Aung San Suu Kyi
Prix Nobel de la paix 1991, opposante birmane
Un amoureux transi ? Un excentrique ? Un illuminé convaincu d’être investi d’une mission divine ? John William Yettaw est une véritable énigme. Cet Américain mormon, vétéran de la guerre du Vietnam, âgé de 53 ans s’est invité, le 3 mai, dans une villa des bords du lac Inya, après avoir traversé l’étendue d’eau à la nage sur près de 2 000 mètres. Si la performance sportive est banale, la principale occupante de ladite villa l’est moins : Aung San Suu Kyi, opposante à la junte militaire au pouvoir en Birmanie, Prix Nobel de la paix 1991, qui a passé quinze des vingt dernières années en détention.
Les motivations de Yettaw, arrivé armé d’une… Bible, sont obscures. Il passe près de quarante-huit heures avec la captive, puis repart comme il est venu, à la nage, en utilisant des palmes de fortune et une bonbonne en plastique pour l’aider à flotter. L’homme se fait cueillir par la police en sortant de l’eau. Une aubaine pour le régime, qui en profite pour lancer de nouvelles poursuites contre la « Dame de Rangoon » pour violations des restrictions liées à son assignation à résidence. L’affaire provoque l’émotion de la communauté internationale. Chancelleries, ONG et médias se mobilisent pour dénoncer le procès et réclamer la libération de l’opposante.
comme Gandhi, Martin Luther King ou Mandela, Aung San Suu Kyi est animée d’une détermination sans faille qui contraste avec sa frêle silhouette. Elle n’a jamais faibli face aux multiples pressions d’un pouvoir autiste, sourd à toute pression extérieure et impitoyable avec ses contradicteurs. Son parcours, la noblesse de la cause qu’elle défend, ses capacités de résistance, son charisme ont fait d’elle une véritable icône mondiale du combat pour les libertés. Fille du général Aung San, artisan de l’indépendance, elle voit le jour le 19 juin 1945 à Rangoon. Elle n’a que 2 ans quand son père est assassiné. Elle passe son adolescence en Inde, puis s’installe en Grande-Bretagne pour suivre des études de philosophie, d’économie et de sciences politiques au St Hugh’s College d’Oxford, avant de décrocher un doctorat (PhD) à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres.
En 1988, elle retourne à Rangoon au chevet de sa mère agonisante, abandonnant époux et enfants à Londres. La même année, l’armée réprime brutalement des manifestations populaires contre la dictature – le pays est dirigé par une junte militaire depuis 1962. C’est là que Suu Kyi prend conscience de la misère effroyable dans laquelle vivent ses concitoyens et qui résulte du pillage en règle des richesses nationales (pétrole et gaz) par le pouvoir. Révoltée, elle décide de s’engager. Ses premières prises de parole dans les meetings, sa prestigieuse ascendance et son courage lui valent très vite l’affection de ses compatriotes. Suu Kyi devient la première menace pour la junte. Arrêtée en 1989, elle alterne depuis séjours en prison, assignation à résidence et brèves périodes de liberté. Elle reçoit le prix Nobel, en 1991 ? Elle est empêchée de se rendre à Oslo pour recevoir sa prestigieuse distinction. Son époux, un militant britannique de la cause tibétaine, est en phase terminale d’un cancer ? Il est interdit de visite à la recluse. Les généraux au pouvoir proposent à Suu Kyi un billet d’avion pour se rendre au chevet de son mari… à condition de ne pas revenir. Suu Kyi refuse, préférant sacrifier sa liberté plutôt que de renoncer à son idéal.
Plus ses geôliers rendent ses conditions de détention difficiles, plus l’aura populaire de la recluse de Rangoon grandit. Face à un des régimes les plus barbares de la planète, Suu Kyi oppose une détermination élégante. Un combat qui séduit les chancelleries et la population. Le visage de Suu Kyi et son sourire triste deviennent mondialement connus. Origines aristocratiques, brillant cursus, parcours semé d’épreuves douloureuses, noblesse de l’engagement. Suu Kyi concentre tous les ingrédients du personnage de roman. Son itinéraire inspire de nombreux ouvrages et scénarios de films. Approcher cette légende vivante embastillée, partager un moment avec cette icône privée de liberté. C’est peut-être cela qui a poussé John William Yettaw à tenter sa folle escapade lacustre, qui vaut aujourd’hui à Suu Kyi un procès. Et le risque d’être condamnée à cinq ans (de plus) d’emprisonnement.
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