Qui est vraiment Benoît XVI ?

Un bimestriel peut-il traiter de l’actualité « chaude », selon l’expression du jargon journalistique ?

À la lecture du dernier numéro de La Revue pour l’intelligence du monde, la réponse est à l’évidence positive. Et c’est tout l’enjeu de l’exercice, donner un éclairage pérenne, restituer la substantifique moelle de la marche de l’humanité sur un support qui, à la différence d’une dépêche d’agence ou d’un quotidien, défiera pendant des années les outrages du temps médiatique. Historien de l’instant, Béchir Ben Yahmed nous propose dans sa dernière livraison, sous la signature d’Henri Marque, une plongée dans l’univers de l’un des hommes les plus influents et secrets de la planète : le pape Benoît XVI. Un souverain pontife fragilisé par les polémiques et qui revient d’une visite en demi-teinte mais historique dans le berceau du christianisme, ravagé depuis un demi-siècle par le conflit israélo-arabe. Dans cette enquête, on découvre le dessous des décisions et des déclarations controversées (notamment celle sur l’usage du préservatif) de ce « pape qui fait du mal à son Église », selon l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Un pape qui souffre lui aussi. « Après le repentir, le chagrin, écrit Henri Marque, Benoît XVI se dit blessé d’avoir été traité avec “haine” par tous ceux à qui il rappelle les mises en garde de saint Paul aux premiers chrétiens contre “les morsures et les déchirements” sous prétexte, déjà, de liberté d’expression. »

Revenant sur la réhabilitation controversée des évêques intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X, « le pape va à confesse et ouvre lui-même la porte du confessionnal pour que le monde entende l’aveu de ses erreurs. Dans une lettre à l’ensemble des évêques, universellement reproduite, il bat sa coulpe en six pages de repentance », écrit notre confrère en sortant le lecteur de l’ornière du manichéisme opposant un Jean-Paul II charismatique et moderne à un « Panzerkardinal » obtus et réactionnaire.

« C’est un théologien, pas un homme de pouvoir, rapporte Henri Marque, d’origine modeste, mais aristocrate de l’esprit. » Pianiste à ses heures, le guide de l’Église catholique est « minimaliste en toute chose, austère, pudique et effacé, épris de silence et de solitude ». Le conclave aurait-il commis une erreur de casting ? De toute façon, tranche cette enquête, la réponse importe peu, car « un pape ne démissionne pas. Il n’existe pas non plus de procédure d’impeachment dans les institutions vaticanes. » Il faudra donc encore composer avec « l’énigme Benoît XVI ».

La Revue nous sert également une remarquable synthèse d’Alain Faujas sur la solide irruption du Brésil sur la scène internationale. « L’éveil d’un géant » explique la recette du président Lula, « un curieux cocktail de générosité et d’austérité, de dirigisme social et de libéralisme économique qui a réussi au-delà de toute espérance ». L’enquête nous confirme que, dans l’hémisphère Sud, l’imagination se décline aussi au sommet du pouvoir.

Toujours loin, bien loin du brouet de l’écume médiatique, Hamid Barrada et Philippe Gaillard sont allés à la rencontre de Daniel Rivet, un des historiens français de référence sur le Maghreb. Un vif et passionnant entretien décliné sur une vingtaine de pages richement illustrées emmène le lecteur dans la grande histoire du Maroc, de l’Algérie et la Tunisie. De l’introduction du café, au XVIe siècle, par les conquérants ottomans, à celle du thé, au XIXe siècle, en passant par l’apparition du couscous dans le Rif, au Xe siècle, la conquête coloniale française, les résistances d’un Abd el-Kader ou d’un Abd el-Krim, Daniel Rivet, en grande forme, brosse une édifiante et éclectique fresque. Et quand se referme La Revue sur les Mémoires de Catherine Clément – qui se souvient que Jacques Chirac lui avait confié, dès 1981, fréquenter une voyante –, on se sent presque réconcilié avec la marche du monde.