Rappeur sur la ville
Vous n’avez jamais entendu parler de Salah Eddine et vous avez bien raison. Non, il ne s’agit pas du fameux Salah Eddine al-Ayoubi, dit Saladin, adversaire chevaleresque de Richard Cœur de Lion, qui conquit Jérusalem et fonda une dynastie ; mais plus modestement d’un rappeur hollandais d’origine marocaine – cette engeance existe vraiment, contrairement au griffon et à la licorne. (Ledit Salah Eddine, si je puis me permettre un souvenir personnel, nous fit attendre deux heures dans une salle surchauffée, un soir où nous – un jury de rencontre – devions lui remettre je ne sais quel prix, au point que nous décidâmes d’attribuer ledit prix à un autre artiste, qui se trouvait dans la salle par hasard.
On voit d’ici le genre, grande gueule et malpoli, comme il sied à un rappeur tendance « kill the cop, smack my bitch ».)
Si on parle aujourd’hui d’un braillard qui est à la musique ce que le hamburger est à la gastronomie, c’est qu’il a encore défrayé la chronique, ou plutôt effrayé les chroniqueurs, la semaine dernière. Devant donner un « concert » ou un « récital » – tous ces mots semblent soudain anachroniques quand il s’agit de rap –, devant donc se produire dans un théâtre de Rotterdam, Salah Eddine exigea que cinq rangées de fauteuils, au balcon, fussent réservées aux femmes. Comme dans les synagogues et les mosquées : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Salah Eddine, confondant la maison de Dieu et l’antre de Belzébuth, en fit la condition sine qua non à son apparition – la sienne, pas celle du Seigneur. Les responsables du Theater Zuidplein baissèrent les bras, vaincus, comme une vieille Europe confrontée à l’alliance du ghetto, du Coran et du braiment saccadé.
Un rappeur exigeant que les hommes et les femmes soient séparés pour l’entendre insulter les bonnes mœurs, les profs, sa femme, les Blancs, la politesse, les flics et le monde entier : vous y comprenez quelque chose, vous ? Moi non plus. En fin de compte, les Marocaines de Rotterdam allèrent voir ce bonobo sans se soucier des cinq rangées de sièges à elles dédiées : elles s’assirent un peu partout dans la salle. Bravo, les filles ! Les appariteurs finirent par enlever les panneaux comminatoires qui ordonnaient à la gent féminine de s’asseoir au balcon. Interrogé par la presse, le gérant du théâtre se justifia ainsi :
– Les Marocains de Rotterdam ont à peine le niveau du brevet : ils ne mettent donc jamais les pieds dans un théâtre. En réservant des rangées pour les femmes, on les encourage à le faire.
Relisez lentement les phrases qui précèdent, vous verrez qu’elles n’ont en fait aucun sens. Ainsi va le monde : 80 % de son bruissement ne signifie rien. Et pourtant, il tourne… Quant au rappeur, il remarqua, l’air contrarié :
– Ces Marocaines qui n’en font qu’à leur tête, elles ressemblent un peu trop à des Hollandaises.
Tu l’as dit, bouffi. Prends-en de la graine et fais-nous-en une chanson : « Chuis un rappeur déchu qui se prend pour un gangsta new-yorkais/et qui ferait mieux de faire du chaabi bien de chez lui/car dans son pays, ce sont les cheikhates qui mènent la danse/et les hommes qui s’assoient bien sagement. »
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