Maoïsme et nationalisme arabe

Membre de l’ex-mouvement d’opposition tunisien Perspectives

Publié le 20 mai 2009 Lecture : 3 minutes.

Votre article intitulé « La guerre des mémoires » (voir J.A. n° 2520-2521), consacré à une confrontation entre le dernier livre de Mohamed Charfi (Mon combat pour les Lumières) et le mien (Qu’as-tu fait de ta jeunesse ?), m’a interpellé à plus d’un titre. Mais je veux d’abord exprimer mes remerciements à Jeune Afrique pour m’avoir consacré un tel espace, et ma reconnaissance parce que vous confirmez ainsi la nécessité et l’intérêt de témoigner sur ce qu’on a vécu, nécessité qui occupe mon esprit depuis des années.

Votre article note bien que, tout en contestant l’ensemble de la version de Mohamed Charfi sur le passé, je me refuse à polémiquer sur ces sujets et ne rétablirai donc pas ici la vérité, quelques-uns des témoins encore en vie pouvant, s’ils le veulent, parler de ce qu’ils ont vécu.

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Je soulèverai seulement un point : celui de l’adoption du maoïsme et son rejet du nationalisme arabe par le groupe Perspectives en 1967-1968, que vous présentez comme le début de la fin de cette expérience. Cela me semble relever de l’adhésion à une théorie selon laquelle le groupe ne pouvait exister que sous sa forme et avec son contenu d’origine. Permettez-moi de m’inscrire en faux contre cette affirmation ; comme toute structure vivante, le groupe Perspectives évoluait en fonction de sa réflexion, de son recrutement et de ses actions dans une réalité où se manifestaient différentes forces sociales et politiques, où le pouvoir, de plus en plus manifestement régime de parti unique, aggravait sa répression et proclamait haut et fort sa solidarité avec l’impérialisme américain, qui le soutenait en retour. Et, à partir de l’automne 1967, s’il est vrai que certains éléments ont quitté le groupe en raison de quelques désaccords sur le maoïsme, le nationalisme arabe ou le mode de fonctionnement, notre organisation a connu un développement prodigieux au point de devenir, dans les années 1970, la première force politique à l’université. Le maoïsme n’a pas tué le groupe, il en a au contraire permis les progrès, dans les conditions de l’époque, caractérisées, partout dans le monde, par la montée de la contestation des jeunes en face de l’autoritarisme des adultes, spécialement ceux qui détenaient le pouvoir politique.

À propos de ces désaccords au sein du groupe, qui auraient opposé « les tenants de la démocratie et du progressisme » aux « doctrinaires marxistes », il est peut-être intéressant de souligner que les premiers n’ont plus mené la moindre action politique, au moins jusqu’à la fin des années 1970 (ils ne l’auraient pas pu à cause, justement, de ce caractère dictatorial qui ne permettait à aucune contestation de s’exprimer), et que, au contraire, ce sont d’abord les initiatives radicales et déterminées des « maoïstes », puis le conflit avec l’UGTT, qui ont permis de poser les bases des premières mesures de démocratisation de la vie politique : autorisation de la Ligue de défense des droits de l’homme, premiers journaux indépendants…

Les divergences qui ont été à la base de la véritable scission du groupe se sont exprimées en 1972-1974, et elles n’ont pas porté sur l’adoption ou le refus du maoïsme comme alternative au nationalisme arabe ; il s’agissait plutôt de choisir entre deux versions du maoïsme : la première, celle de Perspectives, définie pour l’essentiel entre 1968 et 1970, supposait une adaptation des théories de Mao à une situation tunisienne très différente de celle de la Chine d’avant 1949. La seconde, base de la constitution de Amel Tounsi, collait étroitement aux théories de la révolution nationale et démocratique, qu’elle appliquait mécaniquement à la Tunisie, et impliquait un certain nationalisme arabe, puisqu’elle se fixait la révolution arabe comme objectif et définissait la révolution palestinienne comme l’avant-garde de cette révolution. Le maoïsme ne paraissait donc plus incompatible avec le nationalisme arabe, et la problématique que vous mettez en avant n’a correspondu qu’à un moment très court de l’histoire du mouvement. La scission qui s’est produite entre Perspectives et Amel Tounsi est d’une autre importance, et a eu une plus grande portée pour le mouvement que les divergences de 1968. J’ai essayé dans mon livre d’en parler plus longuement, avec plus de rigueur. Je regrette que les développements que j’y ai consacrés n’aient pas retenu davantage l’attention. Cela aurait peut-être mieux éclairé vos lecteurs sur l’histoire d’un mouvement qui, au-delà des personnalités qui le composaient, a très fortement influé sur la vie du pays.

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