L’investissement noir en panne
Le Black Economic Empowerment résistera-t-il à la crise ? Alertés par la baisse des transactions liées à la redistribution du capital des entreprises, les politiques s’affolent. Pas les banquiers.
Pour le moment, l’édifice tient toujours debout mais le vent de la crise souffle suffisamment fort pour que les banquiers sud-africains courent aux abris. Jamais depuis qu’il a été lancé en 1994 le Black Economic Empowerment (BEE) n’avait été dans une telle tourmente. Ce système de redistribution des richesses prend de plein fouet la crise économique et financière. Au même moment, certains politiciens, y compris au sein du parti majoritaire, le Congrès national africain (ANC), commencent à douter de l’efficacité de la mesure.
Le fondement de cette politique qui veut aider la majorité noire du pays à prendre le contrôle de l’économie du pays n’est guère contesté. Le système est simple : un « investisseur » noir peut emprunter de quoi acheter des parts du capital d’une entreprise, la plus prospère possible, et rembourser la banque grâce aux dividendes versés au fil du temps. Ce qui pose problème, c’est la méthode. Depuis longtemps des voix se sont élevées pour critiquer le BEE, qui n’aurait profité qu’à une petite clique et n’aurait rien changé à la vie du plus grand nombre. En 2004, 72 % des accords du BEE avaient bénéficié à seulement six compagnies dont celles de Cyril Ramaphosa, Tokyo Sexwale et Saki Macozoma et quelques autres.
Le gouvernement a donc rectifié le tir, en 2004, avec un nouveau concept et un nouvel acronyme, le BBBEE, pour Broad Based Black Economic Empowerment. Désormais, il ne s’agit plus seulement de redistribuer du capital mais aussi de renforcer l’« empowerment » de façon plus globale. Un système de notation a donc été mis en place, la « scorecard », avec plusieurs moyens de gagner des points, par exemple en travaillant avec des sous-traitants ou des fournisseurs estampillés eux aussi BEE, en assurant la formation et la promotion des employés noirs, ou en finançant des œuvres sociales. Plus la notation de l’entreprise est bonne, plus elle a de chances de remporter des marchés publics ou de devenir fournisseur ou sous-traitant. Par effet de dominos, toutes les sociétés, cotées ou pas, petites ou grandes, locales ou étrangères doivent se conformer à des règles du jeu pas toujours très simples.
Le financement de cette vaste réforme repose sur la bonne santé et le bon vouloir du système bancaire sud-africain qui, jusque-là, a joué le jeu. Solides et plutôt bien notées par les agences internationales, les cinq grandes banques du pays (91 % du marché) ont montré ces dernières années une bonne rentabilité et semblent, parce qu’elles n’ont que peu d’investissements à l’étranger, relativement à l’abri de la crise financière. Elles ne sont pas pour autant épargnées par la crise du crédit. Surendettés, les ménages sud-africains ont de plus en plus de mal à faire face à leurs engagements. Le crédit reste cher, pendant que l’inflation s’envole et que la croissance ralentit.
Tous les spécialistes appellent à la vigilance. « Les banques sont dans une position délicate », avouait récemment dans une conférence du secteur minier Cliff Zephyrine, chef de la section investissement en capital de la banque Absa. Cet économiste s’est dit particulièrement inquiet au sujet des deals BEE conclus ces deux ou trois dernières années : « Les achats effectués avant cette date ont bénéficié d’une longue période de hausse de la Bourse et d’un taux de croissance autour de 7 %. Ceux conclus plus récemment sont plus fragiles. » Les parts en capital ont été libérées au plus haut du marché financier et à une époque où l’or, comme la plupart des autres produits miniers, était aussi en forte hausse. Or la Bourse de Johannesburg a perdu environ un tiers de sa valeur sur les dix derniers mois. Cliff Zephyrine parle d’une « possible banqueroute du Black Economic Empowerment ».
« Cette crise est sans précédent et on ne sait pas combien de temps elle va durer. Dans ce contexte, il est hélas possible que quelques-uns de ces montages s’effondrent », reconnaît James Formby, directeur de la branche entreprise de la Rand Merchant Bank. Mais, pour ce banquier d’affaires, le système bancaire n’est pas menacé d’une catastrophe type « crise des subprimes ». « Nous avons prêté en prenant toutes les garanties, et en plus nous n’avons travaillé qu’avec des entreprises solides », affirme-t-il, avant d’ajouter que le risque pour les banques sud-africaines « reste bas ».
Cinq fois moins de transactions
Entre 2004 et 2008, 200 milliards de rands (environ 16 milliards d’euros) ont été redistribués à des investisseurs noirs à la Bourse de Johannesburg. La tendance est aujourd’hui à la prudence. Dans les deux dernières années, selon l’agence de notation BEE EmpowerDex, le montant des transactions BEE prévues et annulées dépasserait 40 milliards de rands. Pour l’année 2008, la Bourse n’a enregistré que 13 milliards d’échanges, alors qu’un an plus tôt pas moins de 66 milliards de rands avaient changé de main. Pour le moment, aucune des transactions BEE n’a échoué, mais, selon les experts, plusieurs d’entre elles devront être refinancées en cours de route. « Même si les banques vont avoir tendance à prendre de plus en plus de garanties, le processus continuera, le BEE reste la règle à suivre », insiste James Formby.
Sur ce point, Matthew Phosa, trésorier de l’ANC et figure politique de premier plan, est plus réservé : « Je ne crois pas que le BEE ait bien fonctionné. Il a créé des millionnaires et des superstars du business pendant que le peuple aurait eu besoin de recevoir une formation de base, déclarait-il en septembre dernier devant les étudiants de l’université du Free State. Le but du BEE était de permettre aux Noirs de s’insérer dans le tissu économique, pas d’en chasser les Blancs. » Si la crise ne remet pas en cause le fonctionnement du BEE, le plus grand reproche fait à cette politique est qu’elle a créé des riches mais aucune richesse…
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