisation in extremis victorieuse, a été plus forte que la tentation d’une manœuvre politicienne incertaine et, à leurs yeux, contre nature.

C’est pourtant la même stratégie que reprend Bayrou, avec une foi plus ardente que jamais dans ses chances : comme naguère Mitterrand, il entend se poser en opposant principal, apparaître plus menaçant pour le président sortant qu’un PS affaibli par ses dissensions et, demain peut-être, supplanté par une extrême gauche non moins éclatée. â¨Ce que décrypte l’un de ses stratèges : « Il veut dépasser la gauche en débordant le PS. »

Dans les médias, il n’hésite pas à dévoiler ses batteries et explique qu’en 2012, le premier tour sera commandé par le second : « La question sera alors : qui peut battre Sarkozy ? Réponse : je suis le seul. » Éloquente discordance des temps ! Persuadé de réussir le coup manqué en 2007, il précise sa tactique : faire d’une pierre deux coups en obtenant l’appui d’une partie de la gauche, parce qu’il sera seul capable de battre Sarkozy, et d’une partie de la droite, parce qu’il sera seul capable de battre simultanément la gauche. « Quand je serai le favori, tout le monde viendra me soutenir. » Comment devenir ce « favori » ? Il ne doute pas d’apparaître comme le rassembleur de la République, à partir d’un étonnant autoportrait en négatif : « Je ne suis pas étatiste, pas capitaliste, pas socialiste, simplement humaniste. » Simplicité ou simplisme ?

Avec la même conviction impavide, il est sûr de se détacher des autres candidats « qui ne pourront que favoriser Sarkozy en faisant diversion ». 

Episode burlesque

En attendant, il s’interdit toute tentative de rapprochement : pas de programme commun ni d’accord de gouvernement « avec des appareils autour de la table ». C’était déjà sa position en 2007. On se rappelle le burlesque épisode de l’aubade nocturne de la rue Clerc, quand il refusa d’ouvrir la porte de son immeuble parisien à Ségolène Royal. Sa rivale venait pourtant lui offrir rien de moins que le poste de Premier ministre s’il s’engageait à faire voter pour elle au second tour.

Les socialistes n’ont garde de l’oublier. « C’est avec nous que se fera l’alternance », proclame Hollande, tout en proposant à Bayrou « une clarification des convergences et des divergences » pour en tirer « éventuellement » les conclusions. Martine Aubry n’est pas moins catégorique : « Vous dénoncez, mais que proposez-vous ? » lance-t-elle à l’adresse de Bayrou en rappelant que ses représentants « ultralibéraux » à Strasbourg votent à l’inverse de ses positions à Paris. « Lorsqu’il aura choisi, conclut-elle, et après que nous aurons réussi l’essentiel en réunissant la gauche, nous pourrons discuter. »

Tel est, aujourd’hui comme hier, le principal obstacle sur la route encore longue et incertaine que François Bayrou s’est tracée vers le pouvoir suprême.

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