France : salariés au bord de la crise de nerfs

Séquestrations de patrons, actes de sabotage, mises à sac d’entreprises… Face aux licenciements massifs, la colère monte. Est-on à la veille d’une révolution ?

Publié le 19 mai 2009 Lecture : 5 minutes.

La crise sociale s’aggrave en France. Le 1er mai, il y avait cinq fois plus de manifestants que les autres années dans les traditionnels défilés syndicaux. Exaspérés par la multiplication des plans sociaux et des licenciements, les grévistes recourent à des moyens aussi radicaux qu’inhabituels : séquestrations de dirigeants d’entreprise, coupures d’électricité et de gaz et, même, mises à sac de locaux d’entreprises ou de bâtiments publics. Peut-être pour faire mentir le président Sarkozy qui, en juillet 2008, ironisait : « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit »…

Qu’on l’appelle « séquestration » ou « retenue », qu’elle dure deux heures ou vingt-quatre, l’interdiction de quitter la table des négociations que certains salariés imposent à des représentants patronaux est devenue pratique courante. Les grévistes y ont eu recours dans les secteurs de l’automobile (Molex, Continental), de la construction mécanique (Caterpillar) ou de l’électronique (Sony, FCI Microconnections, FM Logistic), où des fermetures de sites, des délocalisations et des plans sociaux étaient prévus. Toutes les régions sont concernées : le Bassin parisien, les Alpes, le Nord, le Midi toulousain. 

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Ouvriers désespérés

Le durcissement est évident, aussi, dans le conflit qui oppose la direction et les salariés des entreprises de distribution de gaz et d’électricité (GrDF et ErDF) au sujet des augmentations de salaires (voir encadré). Pour la première fois depuis trente ans, la grève se traduit par des coupures sauvages, qui pénalisent ménages, entreprises et administrations. Le 15 avril, l’hôpital de Douai, dans le Nord, s’est vu privé d’électricité pendant quarante minutes. Les dirigeants d’ErDF ont porté plainte contre ces « actes illégaux ».

Enfin, le 21 avril, les salariés du fabricant de pneumatiques Continental ont saccagé les locaux de la sous-préfecture de Compiègne, dans l’Oise, lorsqu’ils ont appris que la justice autorisait la fermeture de leur usine.

Ces violences ont suscité une polémique dans la classe politique. François Fillon, le Premier ministre, les a dénoncées sans ambages : « Je pense à la séquestration de certains dirigeants d’entreprise, aux coupures de courant sauvages : c’est du sabotage, ce n’est pas la grève, ce n’est pas de l’action sociale. » Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac, partage le même point de vue : « J’appelle à la fermeté pour que ces séquestrations cessent. Il faut respecter l’État de droit en matière sociale. »

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Un peu gênés par ces formes d’action, les syndicats les couvrent tout de même, à l’instar de Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, qui s’en est pris à ceux qui les critiquent : « C’est un réflexe classique de criminaliser l’action syndicale. Pendant ce temps-là, on ne parle pas des responsabilités patronales dans la casse industrielle. »

L’opinion semble donner plutôt raison aux salariés. Dans un sondage BVA-PBI-Les Échos-France Info, publié le 15 avril, 55 % des personnes interrogées estiment que les actions radicales sont justifiées ; 64 % pensent même qu’elles « ne doivent pas être sanctionnées par la justice, car elles sont le seul moyen dont disposent les salariés pour se faire entendre ».

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Cette radicalisation s’explique d’abord par la brutalité de la crise économique, qui pousse les entreprises à réduire fortement leurs effectifs pour s’adapter à une demande en chute libre sous l’effet de la récession mondiale. Le désespoir frappe surtout les ouvriers, qui savent qu’ils ont peu de chances de retrouver un emploi, notamment quand ils vivent dans une région déjà en difficulté.

Les promesses non tenues ont, aussi, un effet dévastateur. Ainsi, les employés de Continental enragent de voir leur entreprise fermer en 2010, alors qu’ils avaient accepté de revenir aux 40 heures de travail hebdomadaire en échange du maintien en activité de leur usine jusqu’en 2012.

Enfin, les salariés ont le sentiment de faire les frais de la crise. Ils trouvent particulièrement injuste et choquant que les gouvernements attribuent des centaines de milliards de dollars ou d’euros aux banques, alors qu’elles sont les grandes responsables de la crise. 

Question de dignité

La violence sociale est une tradition française. Au XIXe siècle, il y avait le « luddisme » : des ouvriers brisaient les machines, accusées de leur « voler du travail ». Aujourd’hui, les syndicats, trop faibles, ont le plus grand mal à canaliser le mécontentement. À la différence de l’Europe du Nord, où existe une vraie culture de la négociation, patronat et syndicats français pratiquent depuis toujours l’affrontement. Et comme, à la différence de leurs collègues étrangers, les salariés français vivent un licenciement comme un drame, les débordements de colère se multiplient.

La mondialisation est, bien sûr, au centre des critiques. Ce n’est pas un hasard si les actions les plus dures sont menées dans des entreprises étrangères dont les états-majors décident souverainement, à des milliers de kilomètres et sans égard pour les particularités locales. Les dirigeants nationaux n’ont aucune autonomie par rapport à leur siège et ne disposent pas des informations que leur réclame leur personnel, inquiet de son avenir. Résultat : les salariés se heurtent à un mur d’incompréhension… qu’ils tentent d’abattre par la violence.

Dans la société spectacle de ce début de XXIe siècle, chacun sait que, pour faire valoir son point de vue, il faut être visible. Place, donc, aux coups d’éclat, qui attirent les médias et effraient les hommes politiques. À l’image de « l’hyper-président » qui trône à l’Élysée, les protestataires ont choisi les modes d’expression les plus spectaculaires.

Cette révolte peut-elle se muer en révolution ? La question vaut d’être posée, après la déclaration d’un autre Premier ministre de Jacques Chirac, Dominique de Villepin, qui décèle dans la crispation du climat social « un risque révolutionnaire ».

Certes, les formations d’extrême gauche sont comme poisson dans l’eau dans les usines en grève et dans les manifestations violentes. Les trotskistes de Lutte ouvrière et du Nouveau Parti anticapitaliste sont présents dans tous les syndicats pour y défendre des positions jusqu’au-boutistes. Le « grand soir » n’est pourtant pas pour demain. En témoignent les revendications des grévistes, qui demandent tous une amélioration de leurs indemnités de départ, car ils savent que la conjoncture ne leur permettra pas de retrouver rapidement un emploi. Leurs exigences ne visent pas seulement à assurer leur survie économique. Elles sont aussi une question de dignité. Comme le résume l’un d’eux, « il est insupportable d’être largué pour quelques milliers d’euros ». 

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