Qui a peur de Jacob Zuma ?

Essayiste, ancien Premier ministre centrafricain

Publié le 13 mai 2009 Lecture : 3 minutes.

L’élection de Jacob Zuma apparaît comme un nouveau saut dans l’inconnu et rappelle l’année 1994, lorsque les premières élections multiraciales portèrent au pouvoir l’ANC de Nelson Mandela. Les Cassandre du monde occidental appréhendaient les pires cataclysmes, soupçonnant l’ANC de vouloir appliquer son programme « socialiste » : nationalisations tous azimuts, cadeaux démagogiques et économiquement irresponsables à sa clientèle populaire, encouragement des actes revanchards des extrémistes noirs contre les Blancs…, au risque de conduire le pays à la faillite économique et au chaos. La catastrophe annoncée en 1994 n’a pas eu lieu. Certes, Mandela et ses compagnons de lutte ne pouvaient pas effacer d’un coup de baguette magique les problèmes accumulés sous l’apartheid : haine entre communautés, pauvreté dans les townships, propagation foudroyante du sida… Il n’y a donc pas eu de miracle, mais on est loin de la catastrophe annoncée. Cahin-caha, la république d’Afrique du Sud va son chemin. Sur la route du développement, elle a passé avec succès le premier test : elle demeure la première puissance économique du continent et, à ce titre, elle a été le porte-parole de toute l’Afrique au récent G20 de Londres.

Que redoutent donc les Cassandre de 2009 ?

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Les craintes tournent autour de la personnalité de Jacob Zuma, élu le 6 mai. On reproche au nouveau président de ne pas arborer la figure lisse de Thabo Mbeki, son prédécesseur, proche des modèles occidentaux, bon dirigeant « profilé Tony Blair », exemple de socialiste ayant su s’adapter aux lois de l’économie de marché. Zuma n’a pas non plus le profil de Barack Obama, celui du gendre idéal. Il est au contraire présenté comme le nègre frustre de la brousse, un parvenu, bon vivant, jouisseur, homme à femmes, communiste et populiste. L’histoire personnelle de Jacob Zuma n’est rien d’autre que celle qu’il partage avec la plupart des militants et cadres de l’ANC, des jeunes issus du peuple sud-africain, à qui le régime de ségrégation raciale n’offrait pas d’autres perspectives que l’analphabétisme et l’exploitation. Ils se sont retrouvés dans le creuset de la lutte pour recouvrer leurs droits, leur dignité et leur liberté. C’est pour cela que l’ANC ne ressemble à aucun autre parti en Afrique subsaharienne. Il a donné à ses jeunes une conscience nationale et une formation politique, au-delà des attaches ethniques. Quant aux craintes concernant son passé communiste, elles n’ont cours que chez ceux qui ont oublié l’histoire de la lutte.

Pendant la Guerre froide, le camp dit de « la liberté » soutenait le régime d’apartheid, considéré comme un rempart contre l’expansion du communisme en Afrique. Le mouvement de libération a donc trouvé un soutien au sein du camp du « progrès » de cette époque, chez les communistes, en Afrique ou ailleurs. Se voulant le rassemblement de toutes les forces opposées à l’apartheid, l’ANC intégra en son sein le Parti communiste sud-africain et la toute-puissante centrale syndicale Cosatu. Sans jamais faire mystère de ses relations étroites avec l’URSS, la Chine, Cuba et, en Afrique du Nord, avec l’Égypte de Nasser, la Tunisie de Bourguiba, l’Algérie de Ben Bella et de Boumédiène, et même la Libye de Kadhafi. L’ANC de Mandela n’a jamais mis son drapeau idéologique dans sa poche et s’est toujours affiché comme un parti de gauche au sens où on l’entend en Occident. Et pourtant, parvenue au pouvoir en 1994, l’organisation ne s’est pas précipitée pour proclamer une quelconque « république populaire d’Afrique du Sud ».

Pourquoi ne pas faire confiance à ce parti qui a fait preuve de tant de ténacité et de clairvoyance, et au peuple sud-africain dont il est l’émanation ? Si l’ANC se trompe, c’est à travers ses erreurs qu’il apprendra à gérer sa démocratie interne et à l’ancrer dans l’histoire du pays comme dans l’esprit des Sud-Africains. Faisons confiance à ce pays et à son peuple pour savoir judicieusement choisir ses dirigeants sans qu’une caution venue d’ailleurs soit nécessaire.

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