La méthode Kabila

Sa façon de travailler, son entourage, sa discrétion, ses rares apparitions… le chef de l’État congolais aime à cultiver les mystères. Pleins feux sur le plus jeune et le plus indéchiffrable des présidents africains.

Publié le 25 mai 2009 Lecture : 7 minutes.

Il y a le premier Joseph Kabila avec ce visage impassible, aux sourires à peine esquissés et aux éclats de rire aussi rares que les coups de colère. C’est celui des cérémonies officielles et des moments graves, de l’inauguration du chantier d’un hôpital à Kinshasa, début mai, ou d’un discours à la nation en pleine offensive dans le Nord-Kivu du chef rebelle Laurent Nkunda, en octobre dernier. Plus rare et moins visible, l’autre « Joseph » se réserve pour les intimes et les happy few invités dans sa ferme, à 120 kilomètres de la capitale, où il se rend le plus souvent en hélicoptère.

Cet homme-là sait plaisanter avec une vieille connaissance sur la solitude du pouvoir qu’il connaît bien jeune, à presque 38 ans, taquine un conseiller sur son embonpoint, fait des parties de jeux vidéo avec sa fille de 8 ans, Sifa, et satisfait un goût ancien pour la vitesse par de longs tours en quad ou à moto, de préférence sans casque.

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Mais en jeans comme en costume, il y a une chose que le président congolais ne quitte jamais : cette épaisse enveloppe de mystère qui tout à la fois intrigue et inquiète, parce que d’elle dépend le destin de l’un des pays les plus riches et les plus peuplés d’Afrique, dont le moindre craquèlement peut se répercuter chez l’un de ses neuf voisins.

Après avoir été, pendant cinq ans, un chef d’État sous surveillance placé là par les vicissitudes de l’Histoire – l’assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila, le 16 janvier 2001 –, celui qui fut un temps le plus jeune dirigeant au monde a obtenu des urnes toute la latitude requise pour grimper à la tribune et gouverner au grand jour. C’était en octobre 2006. Bientôt trois ans après son élection, rompant avec l’extravagance à laquelle ses prédécesseurs avaient habitué les Congolais, il mesure ses apparitions, ne goûte pas les mises en scène, mûrit en silence ses décisions jusqu’à l’extrême limite, cache ses collaborateurs les plus influents et, finalement, maintient le secret sur le mode d’emploi de la machine de pouvoir qu’il a assemblée. Quitte à alimenter les rumeurs en tout genre, galopantes et cinglantes dans une arène politique déjà orientée vers la prochaine présidentielle, en 2011. 

Discours au compte-gouttes

« Introverti », « taciturne », « secret » : ces mêmes adjectifs reviennent, y compris dans la bouche de ceux qui le connaissent de près. Ayant grandi et fait son apprentissage militaire dans l’ombre d’un père envahissant, l’ancien chef des « kadogos » (les gamins) de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) n’a pas perdu sa réserve avec l’exercice du pouvoir. Pour l’opposition, dont une partie de l’argumentaire consiste à déplorer la rareté des discours et des bains de foule du « chef », c’est là le signe d’une faiblesse, et même, selon un cadre du Mouvement de libération du Congo (MLC), d’une « peur » de se confronter aux électeurs. Pour le clan Kabila, cette discrétion est au contraire une qualité. « J’admire son calme, témoigne un député de la majorité. Des tourmentes, il en a connu et il en connaît : les affrontements en 2007 entre sa garde et les hommes de Jean-Pierre Bemba [le président du MLC arrivé deuxième à la présidentielle], et aujourd’hui la crise économique et la guerre dans l’Est. Pourtant, il ne perd jamais son sang-froid. »

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Mais la réserve donne parfois l’impression du vide : c’est ce que l’opposition et même certains au sein de sa majorité reprochent à Joseph Kabila. « Quelle idée du Congo le président porte-t-il ? » s’interroge un membre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), au pouvoir. Le chef de l’État a fait de la réalisation des « cinq chantiers » le défi de son quinquennat : reconstruire les infrastructures de transport, rendre les systèmes de santé et d’éducation accessibles, donner un toit décent à ceux qui n’en ont pas, instaurer des réseaux de distribution d’eau et d’électricité dignes de ce nom, créer des emplois. Consensuel et inspiré des recommandations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), ce programme a créé l’espoir. Mais en cette période cruciale de mi-mandat et alors que l’état d’avancement des travaux, herculéens, ne laisse pas présager que le pari sera remporté, on reproche au patron de manquer de ferveur pour parvenir à ses fins, de ne pas savoir attiser la flamme qui mobiliserait les Congolais. « Il manque d’énergie », selon un membre du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). « Il tarde à prendre des décisions », se plaint un homme d’affaires, citant la lenteur de la révision des contrats entre l’État et les entreprises minières et de l’attribution des permis d’exploitation des hydrocarbures.

Dans un pays où, pendant près de trente ans, pouvoir et théâtralité sont allés de pair, une partie des Congolais et de la classe politique aimeraient voir un Joseph Kabila patriarche, mythique, voire déifié. Mais l’homme n’est pas porté sur le spectacle et, d’ailleurs, comment égaler les monstres sacrés en la matière qu’ont été Mobutu Sese Seko et Laurent-Désiré Kabila ?

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Son registre est autre, fait d’écoute et d’accessibilité. Ses conseillers peuvent le joindre directement au téléphone – quoique, bien sûr, il ne « prenne » pas toujours – et ne tremblent pas à l’idée de lui apprendre les mauvaises nouvelles. « Il sait tout entendre », confie l’un d’entre eux. Le « boss » met ses interlocuteurs à l’aise, se faisant volontiers tutoyer, appelant Untel par son surnom et, en voyage officiel, invitant dans sa suite les membres anonymes de sa délégation pour bavarder avec eux. Réputé simple, il ne mâche pas pour autant ses mots. Un ancien conseiller se souvient d’un huis clos particulièrement tendu : « Il nous a dit “nous sommes trois dans cette salle. Si l’information sort, je sais d’où ça vient et je vous mets en prison”. »

Tendre, celui qu’on a longtemps appelé le « fiston » ? Pas exactement. L’homme sait étonner. « Il faut se méfier de l’eau qui dort », résume un journaliste. Son audace la plus récente, c’est l’accord passé dans le plus grand secret avec le Rwanda, révélé en janvier dernier. Objectif : mener une opération militaire conjointe dans l’est du pays pour y arrêter les éléments des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui ont constitué le prétexte de la guerre du mouvement rebelle de Laurent Nkunda, aujourd’hui détenu chez le voisin rwandais en attente de son extradition. Inattendue – y compris par certaines chancelleries –, tout sauf populaire, cette alliance avec Kigali, considéré en RD Congo comme l’origine des maux du Nord- et du Sud-Kivu, n’a pas permis de neutraliser l’ensemble des FDLR. Mais à ses détracteurs, Joseph Kabila a montré qu’il savait prendre des risques et produire des « ondes de choc », selon l’un de ses collaborateurs. Le remaniement ministériel de mi-mandat qui s’annonce pourrait lui aussi donner lieu à des surprises. 

Remaniement ministériel annoncé

Ce Kabila-là, les Occidentaux l’ont découvert à leurs dépens. FMI, Banque mondiale, États-Unis et Union européenne ne s’attendaient pas à la signature, en 2007, des « contrats chinois ». Les accords prévoient qu’en échange d’un prêt de 9,2 milliards de dollars (versé en trois tranches) Kinshasa cède à Pékin 10,6 millions de tonnes de cuivre et 620 000 de cobalt. Ils font aussi de la Chine l’un des partenaires économiques privilégiés de la RD Congo, Pékin arrachant ainsi la place aux alliés traditionnels de l’Ouest. Leurs pressions sont fortes pour que le pays renonce à son choix. Du côté du FMI, on avance que le prêt chinois équivaut à une nouvelle créance, et qu’il compromet donc l’annulation de la colossale dette extérieure congolaise, de près de 10 milliards de dollars. En sourdine, on rappelle aussi au chef de l’État qu’il a obtenu tout le soutien occidental dès son arrivée au pouvoir, puis pour son élection. Mais Joseph Kabila persiste, déclare à qui veut l’entendre qu’il n’est pas l’obligé de l’Occident et tire à boulets rouges sur la conditionnalité de l’aide. « Il ne supporte pas qu’on lui dicte ce qu’il doit faire », résume un proche. Le fils timide de Laurent-Désiré joue les émancipés.

Mais il n’a pas encore donné naissance à la nouvelle génération d’hommes politiques attendue pour bâtir ce « Congo nouveau » promis pendant la campagne présidentielle. 

Majorité présidentielle : un puzzle fragile

Au sein du gouvernement, Joseph Kabila doit compter avec son parti, le PPRD, mais aussi avec des créatures qui ne sont pas tout à fait les siennes : notamment d’anciens cadres du MLC passés dans le camp du pouvoir – dont le ministre de l’Environnement, José Endundo, et celui du Plan, Olivier Kamitatu –, des membres de l’Union des démocrates mobutistes (Udemo) et du Parti lumumbiste unifié (Palu), qui détient la primature avec Adolphe Muzito conformément à l’accord passé entre les deux tours de la présidentielle.

L’Alliance de la majorité présidentielle (AMP), la plate-forme de partis qui a soutenu Joseph Kabila lors de son élection, est un puzzle fragile où se disputent les ambitions. Provoqué par des divergences de vues sur l’opération conjointe avec le Rwanda, le divorce entre le chef de l’État et Vital Kamerhe, l’ancien président de l’Assemblée nationale contraint à la démission le 25 mars dernier, l’a montré.

Est-ce donc pour cause de méfiance que bien des dossiers sont traités au cabinet présidentiel, et parfois même par des éminences grises qui n’occupent aucun poste (voir ci-dessous) ? Reste qu’occultes ou officiels, les conseillers du président, ainsi que Joseph Kabila lui-même, ont une obligation de résultat envers les Congolais. « Une promesse est une dette, aurait un jour lancé le chef de l’État à un responsable européen. Si par deux fois quelqu’un ne tient pas la promesse qu’il vous a faite, cela devient une faute grave. »

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