En attendant le combat des chefs

Le 29 novembre, les Ivoiriens seront appelés à choisir leur président. Trois poids lourds se partageront leurs suffrages. Comment abordent-ils cette campagne, quels sont leurs atouts, leurs handicaps ? Un premier état des lieux à six mois de l’échéance, et un constat : rien n’est joué.

Publié le 25 mai 2009 Lecture : 9 minutes.

Peu importe finalement la date exacte du scrutin. Aujourd’hui, le processus est en route et rien ne semble devoir sérieusement le compromettre. Il est temps pour les partis politiques et leurs mentors de fourbir leurs armes et de s’apprêter au tant attendu combat des chefs. 

Gbagbo et le FPI à l’épreuve du pouvoir

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S’il y a un exercice dans lequel Laurent Gbagbo excelle et domine ses concurrents, c’est bien la harangue politique. À l’aise par le passé dans les campagnes électorales, au contact des militants, il a, bien mieux qu’un Bédié ou un Ouattara, l’art de soulever les foules dans les meetings politiques, de trouver la formule qui fait mouche et de jouer avec virtuosité sur les cordes sensibles. Mais ce charisme indéniable ne suffira pas.

L’épreuve du pouvoir n’a pas fait que du bien au Front populaire ivoirien. La gestion des affaires a ébranlé la cohésion du parti aujourd’hui tiraillé entre plusieurs personnalités qui se battent autant pour des idées que pour conserver leurs privilèges.

Affi N’Guessan, à la tête du parti, semble finalement ne tenir qu’une partie réduite des troupes. Il n’a pas en tout cas l’oreille de Simone Gbagbo, la puissante première dame, présidente du groupe parlementaire et militante historique du parti. Or cette dernière n’est pas du genre à lâcher le combat politique. Elle a des ambitions, pour le FPI et pour elle-même. Et même si les spéculations vont bon train à Abid­jan sur l’état réel des relations avec son époux, elle sera à ses côtés pour la campagne.

Reste quelques fortes personnalités, comme Paul-Antoine Bohoun Bouabré, ministre du Plan, Désiré Tagro, ministre de l’Intérieur, ou Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale. Ce dernier a été largement marginalisé après avoir dénoncé la corruption au sein même de son camp et s’être opposé à l’accord avec la rébellion. Il se fait de plus en plus rare à Abid­jan, et va très régulièrement rejoindre sa famille, installée au Ghana.

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Pour cette campagne, il faudra donc d’abord resserrer les rangs et mettre en sourdine divisions et intérêts personnels. Pour le moment, Gbagbo ne s’est pas choisi de directeur national de campagne et n’est pas officiellement entré dans la course, ce qui ne l’empêche pas de travailler à sa réélection.

Le chef de l’État s’est ainsi attelé à élargir sa base électorale avec, en premier lieu, une ouverture au pays baoulé. Alors que son prédécesseur, Henri Konan Bédié, avait négligé Yamoussoukro au profit de Daoukro, Laurent Gbagbo a repris le projet du père de la nation de transférer la capitale et lancé des grands travaux dans le village d’Houphouët-Boigny. Il a également été très attentif à des projets comme l’électrification rurale ou l’aménagement routier. Cela suffira-t-il à lui assurer le vote des Baoulés ? La partie, en tout cas, est loin d’être gagnée.

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Une autre stratégie a consisté à recruter parmi les cadres des deux autres grands partis, le RDR et le PDCI. Quelques personnalités ont rejoint le chef de l’État, comme Laurent Dona Fologo, ou son directeur de cabinet, Paul David N’Zi, le directeur général de Fraternité matin, Jean-Baptiste Akrou, ou Apollinaire N’Dri, le gouverneur de Yamoussoukro. Côté RDR, Zémogo Fofana, Ali Keita et Jean-Jacques Bechio ont fait allégeance. Là aussi la tactique pourrait finalement se révéler plus coûteuse que prometteuse. Pour chaque « transfuge » en effet il faut payer « une prime de débauchage », et trouver un poste, poste qui échappe à son propre camp.

Mal élu en 2000, Laurent Gbagbo ne pourra cette fois se faire porter au pouvoir par la rue. Il lui faut gagner par la voie des urnes, un exercice finalement nouveau pour lui. Il a quelques atouts à tirer de la difficile situation dans laquelle se trouve son pays. Chantre du nationalisme ivoirien, il incarne aujourd’hui une certaine idée de l’indépendance. Il a mené un inédit bras de fer avec la France, se présente comme celui qui a repoussé des rebelles commandités de l’extérieur. Bref, « Gbagbo le patriote » a peu à peu remplacé « Gbagbo le socialiste » et pourrait électoralement en tirer quelques profits. Reste le comportement des « refondateurs », soupçonnés de s’être considérablement enrichis pendant leur passage au pouvoir et dont le train de vie agace une population de plus en plus pauvre. 

Premier test grandeur nature pour Ouattara

Quelle est réellement la popularité du docteur Alassane Dramane Ouattara ? Depuis dix ans que cet homme défraie la chronique politique et qu’il est au centre de la bataille pour le pouvoir, il n’a jamais eu l’occasion de se confronter au seul baromètre qui vaille : le suffrage universel.

L’ancien Premier ministre est longtemps passé pour un austère gestionnaire, étranger aux réalités locales pour avoir passé trop de temps dans les institutions internationales. Sa base était constituée de quelques cadres piqués à un PDCI encore tout-puissant après la mort d’Houphouët. Il aura suffi qu’Henri Konan Bédié s’acharne à le disqualifier, au prétexte de l’ivoirité, concept qui s’est ensuite insidieusement répandu dans le discours politique général, pour faire d’ADO un martyr, un symbole de la cause des Nordistes, désormais soupçonnés de « nationalité douteuse ». Ce débat, pourtant officiellement enterré, pourrait resurgir au cours de la campagne, l’argument ayant encore cours dans les coulisses.

Si Ouattara doit finalement ses premiers succès à Bédié, la donne a depuis bien changé. Son parti, le Rassemblement des républicains, n’est plus un simple fan-club. Le RDR a démontré à travers les élections locales qu’il avait largement étendu son implantation, notamment dans les villes. Avec organisation, rigueur et détermination, ses cadres ont bien préparé le terrain.

Emprisonnés, torturés, traqués, les cadres et les militants du Rassemblement des républicains ont payé cher leur engagement derrière Alassane Ouattara. De même les populations du Nord, qui n’étaient pas forcément pro-RDR, mais qui, à force de brimades et de tracasseries en tout genre, se sont, dans leur grande majorité, ralliées à sa cause.

Comme ses adversaires, le PDCI et le FPI, le parti de Ouattara a dû travailler à élargir sa base et sortir des fiefs traditionnels. Difficile d’évaluer aujourd’hui, aussi bien pour le RDR que pour les autres, l’impact de cette chasse sur « les terres des autres ».

Une chose est sûre, c’est dans les zones dites « RDR » que « l’enrôlement » – comme on appelle en Côte d’Ivoire le recensement électoral – a été le plus massif. Le parti a encouragé les militants à aller s’inscrire, les a accompagnés dans ce processus. Les habitants du Nord, fatigués de se voir sans cesse soupçonnés d’être des étrangers, sympathisants du RDR ou non, ont participé massivement à l’exercice avant d’obtenir enfin des pièces d’identité incontestables.

Le temps cependant n’a pas forcément joué en faveur du « brave Tché », surnom franco-dioula signifiant le « courageux » qu’utilisent ses partisans. À tort ou à raison, ses ennemis lui imputent la responsabilité du coup d’État de décembre 1999 et le soupçonnent d’être derrière la rébellion de 2002. Même si l’image de sage fonctionnaire international lui sied mieux que celle de chef de guerre. Fatigués des tensions et de la violence, certains électeurs pourraient le sanctionner.

En revanche, il a conservé sa réputation de gestionnaire rigoureux, d’adepte de la bonne gouvernance et d’ami des grandes institutions internationales. Le comportement de certains des ministres RDR, actuellement au gouvernement et qui ont ostensiblement amélioré leur train de vie à l’heure où toute la Côte d’Ivoire se serre la ceinture, pourrait cependant rejaillir sur Ouattara, auquel il pourrait être reproché de ne pas tenir ses troupes.

Le 9 mai, habillé en pantalon de toile multipoche, tee-shirt et casquette, Alassane Ouattara, 67 ans, a tenu un premier meeting. Pas n’importe où. Sur la place Ficgayo de Yopougon, en plein fief FPI, dans l’un des points de rassemblement des « patriotes ». Le public était au rendez-vous et la rencontre s’est déroulée sans incident. Un tel événement aurait été impossible il y a encore deux ou trois ans. Un signe d’apaisement très important. 

Au PDCI : faire du neuf avec du vieux

Henri Konan Bédié est à la fois une chance et un handicap pour son propre camp, le parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Il est un candidat par défaut et n’est pas forcément le mieux placé pour remporter la bataille.

Âgé de 75 ans, l’ancien chef de l’État n’incarne pas le changement, le désir de renouveau que pourrait attendre la jeunesse ivoirienne. Or cette frange de la population constitue une part importante de l’électorat. Distant, coupé des réalités profondes du pays quand il était chef de l’État, soupçonné d’avoir couvert de nombreuses irrégularités financières, il avait nettement perdu de sa popularité. Son entêtement à ne pas vouloir céder aux revendications des soldats mutins dès les premières heures de la rébellion en décembre 1999 a signé sa perte.

Persuadé qu’il est toujours le détenteur légitime du pouvoir, il était pourtant impensable pour le « Sphinx de Daoukro », son village natal, de passer la main. Il pense incarner la légalité et ne conçoit pas de se retirer tant que justice ne lui aura pas été rendue.

Cette détermination à récupérer le pouvoir qui lui a été arraché en décembre 1999 a redonné à Bédié une énergie et une combativité qu’il n’avait pas lorsqu’il dirigeait la Côte d’Ivoire. Au point de reprocher à son « allié » au sein de la famille houphouétiste, Alassane Ouattara, de ne pas être suffisamment agressif quand il critique l’actuel président. Depuis des mois, il est en campagne, inépuisable, sillonnant le pays à la rencontre des électeurs.

Il n’empêche. Pour Henri Konan Bédié, la reconquête du pouvoir est extrêmement difficile, et de nombreux cadres du PDCI, qui se gardent bien d’en parler ouvertement, regrettent qu’il n’ait pas choisi de prendre sa retraite.

Choisir Bédié pour candidat est pourtant la seule façon, pour le moment en tout cas, de maintenir une certaine cohésion dans les troupes. Incapable, comme nombre de partis politiques, de se projeter dans l’après-Bédié, le PDCI n’est pas prêt pour la succession. Ce n’est néanmoins pas faute de cadres compétents. « Il y a une règle non écrite qui veut que l’on attende son tour. Il y a des générations à respecter, et on ne brûle pas les étapes », explique un quadra, bien introduit dans le parti.

Résultat, les « jeunes », c’est-à-dire les moins de 65 ans, doivent prendre patience et n’osent pas manifester leurs ambitions. Certains ont pourtant déjà bonne presse, comme le discret et efficace ministre des Infrastructures, Patrick Achi, ou le ministre de la Santé, le docteur Rémi Allah Kouadio.

Parmi la classe d’âge qui pourrait dès à présent prétendre au plus haut poste, il y a déjà pléthore de personnalités en vue, comme l’ex-Premier ministre Charles Konan Banny, voire de plus anciens ministres, comme Essy Amara, Ouassenan Koné ou Émile Constant Bombet. Cependant, il n’est pas sûr que cette abondance ne soit pas synonyme de profondes divisions.

Le parti, qui a encore de généreux donateurs et donc quelques fonds, peut s’appuyer sur son très ancien réseau à travers le pays, même si, au fil des ans, la domination du PDCI sur le monde rural tend à s’estomper. Pour le moment, le PDCI serre donc les rangs, derrière Bédié, travaillant avec sérieux à la victoire en attendant une nécessaire recomposition interne pour les échéances à plus long terme. 

Pas de pronostic

Rien n’est joué donc et personne aujourd’hui ne peut se risquer à un pronostic réaliste. Chacun des trois partis, et leurs trois candidats, a encore six mois pour faire la différence. Point positif, aucun des camps ne veut désormais être tenu pour responsable de violences ou de manœuvres dilatoires. Celui qui fera dérailler le processus électoral aura déjà perdu. Les Ivoiriens n’attendent maintenant qu’une chose : que la campagne commence pour de bon et que, enfin, le meilleur gagne… 

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