Menaces sur le crédit

Après plusieurs années d’euphorie, les banques africaines affichent à nouveau des résultats exceptionnels pour le dernier exercice. Solides et rentables, elles restent sereines même si, par précaution, la plupart se révèlent moins prêteuses.

Publié le 19 mai 2009 Lecture : 6 minutes.

Les banques nigérianes seront-elles les premières victimes africaines de la crise économique ? La question taraude depuis de longues semaines les acteurs économiques impliqués dans la première puissance économique ouest-africaine. De nombreux signaux sont au rouge. Si le Lagos Stock Exchange dans son ensemble s’est effondré de 60 % en un an (lire encadré page suivante), plusieurs valeurs bancaires ont fait pire encore comme Guaranty Trust Bank, qui a perdu 61 % de sa valeur, ou Intercontinental Bank, qui a vu son cours reculer de plus de 85 %. Troisième banque du pays par le total des actifs en 2007 et considérée comme l’une des plus performantes du pays, elle a subi une violente campagne de dénigrement fondée sur certains aspects de son bilan. Lui était reproché, notamment, le fait qu’environ 15 % des prêts accordés l’avaient été pour investir sur le marché financier. Ce dernier s’effondrant, il y avait de quoi susciter de vives inquiétudes sur la solidité du prêteur.

« Le problème est général et toutes les banques du pays ont des difficultés, estime l’actionnaire de l’une d’entre elles. Avec le retournement économique, la baisse des cours du pétrole, le taux de créances douteuses pourrait bientôt atteindre 20 %. » Certes, toutes les banques africaines ne sont pas autant touchées. En témoignent les premiers résultats annoncés par les principaux établissements financiers du continent pour l’exercice 2008. Standard Bank, première banque du continent, a ainsi vu son produit net bancaire progresser de 29 %. Et sa division de banque d’investissement, première exposée à l’effondrement des marchés, a dégagé un bénéfice en hausse de 19 %. Les premières données collectées par Jeune Afrique pour son classement annuel des 200 premières banques africaines (édition 2009 à paraître à la fin d’octobre) dessinent le portrait d’un secteur bancaire toujours en progression. Dans chaque pays, les principaux établissements ont vu leurs indicateurs d’activité économique progresser nettement, voire s’envoler au cours de l’année écoulée. Est-ce réellement étonnant ? 

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Baisse des dépôts à la BIAT

Personne, dans le milieu, ne s’attend à ce que les banques africaines soient touchées par le ralentissement économique mondial avant le milieu de 2009, voire plus tard. Peu exposées aux marchés internationaux, elles sont sorties indemnes de la crise financière des subprimes, à la fin de 2008. En Tunisie, où les institutions financières locales assument depuis longtemps leur rôle de financement de l’économie, comme ailleurs sur le continent, les professionnels sont sereins : « Les banques n’ont pas d’exposition sur les marchés internationaux et ne connaissent aucun problème de refinancement, car les dépôts ont crû de 15 % à 20 % par an entre 2006 et 2008, souligne Abderrahman Akkari, analyste chez Tunisie Valeurs, intermédiaire de Bourse à Tunis. Il y a eu néanmoins un ralentissement des crédits au premier trimestre car les banques comptent sur les entreprises exportatrices, qui ont beaucoup souffert. » Parmi les établissements touchés, l’un des plus importants de la place, la Biat. La première banque privée tunisienne – et 41e africaine – a vu ses dépôts à vue reculer de 5,2 % au cours des trois premiers mois de l’année. « D’importants déposants étrangers, des multinationales, ont réduit leurs positions en Tunisie. Pour la plupart, ils étaient clients de la Biat, la plus internationale des banques tunisiennes », explique un financier qui souhaite rester anonyme.

Au Maroc, les indicateurs restent logiquement positifs. Les banques ont ainsi augmenté leurs crédits à l’économie de 20 % au premier trimestre de 2009, portées par les prêts immobiliers et à la consommation. « Il n’y a pas d’effets liés à la crise si ce n’est en matière de crédits automobiles. Les prêts immobiliers et à la consommation restent soutenus », commente Widad Ouardi, analyste chez Integra Bourse. En zone CFA, la situation semble également sous contrôle. « Nous n’avons pas constaté de baisse des dépôts au premier trimestre de l’année, souligne Paul Derreumaux, PDG du groupe Bank of Africa. Nous restons d’ailleurs sur les lignes de croissance prévues. Plusieurs indicateurs sont rassurants. Tout d’abord, l’aide publique au développement devrait se maintenir au moins en 2009, car un certain nombre de programmes avaient été renouvelés juste avant la crise et parce que certaines institutions comme le FMI ont décidé de “mettre le paquet” sur l’Afrique. Ensuite, les transferts d’argent des migrants, qui ont connu un ralentissement durant les deux premiers mois de l’année, paraissent s’être redressés en mars. »

Aide stable, voire croissante, transferts constants, ou à peu près : le cocktail serait suffisant pour assurer aux banques de la zone CFA une année 2009 satisfaisante. « Mais il faut dire que nous ne sommes pas installés dans les pays gros producteurs de pétrole ou très dépendants du secteur minier, tels que le Nigeria, l’Angola ou la RD Congo », ajoute Paul Derreumaux. Si, comme semble le prouver le cas nigérian, les institutions financières de ces pays devraient souffrir et connaître une année 2009 bien en deçà des crus précédents, qu’en est-il ailleurs ? « Pour les banques qui, comme Attijariwafa Bank et BMCE, ont développé des sources externes de revenus, en investissant hors de leurs frontières, l’activité restera bonne en 2009, estime Widad Ouardi. D’autres groupes marocains pourraient connaître des situations différentes. Ainsi, le CIH [Crédit immobilier et hôtelier, filiale de la Caisse d’épargne française, NDLR] a déjà connu un ralentissement de l’activité en 2008, car, en voulant se positionner dans la banque de détail, ils ont perdu leur rang de leader dans le crédit immobilier. » En Tunisie, Abderrahman Akkari voit 2009 comme un cru compliqué : « L’année sera difficile car il pourrait y avoir des problèmes de recouvrement dans certains secteurs comme le textile [lire aussi p. 98]. » Au Maroc, le tourisme devrait également être touché, poussant les banques à augmenter leur niveau de provisionnement. 

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Grands projets en attente

Au final, la manne du crédit devrait rapidement se resserrer. « Il est devenu difficile de trouver de la dette, ou alors celle-ci est plus chère, estime un investisseur financier. Les banques internationales, qui financent les plus grands projets en Afrique, sont en manque de liquidités, et les banques locales ne participent que marginalement aux financements des investissements. » Chute des matières premières, baisse du prix du baril : les grands projets sont en attente, comme à Madagascar, ou annulés, comme c’est souvent le cas en RD Congo. Le reste de l’économie devrait aussi être affecté. « Nous n’avons pas fermé le robinet du crédit mais nous sommes plus vigilants », reconnaît Paul Derreumaux, de Bank of Africa. « Au Maroc, le niveau de liquidités nécessaire pour accorder des crédits vient d’être augmenté, ce qui a forcément des conséquences sur les crédits nouvellement octroyés, ajoute Widad Ouardi. De plus, certaines banques ont limité leurs provisions en 2008 pour améliorer mécaniquement leurs bénéfices. Elles devraient être contraintes à plus d’efforts en 2009. » De quoi amputer leurs profits…

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Il est vrai qu’après plusieurs années d’euphorie – en dix ans, les actifs gérés par un groupe comme Ecobank ont été multipliés par dix – il fallait bien, à un moment ou à un autre, que les banques africaines remettent les pieds sur terre. Les États et les autorités monétaires, eux, voient leur rôle stratégique réaffirmé. Le gouvernement marocain l’a bien compris, en continuant à soutenir massivement l’accès à la propriété immobilière pour les revenus intermédiaires. L’Égypte, quant à elle, a décidé fin mars de baisser ses taux d’intérêt pour accroître la liquidité sur le marché. Restent aux autres États africains, notamment en zone franc, à trouver le moyen d’inciter intelligemment les banques à ne pas fermer les vannes du crédit. Pour ne pas aggraver un peu plus une situation économique qui se gâte… et continuer à se préserver des turbulences économiques occidentales ? Même si elles montrent depuis peu quelques signes de rétablissement, les banques internationales ne savent pas encore de quoi leur avenir sera fait.

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