Les Tunisiens dépensent, les banques prêtent

Conséquence du développement économique, les ménages tunisiens se laissent tenter par le recours à l’emprunt. Un mouvement que les banquiers favorisent en multipliant les offres grâce à une segmentation de plus en plus fine.

Publié le 19 mai 2009 Lecture : 5 minutes.

Le montant officiel de l’endettement des ménages tunisiens a plus que doublé au cours des cinq dernières années, passant de 3 milliards à 7,3 milliards de dinars (DT ; de 1,7 à 4 milliards d’euros) entre la fin de 2003 et 2008. Cet encours ne reflète que les crédits bancaires nets au 31 décembre, déduction faite des remboursements intervenus en cours d’année. Il comprend les crédits déclarés par les banques commerciales à la centrale des risques de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Sont donc exclus les crédits à très court terme (découverts, avances sur salaire et autres facilités), ainsi que les crédits « informels » fournis par les commerçants et les entreprises privées à leurs clients et à leurs salariés. Personne ne se hasarde à délivrer la moindre évaluation de l’endettement global des particuliers. Mais tout le monde s’accorde à dire que les Tunisiens vivent au-dessus de leurs moyens et que la plupart d’entre eux n’arrivent plus à boucler leur fin de mois.

« Donnez vie à vos envies », « Le bonheur à portée de main », « L’avenir sans soucis », « Roulez, la voie est libre »… Autant de slogans qui ­vantent les crédits à la consommation et témoignent d’un changement d’époque. Les Tunisiens ne s’endettent plus seulement pour acheter une maison, mais aussi pour se faire plaisir : voiture, téléviseur ou téléphone mobile. Certains empruntent pour payer les courses ou les factures d’électricité, car le salaire ne suffit plus. « Avant, on n’en parlait pas, c’était mal vu. Les banques étaient au service des entre­prises, pas des particuliers. Aujourd’hui, la consommation ­constitue un vecteur de croissance », confie le vice-­président directeur général d’Amen Bank, Ahmed El Karm. « Le niveau de vie des familles tunisiennes s’est amélioré, et les banques se sont adaptées pour leur offrir de nouveaux services », explique-t-il en précisant que ce marché nouveau est appelé à se développer.

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Il n’y a qu’à regarder les offres des différents établissements pour s’apercevoir que les crédits à la consommation constituent désormais un métier à part au sein des banques tuni­siennes. Les services marketing travaillent pour se distinguer de la concurrence et pour offrir l’accueil le plus avenant et le plus discret possible. « Plus personne n’a honte d’emprunter pour s’offrir un billet d’avion ou un séjour à l’hôtel, se marier ou acheter un climatiseur », explique un chef d’agence de l’Union internationale de banques (UIB). Dans cette filiale de la Société générale (France), on peut obtenir un crédit Expresso (multi-usage) jusqu’à 15 000 DT (8 200 euros) remboursable sur trente-six mois, un crédit Dari (maison) jusqu’à 250 000 DT (137 000 euros) ou encore un crédit Omnia (envies) de 1 000 à 10 000 DT (de 550 à 5 500 euros)… Attijari Bank, filiale tunisienne du numéro un marocain, offre une palette de crédits tout aussi ingénieuse (confort, express, auto) et y ajoute Mostakbali (études) ou Syaha (tourisme). Amen Bank, de son côté, propose un Présalaire express et des prêts Campus ou Standing. Enfin, en plus de ses crédits vedettes – Mounasseb (consommation libre) ou Sayara (voiture) –, l’Arab Tunisian Bank (ATB) s’intéresse au crédit immobilier longue durée (Sakan) ou aux retraités aisés avec Senior, destiné aux 55-65 ans. « C’est un créneau porteur, explique Tahar Mellouli, responsable au département clientèle particulière de l’ATB. La part des crédits aux particuliers dans notre portefeuille a triplé au cours des cinq dernières années, passant de 5 % à 15 %. Notre objectif est d’atteindre 25 % en améliorant la qualité des services et en réduisant les délais de réponse à cinq jours au maximum. »

Des taux de 7 % à 13 %

Pour la première banque privée de la place, la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT), l’affaire ne se résume plus à une question de volume, mais pose aussi un problème d’encadrement juridique cohérent et global. Les crédits aux particuliers sont certes réglementés par des circulaires de la Banque centrale, mais il n’existe pas de loi-cadre ni de sociétés spécialisées, par exemple pour répertorier les crédits engagés par une même personne. Les règles en vigueur permettent en outre de définir une large fourchette de taux d’intérêt : entre le minimum (taux du marché monétaire) et le maximum (le taux d’intérêt excessif), la compétition entre les banques bat son plein. Les directives des autorités monétaires permettent cependant de cadrer les différentes catégories de crédits pour encourager l’accès à la propriété, le financement des études universitaires, l’achat d’un ordinateur familial ou celui d’un chauffe-eau solaire. Les taux varient entre 7 % et 13 %, avec une tendance à la baisse (le plafond était à 15 % en 2005).

Les autorités ont donc retenu la leçon de la faillite spectaculaire du groupe Batam (lire encadré ci-dessous) et aujourd’hui, avec la supervision assurée par la BCT, la compétition pousse les banques à réduire leurs marges, rendant le crédit accessible à la majorité des salariés des secteurs public et privé. Chaque banque a désormais sa convention avec telle ou telle amicale d’entreprises ou mutuelle de fonctionnaires. Ce type d’arrangement permet de proposer des crédits « conventionnés » à des taux privilégiés (1 à 2 points en moins). Pour la banque, le risque est moindre : outre la domiciliation du salaire, l’accord préalable de l’entreprise signifie que l’employé n’est pas en voie de licenciement…

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Résultat, le crédit à la consommation (hors habitat) est passé de 1 milliard de DT à la fin de 2002 à 2,3 milliards à la fin de 2008. La BCT ne livre pas le détail, mais l’on sait que les prêts auto ont plus que triplé (de 76 à 261 millions de DT), alors que les prêts pour les études universitaires ont été multipliés par 17 (de 52 000 DT à la fin de 2002 à 897 000 DT à la fin de 2008). Face à ce développement, les banquiers réclament plus de transparence avec une centralisation de l’ensemble des crédits contractés par les ménages au sein de la BCT ou d’une institution privée, comme le Crédit bureau institué au Maroc au début de 2008. Ce qui leur permettra de répondre plus rapidement aux demandes et de s’assurer que le taux d’endettement n’a pas dépassé le plafond autorisé (40 % des revenus). En attendant, chaque banque est en train d’affiner la gestion de ses propres crédits en établissant un « scoring » de tous ses clients fondé sur des données objectives : revenus, famille, antécédents bancaires… À la longue liste des crédits proposés par les banques s’ajoutera alors celui qui conjugue « plaisir et raison ».

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