Automobile, le grand crash
Ralentissement de la production, ventes en chute libre, résultats en berne et multiplication des plans sociaux… C’est la fin d’un modèle économique qui s’annonce. Et la crise n’explique pas tout !
Dans le fracas de l’effondrement des institutions financières, tout au long de l’année dernière, on a assez peu prêté attention à une autre débâcle, non moins inouïe : celle de l’industrie automobile. Patron du groupe français Renault et du japonais Nissan, Carlos Ghosn cite des chiffres qui font froid dans le dos. En 2007, 68 millions de véhicules se sont vendus dans le monde ; ce chiffre est tombé à 64 millions en 2008 et dégringolera à 55 millions en 2009. Moins 19 % en deux ans : du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale !
Cette dépression s’est évidemment traduite dans les résultats des entreprises. Dans son édition du 13 mai, le quotidien Les Échos a calculé que les quinze premiers groupes automobiles de la planète avaient, ensemble, perdu en 2008 41 milliards d’euros. Car les pertes abyssales des américains General Motors (– 22,6 milliards d’euros), Chrysler (– 12,3 milliards) et Ford (– 10,7 milliards) ; des japonais Toyota (– 3,3 milliards), Nissan (– 1,7 milliard) et Mazda (– 550 millions) ; ainsi que du français PSA (–340 millions) sont loin d’être compensées par les maigres bénéfices réalisés par les allemands Volkswagen (+ 4,7 milliards), Daimler (+ 1,4 milliard) et BMW (+ 320 millions) ; l’italien Fiat (+ 1,6 milliard) ; les japonais Honda (+ 970 millions) et Suzuki (+ 210 millions) ; le coréen Hyundai (+ 640 millions) et le français Renault (+ 570 millions).
Loi sur les faillites
Chrysler s’est mis sous la protection de la loi américaine sur les faillites et GM pourrait l’imiter bientôt. Partout, on ralentit les cadences de travail, les capacités de production n’étant utilisées qu’à 60 %. Les salariés sont mis au chômage technique et les intérimaires congédiés, tandis que les plans sociaux se multiplient afin de réduire la masse salariale.
Et ce n’est pas fini, malgré la cinquantaine de milliards de dollars injectés par les gouvernements européens et américain pour tenter d’arrêter l’hémorragie sociale. Et malgré la détermination du président Barack Obama (« Le secteur automobile est un pilier de notre économie »). Cela pourrait même durer, bien que les ventes de véhicules individuels en Chine se sont redressées de 37 % en avril, et que les voitures low cost comme la Logan de Renault se vendent comme des petits pains. « Lors de la dernière crise sérieuse, en 1992, nous avons mis cinq ans à nous en remettre », rappelle Ghosn.
Les patrons des grands constructeurs sont convaincus que leurs malheurs viennent de la crise économique, qui a réduit le nombre des acheteurs, et/ou de la flambée des cours du pétrole, qui, pour la première fois, a incité les conducteurs à « lever le pied » ou à laisser leur véhicule au garage. Ils incriminent aussi la crise américaine des subprimes, qui a laissé les banques exsangues, incapables de prêter aux ménages désireux d’acquérir une voiture. Mais c’est se voiler la face.
En réalité, les ventes d’automobiles chutent depuis de nombreuses années. Pour contrer ce phénomène, les constructeurs n’ont trouvé qu’une parade, qui s’est révélée pire que le mal : lancer très souvent de nouveaux modèles de mieux en mieux équipés. Et de plus en plus chers. Ce qui a eu pour résultat de faire fuir les acheteurs. Il est symptomatique qu’en France le pourcentage des voitures d’occasion est passé, en dix ans, de 40 % à 60 % de l’ensemble du parc.
Tous les sondages confirment le revirement de l’opinion à l’égard de l’automobile. C’est la fin d’un modèle économique. Désormais, l’objet automobile ne fascine plus : on l’achète non plus pour le paraître, la frime, mais pour un usage précis. La crise aidant, les conducteurs ont pris conscience du gaspillage que représente l’acquisition d’un véhicule coûteux – entre 10 000 et 20 000 euros –, qu’ils n’utilisent que pendant 5 % de leur temps, et qui, de Bangkok à Paris et de Tokyo à Dakar, leur vaut d’interminables et exaspérantes stations dans les embouteillages.
Révolution des mentalités
Les conséquences de cette révolution des mentalités sont lourdes. La première est que les cartes sont en passe d’être totalement rebattues. L’épicentre de la demande s’est déplacé à l’Est et au Sud. L’Asie est désormais le marché le plus prometteur. À preuve, Toyota a ravi en 2008 le titre de numéro un mondial à GM. En janvier dernier, il s’est vendu plus de voitures en Chine qu’aux États-Unis.
D’autre part, la course à la taille critique est relancée. La petite entreprise Fiat s’est ainsi adjugé sans bourse délier 20 % du capital du mastodonte Chrysler et convoite à présent deux filiales de GM (Opel et Saab). Sergio Marchionne, son patron, est convaincu que seuls six groupes vendant chaque année au moins 5,5 millions de voitures pourront survivre. À ce jour, cinq constructeurs sont dans ce cas : Toyota, GM, Volkswagen, Ford et Renault-Nissan.
Mais la quantité ne suffira pas à sauver les engins à quatre roues. Le réchauffement climatique et l’exigence d’une qualité de vie accrue rendent obligatoires la mise au point et l’utilisation de véhicules non polluants, mus par une énergie qui ne soit pas fossile comme le pétrole. La course à la voiture électrique est donc lancée.
Le défi que posent le poids et le coût de ses batteries oblige à des prouesses techniques. Par exemple, il faudra aller chercher le lithium nécessaire dans les lagunes salées d’altitude, en Bolivie ou au Tibet. Il faudra aussi faire preuve d’inventivité commerciale pour mettre ce véhicule à la portée des budgets familiaux. Enfin, la vente de voitures sera de plus en plus concurrencée par la location, d’un prix beaucoup plus abordable.
Sociologues et utopistes estiment à présent qu’il est temps de franchir le pas et de concevoir une automobile vraiment banalisée, c’est-à-dire utilisable par tout le monde, seulement pendant le temps nécessaire. Des formules de voitures en libre-service, sur le modèle du Vélib’ parisien, sont à l’étude. Elles devraient permettre de transformer la bonne vieille automobile en mode de « transport public à usage privé ». La voiture « en réseau » ne serait plus un objet, mais un service, et, du coup, retrouverait sans doute un avenir.
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