Quinze milliards pour l’Afrique

À l’occasion de l’assemblée annuelle de la BAD, les 13 et 14 mai à Dakar, les États actionnaires se sont mobilisés comme jamais auparavant. Car avec la crise, qui commence à toucher le continent, les demandes de prêts et de dons affluent.

Publié le 20 mai 2009 Lecture : 6 minutes.

En Europe et en Amérique du Nord, les réunions des institutions financières internationales sont systématiquement perturbées par des manifestants en colère, des anarchistes et autres protestataires plus ou moins violents. Ici, à Dakar, au cœur de l’Afrique, il n’en a rien été. Au contraire, les assemblées de la Banque africaine de développement (BAD) et du Fonds africain de développement (FAD) se sont déroulées dans une ambiance pacifique et détendue. Malgré la crise économique mondiale, dont les effets commencent à se faire sentir sur le continent, on n’a pas vu de manifestants venus des bidonvilles ou de la brousse, ni de chômeurs et d’ouvriers récemment « déflatés » (licenciés). Pourtant, ils se comptent par millions…

C’est donc dans la sérénité que se sont ouvertes, le 13 mai, pour deux jours de délibérations, la 44e assemblée annuelle de la Banque africaine de développement et la 35e du FAD. Ces deux jours avaient été précédés par de nombreux séminaires et débats sur des thèmes aussi variés que la sécurité alimentaire, la passation des marchés publics et la corruption, l’efficacité du développement, la crise financière dans les pays riches, l’accès – désormais difficile – des pays africains aux marchés des capitaux, la nécessité d’une intégration régionale trop souvent freinée par les fonctionnaires et les responsables politiques, les paradis bancaires qui « blanchissent » environ 40 milliards de dollars « d’argent sale » en provenance de l’Afrique (détournements de fonds publics, évasion fiscale, crime organisé, fuite de capitaux…). Des sujets ultrasensibles que la BAD n’hésite plus désormais à mettre sur la table en présence de plusieurs centaines de ministres et de hauts fonctionnaires africains et étrangers. 

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L’intérêt de l’Asie

Sans jamais se départir de son optimisme, son président, Donald Kaberuka, ancien ministre rwandais des Finances, élu en 2005 pour un mandat de cinq ans, a ouvert la session en présence de 2 030 délégués – un record depuis la création de la Banque, en 1964 –, envoyés par les 77 pays actionnaires (dont 53 africains), les grandes entreprises et banques africaines et internationales, les ONG (voir encadré p. 14) ainsi que les institutions régionales africaines de coopération et les organismes étrangers de coopération intéressés par l’Afrique.

Le prestige de la cérémonie d’ouverture a été rehaussé par la présence d’Abdoulaye Wade, le chef de l’État sénégalais, de son homologue burkinabè Blaise Compaoré, de John Dramani Mahama, vice-président du Ghana, de Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine, et d’Abdoulie Janneh, secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique. Crise oblige, les États actionnaires ont manifesté un grand intérêt. Une cinquantaine de pays étaient représentés par des ministres et de très hauts responsables (Économie, Finances, Plan, Trésor). Avec, cette fois, la participation très remarquée de Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque centrale chinoise, et de Shinohara Naoyuki, vice-ministre japonais des Finances chargé des affaires internationales. Un signe qui marque, comme l’a rappelé le président Wade, l’intérêt de l’Asie pour l’Afrique et le désintérêt relatif des grandes puissances européennes et américaines. 

Triplement de capital

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« Africains, en avant ». C’est sur cet hymne composé pour la circonstance et chanté par une chorale de jeunes Sénégalais que les travaux ont débuté. « De la mer à la campagne, de la savane à la forêt, combattants de la liberté, garçons et filles, ouvriers et paysans, sauvez l’Afrique » : le ton était donné à ceux qui allaient réfléchir « au plan africain anticrise ».

Les donateurs n’ont pas manqué. De la Banque européenne d’investissement à la Banque mondiale en passant par les agences de coopération allemande, française, sud-africaine, norvégienne ou danoise, les fonds – ou, du moins, les promesses – ont afflué sur la table du président Kaberuka, qui a annoncé, avec un grand soulagement, la mobilisation de 15 milliards de dollars au profit des pays africains frappés par la crise pour la période 2009-2012.

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La BAD, dont la crédibilité ne fait plus aucun doute (elle bénéficie d’un triple A dans la notation des agences d’audit indépendantes), est désormais capable de mobiliser des cofinancements importants. « Nous jouons un rôle de catalyseur », explique le Français Thierry de Longuemar, vice-président finance de la Banque. Avec la crise, les demandes d’aide – prêts et dons – ont triplé. La BAD a financé 133 projets en 2008 (et 3 232 depuis le premier prêt accordé en 1967) pour un montant de 5,5 milliards de dollars (67 milliards depuis 1967). Pour faire face à ces nouvelles demandes, elle devra tripler son capital (de 33 à 100 milliards de dollars), estime Longuemar.

Ce capital, dont seulement une petite proportion est libérée (10 % en moyenne) en plusieurs tranches annuelles, sert de garantie aux prêts accordés par la Banque aux secteurs public et privé.

Les assises de Dakar ont, fait important, approuvé le principe de cette augmentation de capital, qui devrait être négociée dans les mois qui viennent. Certains pays riches y participent d’autant plus volontiers qu’ils préfèrent passer par la BAD que par des aides bilatérales directes, par crainte de leur opinion publique. « C’est mal vu de donner l’argent du contribuable aux Africains plutôt qu’aux nationaux sévèrement touchés par la crise », résume un délégué. Mais la BAD persiste et signe. Elle ne veut pas abandonner les pays en difficulté, comme le Zimbabwe ou la Guinée-Conakry. Kabiné Komara, le Premier ministre guinéen, est d’ailleurs venu en personne à Dakar pour assister à la cérémonie de signature des dons de la BAD à son pays. Deux dons qui permettront de lancer les travaux de « deux chantiers majeurs bloqués depuis plusieurs années » : un corridor routier qui permettra de désencombrer la capitale et de mieux desservir l’ensemble du territoire et les pays voisins enclavés ; et la production et la distribution d’électricité à plusieurs milliers de foyers guinéens.

Les besoins du Zimbabwe sont autrement plus importants : 8,5 milliards de dollars. Sans compter ceux de la Centrafrique (dont le dossier a été plaidé par Sylvain Maliko, le ministre du Plan et de l’Économie), du Cap-Vert, du Botswana, du Niger, de la Guinée-Bissau, de la RD Congo, du Maroc, du Liberia, de l’Ouganda, et même du Nigeria, qui a obtenu une ligne de crédit de 100 millions de dollars et le retrait de 200 autres millions du Fonds spécial du Nigeria géré par la Banque depuis 1976. 

« Le Nepad a déraillé »

Jamais l’affluence n’avait été aussi forte. Il y a quelques années, on se demandait si les banques de développement servaient à quelque chose. Désormais, la BAD, comme ses alter ego asiatique et latino-américaine, se révèle indispensable. Mieux, elle attire de nouveaux actionnaires. Après la Turquie, admise en 2008, elle a accueilli le Luxembourg le 14 mai dernier à Dakar. Et d’autres frappent à sa porte, comme l’Australie. Tous sont intéressés par le potentiel de l’Afrique que la Banque s’efforce de mettre en valeur. Le président Wade l’a reconnu, en félicitant sa direction et son personnel « au nom de tous les chefs d’État africains ». Il a appelé à un « new deal » en faveur de l’Afrique en critiquant le Nepad (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique), dont il est le cofondateur. « Il a déraillé. Comme une Mercedes qui a un mauvais chauffeur. » Puis, s’adressant à Donald Kaberuka et à Jean Ping, il a précisé que le Nepad est un excellent instrument qu’il ne faut pas jeter aux oubliettes, mais à qui l’on doit trouver « un bon chauffeur ». « Il faut, a-t-il insisté, donner un ballon aux pays pauvres pour qu’ils puissent revenir dans le jeu et ne plus être exclus. » Rendez-vous est pris – pour évaluer le chemin parcouru – en mai 2010 à Abidjan et, en mai 2011, au Portugal, qui tient plus que jamais à recevoir la BAD, comme l’ont déjà fait l’Espagne et la Chine.

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