Quel avenir pour les sociétés de Bourse francophones ?

Petit et peu animé, le marché boursier de la BRVM d’Abidjan fait vivre une vingtaine d’acteurs locaux et attire même des concurrents, notamment marocains.

Publié le 19 mai 2009 Lecture : 5 minutes.

Elles sont une vingtaine à se partager l’un des plus petits marchés boursiers au monde. Vingt Sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI), qui opèrent chaque jour sur la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan. Couramment appelées sociétés de Bourse, elles exercent des fonctions multiples, qui vont des ordres d’achat ou de vente de leurs clients à l’introduction en Bourse d’un emprunt d’État en passant, plus techniquement, par la conservation des titres pour le compte de tiers comme les multinationales ou les fonds d’investissement. « La plupart de ces SGI végètent », tranche un intervenant du marché. Végéter ? Le mot est faible : la place boursière régionale cote une quarantaine de valeurs et n’a connu aucune introduction depuis longtemps. Côté obligataire, c’est essentiellement le Trésor public ivoirien qui fait l’offre. Pas de quoi assurer la survie ou la rentabilité d’une vingtaine de sociétés de Bourse.

Est-ce réellement un problème ? « Certaines banques considèrent leurs SGI comme accessoires, comme un simple service aux clients », souligne Gabriel Fal, à Dakar. Patron de CGF Bourse, l’une des rares SGI autonomes (lire encadré page suivante), il est parvenu à se faire une place à la BRVM grâce au rôle central de la Sonatel à la Bourse d’Abidjan et aux émissions obligataires du Sénégal. « Nous sommes les leaders sur la partie obligations, avec 30 % du marché », explique Gabriel Fal, avant de reconnaître : « Sur le compartiment actions, la plus dynamique est Hudson. »

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Deux anciens de Citibank

Société de Bourse créée au milieu des années 1990 par Jean-Luc Bédié, l’un des fils de l’ex-président ivoirien Henri Konan Bédié, Hudson est en effet devenue incontournable. Ancien de Citibank quand elle était la plus grande banque du monde, Jean-Luc Bédié a travaillé à New York de longues années, notamment pour une société de Bourse, Strategic Asset Management. De quoi se forger des relations dans les milieux financiers internationaux et assurer aujourd’hui à sa société une clientèle de plus en plus active sur le compartiment actions de la BRVM : les fonds d’investissement américains s’adressent souvent à Hudson pour leurs opérations. Les fonds britanniques, dont certains – comme Blakeney Management – sont très actifs à Abidjan, s’adressent de préférence à la SGI de Gabriel Fal, ancien de Citibank lui aussi. Mais Actibourse, filiale de Bank of Africa, commence à bousculer l’ordre ainsi établi. Elle bénéficie notamment de son entrée dans le giron du groupe marocain BMCE, dont la filiale londonienne, MediCapital, lui envoie quelques clients de premier choix.

Quels débouchés à l’étranger ?

Les autres sociétés de Bourse partenaires de la BRVM vivent pour le moment sur leurs acquis. BNI Finances, filiale de la banque parapublique ivoirienne BNI (ex-Caisse autonome d’amortissement), bénéficie d’un quasi-monopole sur les opérations de l’État ivoirien, ce qui lui garantit une belle activité. Quant aux deux leaders historiques, Bicibourse, filiale de BNP Paribas, compte parmi ses clients nombre d’émetteurs importants filiales de multinationales, et SogeBourse reste dominante en matière de conservation de titres, même si elle pourrait être désormais concurrencée par le groupe nigérian UBA dans ce domaine. « Toutes deux faisaient la conservation sur la Bourse d’Abidjan, ancêtre de la BRVM. Elles en profitent encore aujourd’hui », explique un intervenant. Et pour cause : la plupart des sociétés cotées sur la BRVM l’étaient hier sur la Bourse d’Abidjan.

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Les SGI actives à Abidjan réfléchissent-elles à l’expansion géographique, qui peut paraître la meilleure stratégie de conquête de marchés ? Pas vraiment. Il est vrai que la destination qui paraît la plus naturelle, l’Afrique centrale francophone, n’est pas très attractive. Une poignée d’années après leur création, ni le Douala Stock Exchange, avec trois sociétés cotées, ni la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC) de Libreville, qui en compte encore moins, ne peuvent être considérés comme de réelles places de marchés. D’ailleurs, la BRVM, qui en mérite mieux le titre, ne suscite guère l’intérêt d’autres acteurs africains. Lorsque le tunisien Integra Partners a choisi de dépasser ses frontières, il a mis le cap sur Casablanca… « Ils nous voient sans doute de la même manière que nous voyons aujourd’hui le marché boursier d’Afrique centrale », ironise Gabriel Fal.

BMCE Capital constitue à ce jour la principale exception à ce raisonnement. La filiale de Bourse et de conseil financier du groupe marocain BMCE Bank a d’abord choisi le Sénégal, trois ans avant de s’implanter en Tunisie, en entrant au capital d’Axis, puis d’ouvrir BMCE Capital Cameroun, à Douala, l’année dernière. À Dakar, le groupe marocain n’a pas cherché à déstabiliser les SGI locales, comme on aurait pu s’y attendre. Il a décidé de se concentrer sur ses activités de conseil financier, délaissant ostensiblement le marché boursier. BMCE Capital est ainsi intervenu sur d’importantes opérations, comme la privatisation de la Sonacos, la mise en place du financement du nouvel aéroport international ou la concession de la troisième licence de téléphonie mobile…

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Pour toutes les sociétés de Bourse, l’activité de conseil et d’ingénierie financière devrait être une déclinaison logique de leur activité mais aussi une source complémentaire – et non négligeable – de revenus. Au cours de ses premières années d’existence, Hudson dégageait ainsi l’essentiel de son chiffre d’affaires : alors que son père était à la présidence, Jean-Luc Bédié est intervenu sur la privatisation de la société cotonnière CIDT, de Sodesucre, de la BIAO-CI… Depuis, sa SGI a changé de cap : « Il est certain qu’il faudrait faire les deux, du courtage et du conseil, explique Jean-Luc Bédié. Mais il y a beaucoup moins d’activité dans l’ingénierie financière depuis que la Côte d’Ivoire connaît des difficultés économiques. Du coup, le conseil ne représente plus que 5 % de nos revenus. D’ailleurs, la plupart des banques locales, qui pourraient être puissantes dans le domaine, n’ont même pas de département fusions-acquisitions. »

En l’absence d’un soudain regain de dynamisme de la place boursière régionale d’Abidjan – peu probable par les temps de crise qui courent – quel peut être l’avenir des SGI de la BRVM ? Quelques-unes se sont ouvertes à la gestion de fonds d’investissement, solution que Jean-Luc Bédié ne trouve guère prometteuse : « Avec une trentaine de valeurs, dont une douzaine sont liquides, c’est difficile. De plus, il faut avoir un réseau tourné vers les particuliers. » Pour la plupart des observateurs, la seule évolution probable consiste en un rapprochement entre acteurs locaux, à l’image de ce qui s’est passé en Égypte dans les années 1980 entre les courtiers EFG et Hermes. Certains l’appellent de leurs vœux : EFG-Hermes est devenu un leader au Moyen-Orient. Encore faudrait-il d’ici là que la Côte d’Ivoire, qui est restée le moteur de la BRVM, ait intégralement repris sa position de leader économique.

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